Les vertus de la petite taille

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Les mini-véhicules de transport en commun comme ceux utilisés dans les cœurs historiques des villes européennes peuvent jouer un rôle important dans les agglomérations nord-américaines. Mais ils ne remplacent pas les services poids lourds réguliers.

Un minibus électrique traverse le centre-ville de Munich pour un essai. Le nouveau service Altstadtmobil a pour objectif de faciliter le transport des personnes à mobilité réduite. (Photo : Peter Kneffel / picture alliance / Getty Images ; montage : L’actualité)

Auteur de plusieurs livres, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne depuis une douzaine d’années des conférences sur la mobilité durable. Dans son infolettre Straphanger, il raconte ce qu’il observe de mieux et de pire en matière de transport urbain chez nous et lors de ses voyages autour du monde.

En raison de mon intérêt pour les transports, je suis toujours à l’affût de tout ce qui est nouveau et inhabituel pour moi. Il y a quelques années, alors que je me promenais sur la Viale di Trastevere, l’artère principale de l’un de mes quartiers préférés de Rome, j’ai vu le petit bus ci-dessous — adorable, n’est-ce pas ? — garé sur le trottoir. J’ai pris une photo et l’ai partagée sur Twitter (le Twitter d’avant Elon, lorsque publier sur les transports semblait moins compliqué). J’ai légendé la photo ainsi : « Concevez vos véhicules pour qu’ils s’adaptent à votre ville, et non l’inverse. »

À l’époque, je pensais que la forme des villes était parfois déterminée par la taille des véhicules qui circulent dans les rues. Je songeais en particulier aux intersections incroyablement larges dans les nouveaux lotissements en Amérique du Nord, dont la taille est notoirement déterminée par le rayon de braquage des camions de pompiers. (Jeff Speck parle de ce phénomène dans son livre Walkable City.) Les codes et les documents d’urbanisme stipulent trop souvent ceci : vous devez essentiellement construire des carrefours et des rues résidentielles trop larges qui rendent tant de lotissements repoussants et dangereux pour les piétons et pour quiconque n’est pas dans une voiture.

Ce minuscule autobus, qui peut accueillir tout au plus une douzaine de passagers, semblait parfaitement adapté aux vicoli et vie étroits et séculaires (euh, millénaires) de la Ville éternelle. Depuis, j’en ai vu dans de nombreuses autres villes, y compris à Sienne, où ce type de véhicule est connu sous le nom de Pollicino (du nom de son fabricant). Le centre historique de Sienne est interdit aux voitures (on accède au Campo, la célèbre place ovale, par une série de très longs escaliers roulants reliés entre eux depuis la gare), mais ces petits autobus urbains, tout comme les voitures des résidents du centre, sont autorisés à y pénétrer. Ils circulent très lentement, surtout pendant la passeggiata, la promenade du soir où les rues se remplissent de piétons.

Je les ai également empruntés à Grenade, une ville de montagne en Espagne, où de puissants petits bus grimpent les pentes du centre ; très pratique après une longue journée, éprouvante pour les ischiojambiers, à explorer les grottes de flamenco et l’Alhambra, ou lorsque la chaleur de l’après-midi commence à vous assaillir.

Au fil des ans, j’ai publié des photos d’autres petits bus, généralement avec une variante de la maxime « Concevez vos véhicules pour qu’ils s’adaptent à votre ville, etc. ». 

Par ailleurs, inspiré par un article rapportant que certains agriculteurs américains choisissent d’importer de petits — voire de minuscules — camions du Japon, plutôt que de payer jusqu’à 80 000 dollars pour un pickup Ford ou GM, j’ai écrit sur les vertus des camionnettes (vous pouvez trouver mon « Éloge du petit camion » ici).

Lorsque j’ai republié une photo de l’un de ces minuscules bus romains il y a quelques semaines, Jarrett Walker, consultant international en transports en commun établi à Portland (et auteur de l’incontournable Human Transit), a écrit : « J’adore @grescoe, mais les transports en commun utiles dans les villes ne sont pas les véhicules microscopiques. Ce qui compte, c’est le rapport entre le nombre de passagers et le nombre d’employés, et il faut des véhicules de grande taille pour répondre à une demande importante. Beaucoup de villes ont un truc mignon comme ça pour les touristes ou les personnes âgées, mais ce n’est pas ainsi que la ville se déplace. »

Ma première réaction a été de dire : « J’aime aussi ce que vous faites, @humantransit ! » (Comme l’a souligné un internaute, « les guerres de territoire entre urbanistes sur les médias sociaux sont d’une politesse désopilante ». C’est vrai, surtout quand l’un des débatteurs en question est canadien, eh ?) Ma deuxième remarque était la suivante : en réalité, il n’y a pas de territoire à disputer. Jarrett et moi souhaitons tous deux promouvoir les transports en commun qui fonctionnent et expliquer les solutions de rechange à l’urbanisme basé sur la voiture. Il n’y a pas de bataille, juste une tentative de comprendre les choses et de trouver la vérité.

Ma troisième réaction a été celle-ci : Jarrett a tort de dire que les bus « mignons » sont principalement destinés aux touristes ; à Rome, Chongqing, Grenade et Sienne, ils sont surtout utilisés par les habitants. Il aborde la question dans une perspective nord-américaine. En d’autres termes, du point de vue de la pauvreté en matière de transport. La plupart des villes des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Canada sont scandaleusement pauvres en transports en commun ; certaines villes, comme Arlington, au Texas, qui compte 400 000 habitants, n’en ont pas du tout. L’un des coûts les plus importants pour une agence de transport est la rémunération des chauffeurs. Dans la plupart des pays d’Amérique du Nord, il est donc logique de disposer de véhicules de grande taille, ce qui réduit le nombre de chauffeurs rémunérés par rapport au nombre de clients. De cette façon, vous en avez plus pour votre argent, qui est très limité.

Mais les choses sont différentes lorsque l’on vient d’un pays riche en transports en commun, d’une société qui a choisi de les valoriser et de leur donner la priorité sur les routes, les autoroutes et toutes les autres formes d’infrastructure automobile. Dans ces endroits, les petits véhicules de transport en commun remplissent une fonction essentielle. Dans la ville de Bogotá, en Colombie, par exemple, une métropole à la banlieue tentaculaire, de petits bus (appelés en anglais feeders) amènent les usagers de leur domicile aux gros autobus articulés de la ligne principale du TransMilenio, qui les transportent à vitesse élevée sur les grands boulevards de la ville.

Ces véhicules de transport en commun microscopiques sont particulièrement adéquats pour s’engouffrer dans les rues labyrinthiques des centres-villes historiques (Rome, Grenade), dont certains sont des zones interdites aux voitures (Sienne). Ils sont souvent utilisés par les personnes âgées ou handicapées. Aux États-Unis, j’ai emprunté les bus DASH dans le centre de Los Angeles. Ils ne coûtent que 50 cents par trajet et remplissent une fonction similaire : remplir un vide dans ce qui serait autrement un « désert de transport ».

Bien entendu, le transport adapté, qui permet aux personnes, souvent âgées ou à mobilité réduite, de réserver un véhicule de transport en commun (petit bus, fourgonnette, taxi ou même Uber), est une itération de ce concept. Le transport adapté comble les lacunes de nombreux services municipaux. Il est très coûteux pour une agence de transport, mais il est nécessaire pour atteindre ses objectifs d’équité.

Il existe une distinction importante entre le transport adapté et ce dont je parle ici. Le transport adapté est généralement un service à la demande : les personnes qui en ont besoin appellent une agence de transport, ou utilisent un ordinateur ou une application, pour commander un véhicule qui se rendra à leur porte. Les services de petits bus présentés sur les photos sont intéressants précisément parce qu’ils sont conformes à la définition originale du transport public (qui remonte à son inventeur, le philosophe français du XVIIe siècle Blaise Pascal) : ils suivent un itinéraire fixe et partent à des heures régulières.

Le transport rapide personnalisé, ou TRP, fait également appel à de petits véhicules. Au fil des ans, il y a eu de nombreuses tentatives de construire des réseaux ferroviaires avec des voitures de type « pod » ; le TRP de Morgantown en est un exemple, et des tests ont été effectués en France, dans les années 1980, avec un système nommé Aramis. Je suppose que les tunnels Tesla d’Elon Musk, dans le centre des congrès de Las Vegas, sont un essai de TRP utilisant des voitures sans conducteur plutôt que des wagons. Aucun de ces systèmes ne s’est imposé. Les petits bus que je décris ne sont pas des TRP ; vous partagez le véhicule avec d’autres passagers, bien que le nombre de clients soit généralement inférieur à deux douzaines.

Les véhicules de transport en commun autonomes constituent une tentative de résoudre le problème du coût de la rémunération des chauffeurs. Au fil des ans, j’en ai vu de nombreux lors de salons professionnels et j’ai entendu parler de leur présence sur les routes de Chine, de Suisse, de Corée, de France et d’Autriche. L’idée est logique d’un point de vue financier — éliminer le coût de la rémunération des chauffeurs en éliminant les chauffeurs ! —, mais dans la pratique, elle ne semble pas fonctionner aussi bien. Selon cet article de 2021 (en allemand), qui rend compte de 12 000 km de tests sur les routes autrichiennes, « il y a toujours des problèmes liés aux conditions météorologiques, en été comme en hiver. Les vents forts, les chutes de neige légères, les fortes pluies ou le brouillard demandent que les bus autonomes soient conduits manuellement. Le marché a encore beaucoup de travail à faire avant que ces véhicules puissent être utilisés régulièrement ». Les véhicules de transport en commun sans conducteur qui circulent sur des voies de guidage fixes, comme le SkyTrain à Vancouver, le Docklands Light Railway à Londres et le métro de Lille, sont étonnamment robustes. Mais il semble que les petits véhicules de transport en commun sans conducteur ne fonctionnent pas très bien sur les routes. Tout comme l’avenir des voitures autonomes, l’avenir des autobus sans conducteur semble toujours être un mirage à un horizon de cinq ans.

Alors, en matière de transports en commun, la petite taille a-t-elle vraiment des vertus ? La réponse est non pour les environnements pauvres en transports en commun, où tirer le meilleur parti de ressources limitées signifie qu’il faut réduire le nombre de conducteurs par rapport au nombre d’utilisateurs. Pour l’instant, cela s’applique à la majeure partie de l’Amérique du Nord.

En revanche, dans un environnement riche en transports en commun, la réponse est catégorique : oui ! Les petits véhicules permettent de se rendre dans des environnements urbains et suburbains autrement difficiles d’accès — sommets de montagnes, centres historiques, lotissements. Le microtransit ne formera jamais une base solide pour un système de transport en commun à l’échelle d’une ville, mais il constitue un complément judicieux aux lourds systèmes d’autobus et de trains. Comme le dit Jarrett Walker, le microtransit est un outil permettant d’assurer une couverture, et non d’augmenter ou de maintenir le nombre d’usagers.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée dans l’infolettre Straphanger, de Taras Grescoe.

Publié le 23 décembre 2024
Par Taras Grescoe