[Opinion] Pour le droit à la scolarisation des élèves HDAA

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Durant la campagne électorale de l’automne, le Comité pour le droit à la scolarisation de la Ligue des droits et libertés — section de Québec a interpellé les différents partis pour connaître leurs plans par rapport aux enjeux de scolarisation partielle et de déscolarisation d’élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA).

Monsieur Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, le parti que vous représentez est le seul à ne pas nous avoir répondu. Ce silence nous préoccupe grandement.

Un phénomène sous-estimé

Les élèves HDAA représentent 20 % des élèves scolarisés dans les écoles publiques du Québec. Depuis les 20 dernières années, un nombre grandissant de ces élèves sont scolarisés de façon partielle ou sont déscolarisés en raison d’une décision de l’école, d’un centre de services scolaire (CSS) ou d’une commission scolaire (CS). On ignore pour l’instant le nombre d’élèves ainsi exclus, mais on sait que ce phénomène donne lieu à de très fréquentes plaintes pour discrimination à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

En 2021, le ministère de l’Éducation publiait un rapport dénombrant tout près de 1500 élèves « en situation complexe » ayant vécu des bris de services au cours de l’année. Ce chiffre ne fournit toutefois qu’une vue partielle de la situation. Une grave limite est qu’il n’inclut ni les élèves scolarisés à temps partiel ni celles et ceux ayant été retirés de l’école pour une période plus ou moins longue lorsque ce retrait est inscrit à leur plan d’intervention.

Des effets dévastateurs pour les élèves et leur famille

La déscolarisation et la scolarisation partielle des élèves HDAA entraînent des effets dévastateurs pour les élèves exclus et leur famille. En 2018, la CDPDJ révélait que près de 40 % de ces élèves « quittent le secondaire sans diplôme ni qualification, alors que seulement 8,7 % des élèves dits réguliers vivent la même situation ».

Les parents, quant à eux, doivent s’occuper de leur enfant pendant les heures normales de classe. Les solutions de remplacement sont souvent coûteuses ; seuls celles et ceux ayant suffisamment de moyens financiers peuvent les assumer, ce qui contribue à accroître les inégalités et l’exclusion des élèves HDAA défavorisés et qui cumulent des facteurs de vulnérabilité.

L’obligation de documentation pour le respect des droits

Pourtant, l’article 36 de la Loi sur l’instruction publique prévoit que la mission de l’école consiste à « instruire, socialiser et qualifier les élèves », « dans le respect du principe de l’égalité des chances », « tout en les rendant aptes à entreprendre et à réussir un parcours scolaire ». La Charte des droits et libertés de la personne, quant à elle, interdit la discrimination fondée sur le handicap dans l’accès à l’instruction publique.

Ces règles s’imposent au gouvernement, aux CSS, aux CS et aux écoles. Elles exigent, d’abord et avant tout, de documenter le phénomène de scolarisation partielle et de déscolarisation en colligeant des données de manière régulière et systématique pour que l’on puisse, dans un premier temps, le comprendre, l’évaluer et ensuite développer des réponses appropriées et conformes à la Loi sur l’instruction publique et à la Charte des droits et libertés de la personne.

Déjà, en 2018, la CDPDJ réclamait une collecte de données récurrente qui permettrait au gouvernement de produire de manière quinquennale un rapport faisant état de la situation des élèves HDAA. Ces données exhaustives sont à ce jour inexistantes.

Des mesures concrètes et rapides

En tant que nouveau ministre de l’Éducation, il est impératif que vous fassiez de la scolarisation partielle et de la déscolarisation des élèves HDAA une priorité du ministère. Nous vous interpellons personnellement ainsi que l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale pour que cet enjeu fasse l’objet d’une question et d’une réponse en chambre dès la reprise des travaux parlementaires en 2023.

Nous réclamons des mesures concrètes et rapides :

Qu’un état de situation complet et précis de la scolarisation partielle et de la déscolarisation des élèves HDAA soit produit par le MEQ dès l’hiver 2023.

Que ces données incluent les élèves pour qui la scolarisation partielle ou la déscolarisation est inscrite au plan d’intervention et qu’elles soient ouvertement accessibles.

Qu’un mécanisme régulier et à long terme de compilation et de publication des données touchant la déscolarisation et la scolarisation à temps partiel permettant d’en suivre l’évolution soit mis en place d’ici la fin du printemps 2023.

Cette production de données devra être accompagnée d’une réflexion globale avec les différentes parties prenantes (personnel scolaire, gestionnaires, parents, élèves, organismes de santé et services sociaux, responsables du transport scolaire, etc.) pour assurer l’accès à l’école de tous les élèves HDAA, ainsi que des conditions de scolarisation qui répondent à leurs profils et leurs besoins.

À court terme, votre ministère doit élaborer et mettre en oeuvre un plan d’action afin d’améliorer significativement la situation dès les prochaines années.

Ces actions sont nécessaires pour assurer l’accès à l’instruction publique sans discrimination des élèves HDAA du Québec.

* Ont aussi signé ce texte

  • Christine Vézina, membre du comité pour le droit à la scolarisation et professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université Laval
  • Marie-Eve Carrier-Moisan, membre du comité pour le droit à la scolarisation et professeure agrégée à l’Université Carleton
  • Marie-Noëlle Béland, membre du comité pour le droit à la scolarisation
  • Antoine Pellerin, membre du comité pour le droit à la scolarisation et professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université Laval
  • Gabriel Bergevin-Estable, membre du comité pour le droit à la scolarisation et beau-père d’un adolescent autiste
  • Typhaine Leclerc, membre du comité pour le droit à la scolarisation et mère d’une enfant qui vit avec la trisomie 21
  • Patrice Lemieux Breton, membre du comité pour le droit à la scolarisation et père d’une enfant qui vit avec la trisomie 21
  • Maxim Fortin, coordonnateur de la Ligue des droits et libertés — section de Québec
  • Véronique Tremblay, directrice générale d’Autisme Québec
Publié le 16 décembre 2022
Par Laurence Simard-Gagnon, porte-parole du Comité pour le droit à la scolarisation de la Ligue des droits et libertés — section de Québec et mère d’un adolescent autiste