Retour sur «COVID-19 : des réponses à vos questions»

Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 6

La dernière semaine d’audience du 17 au 21 janvier était consacrée au volet représentations : les personnes intéressées ou leur représentant se sont adresser à la coroner afin de lui faire part de leurs observations sur un ou plusieurs aspects de la preuve testimoniale ou documentaire présentée lors de cette enquête. Elles ont également donné leur avis sur les recommandations que la coroner pourrait formuler pour une meilleure protection de la vie humaine.

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Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 5

18 janvier – En première ligne
« On ne peut pas prendre soin de nos aînés si notre système de santé lui-même est malade » : c’est sur cette note sombre que la représentante du Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (FSQ-SIIIAL-CSQ), Me Amy Nguyen, a présenté mardi ses recommandations à l’enquête de la coroner sur les décès en CHSLD durant la première vague.

Elle a montré du doigt la réforme Barrette de 2015, qui a créé les mégastructures organisationnelles que sont les CISSS et les CIUSSS. À la coroner, elle a dit que les conclusions de son rapport « devraient toucher le noyau même du système de santé, son fonctionnement, sa gestion ».

En ce qui a trait aux CHSLD, « tout le monde est responsable de quelque chose, et donc personne n’est responsable : il y a toujours quelqu’un à qui on peut relancer la balle », a renchéri Me Sophie Brochu, qui représente l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). Elle aussi pense que « c’est le système au complet qui a failli, de manière systémique ».

L’imbroglio bureaucratique, ainsi que la longue distance entre les décideurs et le terrain, ont coûté la vie à de nombreux résidents, ont fait valoir les avocates, plaidant pour une gestion de proximité, où les décideurs sur le terrain pourraient prendre eux-mêmes des décisions rapides et adaptées à leur milieu.

Me Nguyen a cité les directives envoyées par le ministère de la Santé, qui étaient souvent mal comprises, par exemple l’ordre de limiter les transferts vers les hôpitaux qui a au final empêché des aînés malades de recevoir des soins à l’urgence. Elle a aussi soulevé le fait que « les directives prenaient tellement de temps à arriver que le ministère avait déjà eu le temps de les modifier » avant même qu’elles n’arrivent en CHSLD.

Les avocates ont aussi toutes deux demandé à ce que, dans le futur, le principe de précaution prime, notamment en ce qui a trait au port de l’équipement de protection.

L’APTS considère qu’il faut également mettre en place une gestion de proximité en assignant une personne gestionnaire présente sur place, dotée d’une connaissance fine du milieu et de ses enjeux, en mesure de prendre des décisions applicables rapidement tout en respectant les décisions nationales. Ainsi, chaque établissement sera en mesure de préparer un plan de délestage et de réaffectation dans un contexte de crise sociosanitaire.

Sources* :

Enquête sur les décès en CHSLD | Des syndicats veulent repenser le système de santé
Enquête de la coroner sur les décès en CHSLD – L’APTS présente ses recommandations finales

19 janvier – Collaboration
Le gouvernement québécois fait face à un choix : abandonner les CHSLD privés ou mieux les soutenir. C’est le message lancé par l’avocat du directeur général et de la propriétaire de la Résidence Herron.

Me Paradis a reproché au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal son peu de considération pour les demandes du CHSLD Herron relativement au manque de personnel au début de la pandémie.

Se basant sur un sondage de l’Association des établissements privés conventionnés, l’avocat a dit que de nombreux CHSLD privés ne sentent toujours pas avoir le soutien nécessaire des CIUSSS.

L’avocat représentant le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Me Jean-François Pedneault, a plutôt fait état d’un manque de collaboration de la part de la direction de Herron, notamment pour obtenir une liste des employés et des résidents.

Il a aussi parlé d’une désorganisation déjà existante à la Résidence Herron avant la pandémie, qui s’est accentuée avec l’arrivée de la COVID-19. Me Pedneault a dit que les CHSLD ont reçu du ministère de la Santé, le 12 mars 2020, un guide prévoyant la mise à jour d’un plan de contingence en cas de manque de personnel.

Me Pedneault a détaillé que le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal avait envoyé plusieurs dizaines d’employés pour prêter main forte au CHSLD Herron entre la fin mars et le début avril.

Me Pedneault a appelé à donner des « moyens appropriés » aux CISSS et les CIUSSS pour « exercer une vigie et un redressement sans délai lorsque nécessaire ». Il a fallu une ordonnance de la direction de santé publique de Montréal, le 7 avril, pour que le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal prenne officiellement en charge le centre d’hébergement de Dorval, a-t-il rappelé.

Source* : Enquête sur les décès en CHSLD | Il faut mieux soutenir les CHSLD privés ou les abolir, dit l’avocat de Herron
20 janvier – Communication
« La source des situations dramatiques qui font l’objet de l’enquête n’est pas systématique, mais plutôt locale », a déclaré jeudi l’une des avocates du MSSS, Me Marie-France Le Bel. Elle a rappelé que « la majorité des CHSLD, soit 61 %, ont été épargnés par la COVID-19 » durant la première vague.

Me Le Bel a aussi affirmé que, malgré des témoignages de travailleurs de la santé, « le port du masque n’a jamais été interdit par le ministère ». Dans certains CHSLD, des responsables locaux avaient empêché leurs employés d’apporter leurs propres masques chirurgicaux, car cela risquait de faire peur aux résidents.

Sa collègue, Me Alexandra Hodder, a ajouté qu’« il n’y a jamais eu d’interdiction de transfert (des résidants de CHSLD) aux centres hospitaliers », puisque cela « relève du jugement clinique des médecins ». C’est pourtant de cette manière que les directives ont été comprises par plusieurs établissements, une famille ayant même dû appeler elle-même le 911 pour qu’une ambulance vienne chercher son proche.

L’avocate a aussi soutenu que la communication était bonne entre les diverses instances, puisque « la réalité, c’est que les gens du réseau se parlent tous les jours », notamment lors de réunions virtuelles avec des représentants des CISSS et CIUSSS.

Plusieurs, dont l’avocat d’une demi-douzaine de CISSS et CIUSSS, ont reproché au ministère de n’avoir pas pris en compte les milieux de vie pour aînés dans sa préparation à la pandémie.

« Cette théorie-là provient d’observateurs externes du gouvernement qui vous rapportent des présomptions », a répondu Me Hodder. « Il est vrai qu’une attention particulière a été portée aux hôpitaux », puisque c’était eux qui étaient frappés de plein fouet dans les autres pays, a précisé Me Le Bel.
« Il est acquis que les CHSLD et la santé publique ont été les enfants pauvres du réseau […] depuis au moins trois décennies » – Me Luc de la Sablonnière, avocat de plusieurs CIUSSS
Source* : Enquête sur les décès en CHSLD | Le ministère de la Santé dément des allégations de témoins
Clôture
La coroner Géhane Kamel a clos son enquête «hors du commun» par son ampleur, jeudi, avec un message aux familles des victimes décédées en CHSLD lors de la première vague, au printemps 2020, durant laquelle des milliers d’aînés ont perdu la vie dans ces établissements.

Après une «longue traversée», un an et demi, 60 jours d’audiences et 220 témoins plus tard, Géhane Kamel a d’abord tenu à remercier son équipe : «Certains nous ont traités de fous, moi je vous dis qu’il faut surtout être de grands passionnés pour rêver ce monde».

Puis elle s’est adressée aux familles des victimes : «Vous qui avez perdu un être cher, merci de nous avoir fait confiance et d’avoir participé à cette enquête, aussi douloureuse qu’elle ait été», a-t-elle déclaré avant de nommer les 63 personnes auxquelles elle s’est intéressée dans le cadre de son investigation.

«Cette enquête doit être un devoir de mémoire, nous avons l’obligation de graver l’histoire afin de réaliser la seule chose qui importe : donner un sens à ces décès pour les familles et rendre aux défunts ce qu’ils ont cruellement perdu, leur dignité.»

La coroner a ensuite précisé que son enquête possède des «limites évidentes quant à son étendue légale», mais considère qu’elle les a tout de même «atteintes».

Elle a dit souhaiter que son rapport soit déposé «avant l’été 2022».

Source : Décès en CHSLD: la coroner Géhane Kamel clôt une enquête «hors du commun»

*Les principaux quotidiens ont publié le même article.