« Je me sentais vraiment comme si je ne valais rien, comme si je n’avais pas le droit d’avoir ma place […] C’est plus important que je ne dérange pas avec ma chienne d’assistance, que d’être en sécurité. » (Sylvia1, participante à la recherche)
Alors qu’elles sont deux fois plus à risque de vivre de la violence conjugale que les femmes sans incapacités (Savage, 2021), les femmes en situation de handicap (FSH) sont sous-représentées dans le réseau des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violences au Canada et au Québec (Moreau, 2019). En 2010, l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) réalisait une évaluation des besoins d’adaptation des services offerts aux femmes handicapées victimes de violence conjugale et notait, à l’époque, des lacunes importantes dans l’accessibilité des maisons d’hébergement, à plusieurs niveaux : l’architecture des lieux (rampe d’accès, signalisation visuelle), les services offerts (écoute téléphonique, accompagnement), l’accessibilité des documents (disponibilité de formats en braille ou en audio), la formation du personnel aux besoins et réalités spécifiques des FSH et l’approche d’intervention (OPHQ, 2010). À notre connaissance, aucune autre étude d’envergure, sur l’accessibilité des services offerts aux FSH victimes de violence conjugale n’a été réalisée au Québec, depuis ce rapport.
Cet article analyse et traite de la problématique d’accès aux soutiens essentiels à la sortie de violence conjugale des FSH, en centrant les enjeux d’accès aux services du réseau des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Nous présentons les résultats préliminaires d’une enquête de terrain, réalisée entre juin 2021 et mai 2022, depuis le point de vue des FSH ayant effectué un parcours de sortie de violence.
Contexte méthodologique de la recherche
Notre équipe mène présentement une recherche-action participative intersectorielle visant à mettre en lumière et identifier des solutions aux obstacles rencontrés par les FSH, le long de leur parcours de sortie de violence conjugale. La question générale posée est la suivante : quels sont les leviers et les enjeux, dont ceux de niveau structurel, qui jalonnent la trajectoire de sortie de violence des FSH?
Pour ce faire, nous avons composé un groupe de travail qui réunit des acteurs-trices susceptibles de pouvoir agir à l’une ou l’autre des étapes de sortie de violence des femmes, qu’il s’agisse du signalement d’une situation de violence, de la demande d’aide, ou de l’accès à des services d’hébergement. Nos partenaires incluent la Table de concertation en violence conjugale de Montréal, des maisons d’hébergement, la Maison des femmes sourdes de Montréal, le Service de police de la ville de Montréal et le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), un groupe de défense des personnes en situation de handicap.
En ateliers de discussion et en sous-groupes de travail, nous coconstruisons notre compréhension des défis et des leviers de sortie de violence des FSH, et dressons un portrait des programmes, des acteurs-trices, des politiques et des phénomènes sociaux en cause. L’importance de sonder le vécu et les perspectives des FSH par une enquête de terrain s’est rapidement imposée comme priorité au sein de notre groupe. La question de l’accessibilité aux services des maisons d’hébergement est apparue comme un élément prioritaire.
Au moment de publier, des entrevues individuelles semi-dirigées, principalement par visioconférence, ont été réalisées auprès de 11 FSH présentant des limitations physiques, sensorielles ou liées à un trouble de santé mentale. Elles ont rapporté avoir vécu une ou des expériences de violence conjugale auprès de partenaires masculins hétérosexuels, pour la plupart sans déficience ou limitation fonctionnelle. Le recrutement a été réalisé à l’aide d’annonces partagées par certains partenaires de la recherche, notamment le RAPLIQ. Les entretiens ont été enregistrés, retranscrits et analysés à l’aide du logiciel NVivo et selon un travail préalable de catégorisation conceptuelle du parcours de sortie de violence. L’analyse est toujours en cours. Il faut noter que certaines des expériences de violence rapportées ne sont pas récentes (remontant parfois à plus de 10 ans). Néanmoins, plusieurs éléments d’analyse nous sont apparus cohérents avec les apports de nos partenaires communautaires lors de discussions de groupe, ces éléments sont donc propices à une réflexion sur les angles morts de l’accès aux ressources essentielles à la sortie de violence des femmes.