À la première gorgée, la paille en papier ne vous fait pas sourciller. Mais vers le fond du verre, le carton mouillé se mêle au goût de votre smoothie. Les pailles biodégradables sont loin de faire l’unanimité chez les consommateurs. Et leurs bienfaits pour l’environnement seraient négligeables, selon des experts.
Le gouvernement fédéral a récemment adopté le Règlement interdisant les plastiques à usage unique, qui bannira la fabrication, l’importation et la vente de six catégories de produits en plastique, incluant les sacs d’épicerie et les pailles, sur le territoire du Canada.
Ce règlement entrera progressivement en vigueur à partir de décembre 2022, jusqu’en 2025. Bon nombre d’entreprises ont déjà décidé de remplacer leurs pailles en plastique pour des pailles en papier. C’est le cas notamment de Tim Hortons, McDonald’s, A&W, Harvey’s, Starbucks et Cineplex.
Selon Mariam Alawi, coordonnatrice des communications chez Cineplex Canada, la transition vers les pailles biodégradables date de 2019 dans les Cineplex du pays. Elle considère que «c’était la bonne chose à faire».
Starbucks a également enlevé toutes les pailles en plastique de ses succursales l’année dernière. La compagnie offre des options en papier, mais elle a également développé des «couvercles sans pailles» en 2018 pour limiter leur nécessité, explique Leanna Rizzi, responsable des communications chez Starbucks Canada.
Les restaurants Ashton résistent encore à la tendance. «Les pailles de papier qui existent actuellement se désagrègent trop rapidement. Le résultat ne répond pas à nos critères de qualité», affirme Mylène Beaulieu, responsable des communications chez Ashton.
D’ici l’application de l’interdiction fédérale, la compagnie québécoise considère que «l’industrie aura réussi à améliorer les pailles écologiques» et pourra alors les distribuer.
Samantha Bayard, porte-parole du ministère de l’environnement du Canada, explique qu’ à partir de décembre 2025, ceux qui continuent de distribuer des pailles en plastique feront face à des sanctions, pouvant aboutir, sur déclaration de culpabilité, à des amendes d’au plus 12 millions de dollars, à une peine de prison maximale de trois ans, ou les deux.
Elle reconnaît tout de même que cette transition sera un fardeau plus lourd pour les petites et moyennes entreprises.
«Le gouvernement a prévu une période de transition appropriée dans le Règlement pour permettre aux entreprises de s’adapter aux nouvelles règles avec un minimum de perturbations. En ce sens, la fabrication et l’importation seront interdites un an avant l’interdiction visant la vente, ce qui laissera le temps aux entreprises d’épuiser leurs stocks», estime Mme Bayard.
Une mesure symbolique
Pour Laurence Godin, professeure adjointe en sciences de la consommation, l’abolition des pailles en plastique n’est qu’une mesure symbolique. «Sur la somme du plastique qu’on consomme dans une journée, dans une semaine, dans une année, c’est absolument négligeable» affirme-t-elle, catégorique.
Selon elle, cette mesure est essentiellement une stratégie de communication pour les grandes compagnies et le gouvernement. «Ça montre le caractère uniquement symbolique de cette politique et de cette interdiction, parce que c’est vraiment mineur comme posture. On fait beaucoup de bruit avec ça, on montre qu’on fait un pas en faveur de l’environnement, alors que le regard devrait être ailleurs», considère-t-elle.
Claudia Déméné, professeure agrégée à l’École de Design de l’Université Laval, explique que les pailles en papier ont, elles aussi, un impact nocif sur l’environnement, notamment parce que leur durée d’utilisation est semblable à celle des pailles en plastique, voire plus courte.
«Au-delà du fait qu’elles ramollissent très vite quand on s’en sert (ce qui pourrait amener l’usager à gaspiller le contenu qu’il boit ou à recourir à une autre paille donc double impact), la fabrication de papier a, lui aussi, un impact sur l’environnement (ex. consommation d’eau, de pesticides, d’engrais, etc.)», soulève-t-elle.
Mme Déméné admet que les pailles réutilisables, comme celles faites de bambou ou de métal, retardent la production de déchets si elles sont utilisées de nombreuses fois. Mais ce ne sont pas des solutions parfaites pour autant, car elles «nécessitent l’utilisation d’énergie, d’eau et de détergent, qui eux aussi ont un impact sur l’environnement lors de l’utilisation.»
Elle ajoute également que les pailles en bambou ou en métal sont lourdes, et nécessitent plus d’énergie pour être transportées.
Bernard Korai, chercheur et professeur en sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval, considère également que l’élimination des pailles en plastique n’a qu’une «incidence marginale».
D’ailleurs, une étude scientifique réalisée au Brésil arrive à la conclusion que les alternatives à la paille en plastique (comme celles de papier ou de bambou) auraient des impacts environnementaux de 2,4 à 6,5 fois plus importants que celles en plastique.
Toutefois, Bernard Korai précise que «ces études présentent des limites comme la prise en compte, par exemple, des impacts sur la biodiversité.»
Alors, quelle est la solution?
Forcer les consommateurs à transporter leur propre paille ?
Pas nécessairement selon Claudia Déméné. «C’est un peu le même enjeu qu’avec les sacs d’épicerie réutilisables. Le risque est de multiplier les achats et de ne pas les utiliser autant que possible, ce qui annulerait le bénéfice environnemental attendu.»
Mais Bernard Korai pense que ce pourrait être une avenue possible.
« Tout est une question d’habitude et d’éducation. Je pense que si les consommateurs sont réellement sensibilisés, cela devrait se faire progressivement. » — Bernard Korai
Pour la professeure Laurence Godin, la solution est simple, il faut simplement, autant que possible, ne plus utiliser de pailles. «C’est toujours ça la question dans le domaine de la consommation durable. Est-ce que c’est vraiment nécessaire ?», soulève-t-elle. «Dans le cas des pailles, que ce soit en plastique, en verre ou en papier, je pense qu’on peut raisonnablement imaginer qu’on viendrait diminuer drastiquement leur utilisation.»
Un enjeu d’accessibilité
Laurence Godin soulève tout de même que certaines catégories de la population devraient avoir un accès facile à des pailles en plastique.
«Pour certaines personnes handicapées, tout ce qui est plus rigide, comme les pailles en papier ou en métal, ça ne leur convient pas, ça ne permet pas de remplir leurs besoins. Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte quand on réfléchit à ce genre d’enjeux là.»
Le ministère de l’environnement du Canada dit en avoir pris compte dans son règlement. «Les pailles flexibles en plastique à usage unique demeureront à la disposition des Canadiens qui en ont besoin pour des raisons médicales ou d’accessibilité, que ce soit pour une utilisation à domicile, dans un cadre social ou dans un établissement de soins», affirme Samantha Bayard, porte-parole.
Le Règlement autorise la vente sur demande de pailles flexibles en plastique en paquets de 20 ou plus, ce qui permet aux personnes qui en ont besoin d’en apporter au restaurant ou dans un autre cadre social.
Les établissements de soins de santé tels que les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée pourront également utiliser des pailles flexibles en plastique à usage unique après 2025.