Retour sur «COVID-19 : des réponses à vos questions»

Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 4

Depuis des semaines, l’équipe de la coroner tente d’établir les causes et les circonstances des 4000 décès survenus en CHSLD entre les mois de février et septembre 2020. Or, une série d’informations contradictoires — sur la responsabilité des uns et des autres, sur l’existence de rapports de visites de vigie ou sur le niveau de préparation de Québec, par exemple — lui ont été présentées au fil des jours.

La confusion dans les témoignages rappelle les observations de la Commissaire à la santé et au bien-être, qui a écrit dans un rapport préliminaire, en septembre, que les soins aux aînés étaient désorganisés lors de la première vague.

Autres articles portant sur le volet national de l’enquête :

Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 1
Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 2
Volet national de l’enquête en CHSLD – semaine 3

29 novembre – INSPQ
Témoignage du Dr Jasmin Villeneuve
Dr Jasmin Villeneuve, médecin-conseil pour l’INSPQ depuis sept ans, concède d’entrée de jeu « On n’avait pas vu venir la rapidité [de propagation] dans ces milieux-là « .

Dès la fin du mois de janvier 2020, lINSPQ a procédé à une veille d’articles scientifiques, venus de partout dans le monde. Les articles étaient classés par thèmes et catégories, puis partagés quotidiennement sous forme de liste à de nombreux acteurs du milieu.

L’expert a par ailleurs indiqué que la pandémie a mis en évidence le besoin de consolider les pratiques de prévention et contrôle des infections en soins de longues durées. L’évolution rapide des connaissances a obligé les experts à s’ajuster rapidement et de façon continue. Le Dr Villeneuve estime nécessaire et toujours d’actualité d’augmenter les ratios d’infirmières spécialisées en prévention dans les milieux de soins.
ÉPI : Recommandations & Disponibilité
Il a affirmé que malgré les « pressions » auxquelles l’organisme a dû faire face, l’INSPQ n’a jamais tenu compte d’une éventuelle pénurie d’équipements de protection pour émettre ses avis scientifiques sur le port des équipements de protection individuelle (EPI).

Donc, a demandé la coroner Géhane Kamel, il n’y a pas eu de « pressions » pour adapter les recommandations de l’organisme à la pénurie de plusieurs types d’EPI sur le terrain ? « Dire qu’on n’a pas eu de pression, ce serait mentir, a répondu le Dr Villeneuve. Mais comment on la gère, cette pression ? Dans le cas du masque, ça n’a pas changé nos recommandations. Ce n’est pas à nous de gérer les stocks. »

Me Kamel s’est alors prononcée sur le double rôle du directeur national de santé publique, Horacio Arruda, qui est également sous-ministre. « Cette convergence-là me fatigue ». Elle a enchaîné en disant être « contente » d’entendre que l’équipe du Dr Villeneuve avait fourni pendant la pandémie des orientations « scientifiques ».

Il est également revenu sur les différentes recommandations de l’INSPQ concernant le port du masque. En janvier, un premier avis recommande aux travailleurs de la santé de porter le N95.
« Comme on n’avait pas beaucoup d’information, on y est allé avec le principe de précaution »
Or, ces recommandations ont changé le 18 mars : on recommande aux travailleurs de la santé de porter le masque en présence d’un cas confirmé. Et puis, le 3 avril, on conseille de porter le masque dans tous les cas où le travailleur de la santé se trouve à moins de deux mètres de l’usager.
Fin du témoignage de la Dre Jocelyne Sauvé
Dre Jocelyne Sauvé, vice-présidente aux affaires scientifiques à l’INSPQ, a affirmé que l’INSPQ s’était fié à Wikipédia ainsi qu’aux « chiffres qui sortaient de la Chine » pour faire ses prédictions.

Plusieurs scénarios ont été présentés le 9 mars 2020 au comité de direction du ministère de la Santé et, une semaine plus tard, au bureau du premier ministre François Legault.

La conclusion de l’INSPQ était qu’« Il fallait être très agressif dès le début de l’épidémie. Sans mobilisation, il causerait une maladie semblable à la pandémie de 1918. »

Sources :

Projections du début de la pandémie | L’INSPQ avait un « scénario catastrophe » à 56 000 morts
La coroner a reçu un «rapport vierge» et une «fiche Excel» sur les visites en CHSLD
Enquête sur la pandémie en CHSLD : la coroner va appeler de nouveaux témoins

30 novembre
Témoignage de Carol Filion
Après avoir livré ses recommandations pendant près de deux heures à l’enquête chargée de faire la lumière sur le drame qui s’est joué dans les CHSLD en raison de la COVID-19, Carol Filion, le pdg du CIUSSS MCQ a répondu à une question pointue de la coroner.

Elle concernait la lettre datée du 28 janvier 2020, qui attestait selon l’ex-ministre de la santé, Danielle McCann, qu’elle avait demandé au réseau de se mettre en action. Or, ce qui est clair pour l’ex-ministre n’est pas aussi limpide pour le pdg.

Après en avoir pris connaissance quelques instants, il a indiqué que, selon son interprétation, on s’adressait à son coordonnateur de sécurité civile, pour lui demander de mettre en branle les mesures d’urgences. Selon lui, ces directives ne constituent pas une demande claire et nette de mettre en place des actions dans les CHSLD. Pourtant, Danielle McCann avait déclaré que cette missive s’adressait à toutes les composantes du réseau, y compris les CHSLD.
Témoignage de Nicole Damestoy
Un changement de culture sera vital en santé publique pour se préparer adéquatement à la prochaine crise, selon la plus haute dirigeante de l’INSPQ, Nicole Damestoy. Et pourtant, les mécanismes qui auraient pu permettre d’atténuer les effets de la crise et éviter des décès étaient déjà existants, selon la coroner, qui estime que la santé publique aurait dû être prête à affronter la tempête.

Entre mars et mai 2020, près de 8000 questions de nature scientifique sont parvenues à l’Institut par l’entremise de différents interlocuteurs. L’INSPQ a fait des avancées majeures, des « pas de géants » selon sa pdg dans un contexte où les systèmes étaient désuets et les données instables, incomplètes et imparfaites. Elle estime que l’organisme qu’elle dirige a acquis l’expertise en la matière.
« On est dans la préparation de la prochaine urgence et ce n’est pas une vue de l’esprit. Il y a eu une accélération des maladies à potentiel épidémique. De conserver cet état d’alerte, c’est un atout ».
Source : CHSLD : la version de l’ex-ministre Danielle McCann contredite
1er décembre
Fin du témoignage de Natalie Rosebush
La coroner s’interroge sur le laps de temps écoulé entre le 28 janvier, jour où « on envoie une correspondance aux établissements qui n’est pas nécessairement comprise comme une alerte visant les CHSLD », et le 2 mars, date où l’on recense le premier cas de COVID-19.

La sous-ministre adjointe à la direction générale des aînés et des proches aidants au ministère de la Santé, Natalie Rosebush, affirme avoir été informée des risques auxquels la COVID-19 exposait les aînés à la fin de janvier ou au début de février, par des échanges avec la Sécurité civile ou la Santé publique. En février, elle explique que les préoccupations étaient principalement l’approvisionnement en équipements de protection, la préparation de la ligne Info-Santé et le protocole pour le retour des voyageurs.

Les CHSLD privés n’ont par contre reçu un guide de préparation à la pandémie que le 12 mars, comme l’avait révélé la Protectrice du citoyen dans son Rapport sur la première vague de la pandémie.

La coroner s’est montrée étonnée de la date, car le premier cas de COVID-19 signalée dans un CHSLD du Québec date du 2 mars.

La question des suivis effectués à la suite de visites de vigie en CHSLD a donné lieu à de longs échanges et à des explications confuses de la part de Mme Rosebush. Son nouveau témoignage a permis d’apprendre que certains inspecteurs n’ont pas eu le droit de rentrer dans des zones chaudes durant leurs visites dans les CHSLD en éclosions.

Sources :

Enquête sur les décès en CHSLD | « Trop peu, trop tard », estime la coroner
« Trop peu trop tard », les CHSLD privés appelés à se préparer le 12 mars 2020
CHSLD: un organigramme qui donne des migraines à la coroner

Documents déposés
Dès la mi-mars 2020, un mois avant le drame du CHSLD Herron, des gestionnaires de CHSLD avaient tiré la sonnette d’alarme sur la « catastrophe » à venir, en s’adressant à de hauts fonctionnaires du ministère de la Santé du Québec. C’est ce qu’on découvre dans des courriels déposés en preuve dans le cadre de l’enquête de la coroner.

Comme un mauvais présage, les représentants de milieux de vie pour aînés évoquaient tous les problèmes que le rapport de la protectrice du citoyen a plus tard établis comme responsables de la crise : les transferts de patients des hôpitaux vers les Centre d’hébergement et de soins de longue durée, les déplacements de personnel et les ruptures de services en raison du manque d’employés.

Ces courriels révèlent par ailleurs que des CHSLD manquaient urgemment d’équipements de protection, au moment même où le premier ministre François Legault affirmait à la télévision que les stocks se portaient bien.

S’il manquait de gestionnaires dans les CHSLD publics, il y en avait bel et bien dans les privés.
« C’est tellement dommage qu’on n’ait pas accepté l’expertise des gens qui étaient [sur le] terrain. On l’a balayée du revers de la main et c’est triste »
EPI

Le 12 mars, le MSSS prévient les 59 CHSLD privés conventionnés de se préparer à l’arrivée de la COVID-19. Lors de la conférence téléphonique, une haute fonctionnaire explique que les CISSS et CIUSSS leur fourniront les EPI, puisqu’ils ont la responsabilité des établissements de leur territoire. Mais pas le moindre masque, gant ou jaquette n’est livré.
Le 16 mars, la directrice de l’Association des établissements privés conventionnés (AEPC), Annick Lavoie, s’en désole auprès de la sous-ministre adjointe responsable des Aînés, Natalie Rosebush. Cette dernière lui promet de « faire le message ». Sauf que rien ne change.
Le 19 mars, Annick Lavoie met en copie le cabinet de la ministre des Aînés, Marguerite Blais. Plusieurs CHSLD se trouvent à ce moment-là en « situation précaire » et « critique », explique-t-elle. « Certains CISSS et CIUSSS contactés refusent d’approvisionner », alors que « nous faisons partie du réseau de la santé ». Elle exhorte le ministère à aider ses CHSLD « pour éviter le pire ».
Le 20 mars, interpellé à son tour, le sous-ministre adjoint chargé de la logistique, des équipements et de l’approvisionnement, Luc Desbiens, répond à Annick Lavoie que c’est la « crise ». Il avoue que « le MSSS n’a pas d’inventaire » et que « la majorité des établissements sont en manque d’EPI ». Le premier ministre a déclaré en direct devant les Québécois qu' »on a assez d’équipements à court terme » et qu' »il n’y a pas de besoins ».
Le 21 mars, Annick Lavoie en remet une couche dans un courriel à Natalie Rosebush : « Nous sommes rendus à un niveau de grande urgence. Les approvisionnements doivent être faits aujourd’hui. »
Le 22 mars, en point de presse, le premier ministre se montrera toujours aussi rassurant : « On est correct pour les quelques semaines qui viennent. »
Le 23 mars, il affirme même qu' »on est pas mal confortables avec les masques » et la ministre de la Santé de l’époque Danielle McCann ajoute : « À moyen terme, on a ce qu’il faut. »
Le 25 mars, le premier ministre annonce aux Québécois : « J’avoue qu’on a eu des petites difficultés dans la distribution du matériel aux différents établissements, puis on est en train de corriger ça. »
Le 31 mars, il admet « Je veux dire la vérité : pour certains équipements, on en a pour trois à sept jours ». Annick Lavoie affirme que, sur le terrain, c’était encore plus serré : « 24 heures ».
Le 6 avril, des CHSLD attendent toujours leurs EPI.

Personnel

Le 1er avril, 10 jours avant que le drame du CHSLD Herron n’éclate au grand jour avec des résidents abandonnés à leur sort, Annick Lavoie met déjà en garde le ministère : « Des CHSLD seront imminemment proches d’un bris de services en raison du manque de personnel. » Ces établissements « ont fait appel à leur CISSS/CIUSSS, mais ces derniers ne leur offrent aucune aide ». Elle avertit la sous-ministre adjointe Natalie Rosebush des risques que posent les déplacements de personnel d’un établissement à l’autre.
Le 24 avril, le propriétaire des CHSLD du Groupe Vigi et PDG de l’époque de l’AEPC, Vincent Simonetta, écrit une lettre au premier ministre pour solliciter une rencontre. Il ne recevra aucune réponse ni aucun accusé de réception.
La lettre du 22 mai au sous-ministre Yvan Gendron subira le même sort.

Transferts vers les CHSLD
Le 3 avril, des représentants de CHSLD demandaient au MSSS de mettre rapidement fin aux transferts de patients des hôpitaux vers des CHSLD, mais de n’est que cinq jours plus tard, alors que les CHSLD étaient submergés de cas de COVID-19, que Québec a cessé d’y envoyer des patients.

Le même jour a eu lieu un entretien entre la sous-ministre adjointe à la santé, Natalie Rosebush, et des représentants de l’AEPC.

Guy Joly, alors vice-président de l’AEPC, sonne l’alarme sur les transferts de patients des hôpitaux vers les CHSLD. Il dit qu’à Montréal, certains CHSLD ont perdu 30 % de leur personnel et qu’on y manque d’EPI, contrairement aux hôpitaux.

Il souligne qu’alors que l’on continue de leur envoyer plus de patients, les CHSLD ne peuvent plus de leur côté transférer leurs résidents malades vers l’hôpital depuis le 19 mars.

Il dit que seulement 400 lits d’hôpitaux sont occupés par des patients atteints de la COVID-19, alors que des milliers ont été libérés par le gouvernement au cours des dernières semaines (En mars 2020, environ 1000 patients aînés soignés dans les hôpitaux ont été dirigés en CHSLD afin de libérer 7000 lits dans le réseau de la santé).

Sources :

Des CHSLD avaient averti Québec de l’« hécatombe » à venir dès mars 2020
Transferts vers les CHSLD | « Cinq jours en temps de pandémie, c’est une éternité »

La suite
Les témoignages reprendront en janvier, notamment avec le responsable de la sécurité civile, Martin Simard et la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais.