Un automobiliste désavantagé par son handicap face à son assureur

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Une compagnie d’assurances a refusé l’avenant valeur à neuf à une personne handicapée parce que son véhicule a été modifié. En cause : l’absence de distinction entre des modifications apportées pour la performance et l’esthétisme et celles requises pour l’adaptation d’un véhicule.

David Migneron a sa main sur la boule au volant de son véhicule adapté.

David Migneron prêt à conduire avec les adaptations ajoutées à son véhicule.

Photo : Radio-Canada / Nancy Lambert

David Migneron a 36 ans. Il se remet difficilement d’un cancer du cerveau diagnostiqué en 2017. La maladie lui a laissé des séquelles pour la vie, affectant sa motricité du côté droit. Il est devenu une personne handicapée.

Père de trois enfants en bas âge, il souhaite collaborer à la vie familiale, malgré ses incapacités.

Électricien de métier, il ne peut plus travailler et doit faire le deuil de beaucoup de choses. Heureusement, il peut tout de même conduire. C’est l’une des choses qui lui tenaient vraiment à cœur, car, pour lui, c’est un synonyme de liberté.

Au début, je pensais que je ne conduirais pas. […] C’est un cadeau de la vie.

Une citation de David Migneron

En 2021, M. Migneron et sa conjointe, Marie-Hélène Dion, achètent un véhicule neuf pour répondre aux besoins de leur famille qui s’agrandit. J’étais enceinte de notre deuxième enfant. J’avais une petite voiture et on s’était dit que tant qu’à avoir une famille, on allait prendre un plus gros véhicule. Puis, David se sentait prêt à vouloir conduire, relate Mme Dion.

Prêt à conduire

David Migneron n’a alors pas conduit depuis quatre ans. Il rencontre une ergothérapeute qui évalue les adaptations à effectuer sur le véhicule pour qu’il puisse conduire. Il faut obligatoirement que je prenne une boule au volant, et puis les pédales sont inversées, explique M. Migneron.

Volant d'une voiture avec l'ajout d'une boule.

Les adaptations ajoutées sur le véhicule de David Migneron : une boule au volant et des pédales inversées.

Photo : Radio-Canada / Nancy Lambert

Sur cette boule au volant, tout est au même endroit : le klaxon, les essuie-glaces et les clignotants. M. Migneron doit apprendre à les utiliser.

Il suit des cours de conduite avec ces adaptations. Une fois l’examen réussi, il obtient son permis de conduire avec les mentions spéciales recommandées par l’ergothérapeute. Mon permis de conduire, je l’ai passé, souligne-t-il.

Les adaptations au véhicule

Au Québec, les modifications au véhicule pour une personne aux prises avec un handicap qui ne résulte pas d’un accident de la route sont payées par le Programme d’adaptation de véhicule du ministère des Transports. C’est la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) qui gère ce programme.

Plusieurs conditions doivent être respectées pour y être admissible, comme celle d’avoir l’intention d’utiliser le véhicule pendant au moins cinq ans.

Pour répondre aux exigences de la SAAQ, le couple achète un véhicule récent. Leur choix s’arrête sur un VUS.

Un accident de trop

Trois ans plus tard, en mars dernier, David Migneron a un accident en allant porter son fils à la garderie. Le véhicule est une perte totale. Puis les troubles commencent, commente-t-il. Pour Mme Dion, c’est la catastrophe. J’ai pleuré. J’étais un peu découragée de la situation, affirme-t-elle.

Le couple n’a alors plus de moyen de transport. Avec trois jeunes enfants, les parents veulent rapidement remédier à la situation. Ils sont limités dans leurs choix. Il faut un véhicule assez gros pour toute la famille, et assez récent pour être admissible au programme d’adaptation de la SAAQ. Ils choisissent finalement de racheter un VUS neuf, à plus de 49 000 $.

Le couple fait toutefois une grave constatation : puisque leur police d’assurance n’inclut pas l’avenant valeur à neuf, leur assureur leur rembourse 35 000 $ pour l’ancien véhicule, alors que le nouveau coûte 49 000 $.

Ils doivent donc débourser plus de 14 000 $ de leur poche.

Cet avenant n’est pas obligatoire, c’est un ajout à la police d’assurance. C’est une prime additionnelle qui vise à protéger l’assuré contre la dépréciation de la valeur de son véhicule.

On a vu que si on n’avait pas la valeur à neuf, on était pas mal perdants. […] Ça prend une valeur à neuf. S’il arrive quelque chose, on ne peut pas se le permettre. On ne peut pas se surendetter non plus.

Une citation de Marie-Hélène Dion

Refus de l’avenant valeur à neuf

Le couple avait déjà fait la demande pour obtenir l’avenant valeur à neuf dès que M. Migneron avait pu reprendre le volant, en 2021.

Mais comme le véhicule avait été modifié, TD Assurance lui avait refusé cet avenant, selon Mme Dion. À ce moment-là, je n’ai pas poussé plus loin, parce que j’étais enceinte. Je me suis dit, bon, on ne peut pas avoir la valeur à neuf. Mais je trouvais ça dommage étant donné que c’était une voiture neuve, explique-t-elle.

Après l’accident, le couple a insisté de nouveau pour obtenir l’avenant valeur à neuf pour son nouveau VUS. TD Assurance a refusé encore une fois. Un agent a alors fait une révélation importante à Mme Dion.

Dès que j’ai dit à la personne que le véhicule est adapté, il me dit : « Non, ça bloque dans le système, c’est impossible qu’on vous donne la valeur à neuf ». Puis j’ai demandé pourquoi. […] Il a dit : « Mes supérieurs me disent que c’est toute modification ».

Une citation de Marie-Hélène Dion

Un véhicule adapté ou un véhicule modifié?

Le problème, c’est que, dans son système, l’assureur ne fait pas de distinction entre un véhicule modifié pour des raisons esthétiques ou de performance et un autre adapté pour une personne en situation de handicap. Mme Dion est surprise et fâchée. J’ai dit : « Oui, mais il y a une différence entre une adaptation de performance ou esthétique et un choix de la personne ». Puis, une adaptation, c’est pour que la personne puisse conduire le véhicule.

Très impliqué dans la défense des droits des personnes en situation de handicap, Paul Lupien, président de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), croit que cette pratique est inéquitable. C’est facile de cocher « modifié », puis dire : « Ah ben là, ça ne marche pas. Moi, je ne peux plus rien faire pour toi ». […] Je trouve aberrant qu’on ne mette pas une case « adapté ».

Mme Dion a mal réagi aux propos de l’assureur. Si vous pensez que je vais rester avec une compagnie d’assurances qui discrimine les personnes à mobilité réduite, oubliez ça! On va canceller l’assurance, je m’en vais ailleurs. C’est pas vrai que je vais rester avec une assurance qui discrimine les personnes handicapées.

Je trouve que c’est de la discrimination pure.

Une citation de David Migneron

Une exception dans la Charte, avec des preuves

En principe, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne interdit la discrimination. Elle prévoit cependant une exception pour les compagnies d’assurances qui peuvent discriminer en fonction de l’âge, du sexe, de l’état civil et de l’état de santé.

Elles doivent, par contre, avoir des preuves du risque plus élevé.

Le juriste renommé en droits de la personne Julius Grey pense que refuser un avenant au couple est discriminatoire. Il explique : Le véhicule a été modifié, non pas pour être plus sexy, mais pour pallier un handicap. Il me semble que la Charte québécoise devrait s’appliquer.

Notre système n’est pas fait pour ça. Ce n’est pas une excuse pour la discrimination. […] On ne peut pas dire que notre système n’est pas fait pour ça, il faut modifier les systèmes.

Une citation de Me Julius Grey, avocat chez Grey Casgrain

Une autre source d’indignation pour le couple

TD Assurance n’a rien à payer pour les modifications au véhicule, puisque ces dépenses sont assumées par la SAAQ, et ce, même en cas d’accident. M. Lupien tient à préciser qu’avec la SAAQ, on passe une inspection […] Ils vérifient que le travail a été bien fait, que le véhicule est sécuritaire, donc on n’est pas pire conducteur qu’un autre.

Découragé, le couple s’est tourné vers son concessionnaire et a souscrit à une assurance de remplacement. Cette nouvelle assurance lui coûte près de 3000 $. C’est beaucoup plus cher que de payer pour l’avenant valeur à neuf.

Cela s’ajoute aux 14 000 $ que le couple doit payer parce qu’il n’a pas eu la valeur à neuf. Ces montants pèsent lourd sur ses finances. David est en invalidité, et moi, je suis maman à la maison en congé de maternité, à 55 % de mon salaire. Ce n’était pas prévu dans le budget, constate Mme Dion.

Ils ont aussi fait affaire avec un courtier pour changer de compagnie d’assurances.

Une industrie qui doit se mettre à jour

Selon les dernières données disponibles à la SAAQ, il y avait en 2022 plus de 9000 véhicules modifiés pour l’esthétisme ou pour améliorer leur performance sur les routes du Québec.

Près de 1500 demandes d’adaptations (y compris les adaptations/remplacements/réparations) ont été faites en 2022 dans le but de modifier un véhicule pour permettre à une personne handicapée de se déplacer.

Paul Lupien croit que les assureurs doivent revoir leur système. Le choix des mots est important, puisque « modifié » et « adapté » ne signifient pas la même chose. L’industrie doit faire ses devoirs et doit se conformer aux lois. Et de dire, bien, quand c’est adapté, c’est une personne handicapée. On doit inclure la personne, on parle d’inclusion.

Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) affirme n’avoir jamais été interpellé par un dossier de cette nature et ne croit pas que le problème soit généralisé. Mais il indique qu’il consultera ses membres à ce sujet.

Pourquoi le refus de l’avenant valeur à neuf pour un véhicule modifié?

Le BAC explique que pour les véhicules modifiés, les assureurs refusent ou ont des réticences à offrir l’avenant valeur à neuf pour des véhicules sport, de luxe ou des camionnettes soit parce qu’ils représentent un risque d’accident ou de vol plus grand, soit parce que le montant à débourser advenant un sinistre excède le montant que l’assureur est disposé à débourser, soit parce que le règlement d’un sinistre implique des travaux et une expertise particulières.

TD Assurance se rétracte

Dans un courriel, TD nous affirme qu’elle compte mettre à jour ses polices d’assurance et s’excuse pour le cas de M. Migneron et Mme Dion.

Nous sommes désolés de l’expérience vécue par notre client. […] Nous comptons les mettre à jour afin d’offrir des protections additionnelles pour les véhicules qui sont modifiés en raison d’une incapacité.

Une citation de TD Assurance

TD Assurance affirme aussi que l’inclusion des personnes ayant une incapacité fait partie des valeurs fondamentales de la TD et nous sommes conscients que nous devons être à l’écoute de nos clients pour progresser à cet égard.

À la suite de notre demande d’explications, TD Assurance a changé son fusil d’épaule. Elle a annoncé au couple qu’elle lui offrait l’avenant valeur à neuf.

Mais pour Marie-Hélène Dion, il est trop tard : C’est plate qu’il ait fallu que plusieurs personnes interviennent pour qu’au final, ils nous l’offrent.

C’est trop peu, trop tard. Je me sens brimé dans mes droits. C’est pour ça qu’on a entamé des démarches auprès de la Commission des droits de la personne.

Une citation de David Migneron

Plainte à la Commission des droits de la personne

Le couple ne souhaite pas que d’autres personnes vivent cette fâcheuse situation et veut que les choses changent. Il a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Cette dernière nous a indiqué qu’elle ne pouvait rien dire sur les enquêtes individuelles.

Publié le 02 octobre 2024
Par Melissa Pelletier