Une amputation pratiquée il y a 31 000 ans est la plus ancienne chirurgie connue

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Les traces d’une amputation chirurgicale pratiquée il y a 31 000 ans ont été observées sur un squelette humain trouvé dans la grotte de Liang Tebo de Bornéo, en Indonésie, par l’archéologue et géochimiste québécois Maxime Aubert et ses collègues de l’Université Griffith en Australie.

Jusqu’à maintenant, la plus ancienne preuve d’une telle intervention chirurgicale avait été détectée sur un squelette datant de 7000 ans découvert en 2010 sur un site néolithique en France.

Les scientifiques liaient d’ailleurs l’émergence de la médecine à la révolution néolithique d’il y a environ 10 000 ans, lors de l’avènement de l’agriculture et de la sédentarisation.

La présente découverte, dont le détail est publié dans la revue Nature (en anglais), bouleverse ainsi les connaissances en révélant que des chasseurs-cueilleurs pratiquaient la chirurgie des milliers d’années plus tôt que ce qui était estimé à ce jour.

Le professeur Aubert et son équipe avaient révélé en janvier 2021 l’existence, en Indonésie également, des plus vieilles peintures figuratives connues : l’image d’un sanglier, peinte sur la paroi d’une grotte de l’île de Sulawesi il y a 45 500 ans. Il a d’ailleurs été nommé Scientifique de l’année 2021 pour cette découverte.

Au début de 2020, l’équipe de Maxime Aubert a investi la grotte de Liang Tebo pour y dater les peintures rupestres qui s’y trouvent. C’est à cette occasion qu’elle a découvert la sépulture d’un Homo sapiens.

« Il est très rare de découvrir des squelettes humains de cet âge-là. Il était disposé dans un trou dans une position fœtale avec des objets autour de lui, dont une grosse boule d’ocre rouge (utilisé pour réaliser les peintures sur les parois des grottes) près de la bouche ou dans la bouche », a expliqué M. Aubert à la journaliste Sophie-Andrée Blondin dans une entrevue diffusée à l’émission Les années lumière dimanche le 11 septembre.

Les archéologues ont rapidement remarqué que le squelette était particulier. « Il manquait une partie de la jambe et le pied gauche manquait », note le professeur. Il est possible d’y voir une coupure droite très nette et des signes de réparation osseuse sont également observables au microscope, ce qui prouve, selon les scientifiques, qu’il s’agit d’une amputation chirurgicale.

« Cette personne était un adulte au début de la vingtaine, mais l’amputation avait eu lieu au moins 6 à 9 ans avant sa mort. » – Maxime Aubert, archéologue et géochimiste.

Selon M. Aubert, une amputation provoquée par une chute ou une attaque d’animal n’aurait pas été aussi régulière.

Les chercheurs ne savent pas avec quel type d’instrument l’intervention a été réalisée, mais ils pensent qu’il s’agit d’un outil en pierre taillée.

En outre, cette amputation montre que les humains de cette région à cette époque reculée avaient des connaissances d’anatomie, du système musculaire et vasculaire humain.

« Ils ont coupé la jambe pour assurer la survie de cet individu. Il fallait qu’ils sachent où couper et comment négocier les veines. Il fallait aussi qu’ils arrêtent le sang. Ils devaient avoir des connaissances de plantes médicinales puisqu’on ne voit aucune trace d’infection. » – Maxime Aubert

La plaie du jeune adolescent a dû être régulièrement nettoyée et désinfectée pour prévenir toute hémorragie ou infection postopératoire pouvant entraîner la mort. « Cela suggère que ces gens-là avaient probablement une pharmacie, qu’ils connaissaient les plantes locales », a ajouté Maxime Aubert.

Un sexe difficile à déterminer

Le squelette possède des attributs masculins et féminins. L’une des hypothèses avancées par les chercheurs est que cette personne aurait peut-être connu « un problème au niveau des glandes endocrines qui sécrètent les hormones, mais ça reste à confirmer », estime M. Aubert. « Le squelette pourrait appartenir à une personne intersexuelle qui possède les attributs des deux sexes.

En outre, l’état physique du jeune amputé a probablement contraint son entourage à s’en occuper, ce qui témoigne d’un comportement altruiste chez ce groupe de chasseurs-cueilleurs.

Cette découverte « apporte un nouvel éclairage sur les soins et traitements prodigués dans un lointain passé, et chamboule notre vision selon laquelle ces questions n’étaient pas prises en considération à la préhistoire », affirme Charlotte Ann Roberts, archéologue à l’Université de Durham au Royaume-Uni, dans un commentaire accompagnant l’étude.

L’équipe de Maxime Aubert procédera à de nouvelles fouilles l’année prochaine dans la grotte de Liang Tebo afin d’en apprendre davantage sur les humains qui la peuplaient.

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Publié le 09 septembre 2022
Par Alain Labelle