Retour sur «COVID-19 : des réponses à vos questions»

Inégalités scolaires & Pandémie

« Le coronavirus frappe tout le monde sans distinction », disait-on au début de la pandémie. Les mois suivants ont démontré l’absurdité de cette affirmation. En éducation, la crise sanitaire a révélé au grand jour des inégalités criantes entre élèves. Le réseau scolaire a pris conscience de la nécessité d’aplanir ces disparités et de prendre soin des plus vulnérables.

Ce sera sans doute un des grands constats de l’après-pandémie : le principe de l’égalité des chances pour tous est loin d’être une réalité dans les 3000 écoles publiques et privées du Québec. Le ministère de l’Éducation a ainsi fourni de toute urgence, au fil des mois, des ordinateurs et des accès à Internet à des milliers d’élèves. Certains d’entre eux n’étaient pas au bout de leurs peines, parce qu’ils n’avaient pas de lieu tranquille pour suivre leurs cours à distance, coincés entre leurs frères et sœurs dans des appartements surpeuplés.

D’autres enfants ont été exposés au virus par leurs parents qui travaillaient dans les CHSLD ou les hôpitaux. D’autres encore vivaient dans une famille dysfonctionnelle. Et des élèves ayant toutes sortes de difficultés d’apprentissage ou d’adaptation — à lire, à écrire, à compter, ou même à se comporter — sont sortis déboussolés des périodes de confinement ou d’enseignement virtuel.

Le réseau de l’éducation a compris que l’école est un espace de sécurité pour bien des élèves. Ce constat est porteur d’espoir, estime Mélanie Paré, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Peut-on s’attendre à davantage de mesures contre les inégalités dans l’avenir prévisible ? « C’est absolument inévitable, dit-elle. Je demeure une éternelle optimiste. Il y a eu une prise de conscience sur les inégalités. Les mots bien-être, bienveillance et inclusion sont dans tous les projets éducatifs. »
Le réveil des exclus
Ce n’est peut-être pas un hasard si ce réveil du système scolaire survient en même temps que d’autres mouvements sociaux : les droits des Noirs, des Autochtones et des autres minorités sont revenus à l’avant-plan, au Québec comme ailleurs, au cours des derniers mois. La pandémie a révélé la réalité parfois choquante des exclus et des sans-voix.

La bonne volonté ne suffit plus pour aplanir l’égalité des chances et améliorer la bienveillance en éducation, croit Mélanie Paré. « Ça ne se fera pas en ajoutant des cours de yoga pour les élèves et le personnel », dit-elle.

Le ménage entrepris dans les services aux élèves handicapés ou ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) doit s’accélérer, estime la professeure. Des centres de services continuent d’exiger un diagnostic pour offrir des services aux élèves en fonction des « codes » créés par la bureaucratie. Ces procédures retardent l’offre de services aux élèves en difficulté, dont les besoins sont souvent clairement établis par les parents et les enseignants.

Les classes spécialisées restent aussi un vecteur d’exclusion, selon Mélanie Paré. Le gouvernement Legault s’est engagé à ajouter 225 de ces groupes de petite taille, qui accueillent les enfants ayant les plus grandes difficultés. Les enseignants, à bout de souffle, réclament depuis longtemps ce coup de pouce qui leur donne du répit.

Le problème, c’est que le taux de réussite des élèves en classe spécialisée est beaucoup plus bas que dans les classes ordinaires, souligne Mélanie Paré. Et qui est envoyé dans ces classes pour enfants « différents » ? En majorité des garçons issus de milieux défavorisés ou d’immigration récente.
Mixité mise à mal
La science démontre pourtant que les élèves les plus faibles gagnent à côtoyer ceux qui réussissent mieux, rappelle la professeure. Les plus forts tirent vers le haut les élèves en difficulté sans que cela nuise à leur apprentissage.

Cette mixité est mise à mal par les écoles publiques qui offrent des projets particuliers comme un programme international, sports-études ou arts-études. Ces projets élitistes, mis en place pour freiner l’exode vers les écoles privées, sélectionnent les élèves sur la base de tests d’admission ou de leurs résultats scolaires. Mélanie Paré se réjouit que des centres de services aient commencé à admettre les élèves dans ces programmes par un tirage au sort.

L’État québécois finance néanmoins les écoles privées à hauteur de 60% de la somme versée aux écoles publiques pour les services éducatifs aux élèves. C’est « l’éléphant dans la pièce », créateur d’inégalités, qui n’a jamais été remis en question par un parti au pouvoir : les ministres de l’Éducation, dont le titulaire actuel, ont tendance à envoyer leurs enfants au privé.
Ne pas réinventer la roue
De son côté, Steve Bissonnette, professeur au Département d’éducation de l’Université TELUQ, est convaincu que le choc de la pandémie doit entraîner un sérieux coup de barre : il prône la création d’un Institut national d’excellence en éducation. L’ancien ministre Sébastien Proulx avait fait cette proposition pour établir les grandes orientations du réseau en fonction des données probantes issues de la science.

« Dieu sait qu’on devrait s’inspirer des meilleures pratiques dans le contexte qu’on vit actuellement : il faut arrêter d’essayer de réinventer la roue en éducation », dit-il.

Le professeur note lui aussi que la pandémie a creusé l’écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles. Il estime que le plan de rattrapage mis en place par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, est un bon point de départ, mais qu’il faut aller plus loin que le tutorat et les camps pédagogiques de l’été. Il prône des méthodes d’enseignement plus efficaces.