Arthur vient de terminer sa première année au secondaire. Sa maman, «épuisée» par l’absence de service de surveillance après l’école, peine à concevoir passer au travers de l’été et n’ose même pas imaginer la prochaine rentrée scolaire. L’an prochain, Sarah et sa famille sauteront dans le même manège. Bien malgré eux.
«On a un genou à terre», souffle Geneviève Côté au bout du fil.
Pour son fils, Arthur, et tous les autres élèves, l’année scolaire vient de se terminer. Le passage du primaire au secondaire s’est ainsi complété non sans embûches pour la famille du jeune homme de 14 ans.
Il ne s’agissait pas d’une transition normale pour l’adolescent. Né avec le X fragile, un syndrome génétique qui provoque notamment un retard de développement, de l’hyperactivité et de l’autisme, Arthur fréquente une classe spécialisée de l’école de La Cité, à Limoilou, qui possède un mandat régional pour accueillir des jeunes autistes ou déficients intellectuels.
En juin 2021, Le Soleil vous racontait d’ailleurs l’histoire du jeune homme et sa famille, quelques semaines avant sa grande entrée au secondaire.
Sa mère venait tout juste d’apprendre que, contrairement au primaire, son nouveau milieu scolaire n’offrait pas de service de garde [appelé service de surveillance] après les classes. Même si elles terminent à 14h45 et que certains jeunes, comme Arthur, ne sont pas assez autonomes pour regagner la maison tout seuls, leur âge de développement s’apparentant à celui de bambins.
«Constante» adaptation
Depuis, une année scolaire s’est écoulée. Malgré les pressions, aucun service de surveillance pour jeunes à besoins particuliers n’a pu être offert après les heures de cours. «La conclusion, c’est que ça a contribué à notre épuisement, le fait de ne pas avoir ce service après l’école. C’est le principal facteur qui a rendu difficile notre qualité de vie. Nos appels à l’aide se sont avérés vains», témoigne-t-elle.
En tant que maman d’un adolescent handicapé, Geneviève a pourtant l’habitude de s’adapter, souligne-t-elle. L’absence d’un service de surveillance a toutefois rendu «la vie plus complexe à organiser». Parce que les solutions ne pleuvent pas.
Urgentologue de profession, Geneviève n’a pas l’opportunité de télétravailler afin d’accueillir son fils à la maison en fin de journée. Les gardiennes assez expérimentées pour s’occuper d’un ado comme Arthur ne courent pas les rues non plus. Et ce, même pour les organismes d’aide. Le centre communautaire Patro Roc-Amadour, où s’offraient des services de surveillance à une vingtaine d’élèves, a dû y mettre un terme.
«On a cessé le service en décembre, parce qu’on n’avait plus aucun intervenant après Noël pour poursuivre. Ça faisait plusieurs années qu’on avait de la difficulté à l’offrir, alors ce n’est pas prévu à court ou moyen terme de le relancer», confirme Julie Leblond, directrice des services adaptés au Patro Roc-Amadour.
Avec la fin de ce service, le Patro a tenté de diriger les parents vers d’autres ressources, mais ces dernières débordent déjà. L’organisme à but non lucratif les Maisons des Petites Lucioles, qui offre un service de répit, recommencera à accueillir des élèves après l’école, à l’automne, mais sans savoir combien.
«Avec la réalité de pénurie de main-d’œuvre, le nombre de places dépend grandement du nombre d’intervenants qu’on est capable de recruter», convient la directrice générale adjointe, Léonie Dancause.
«Il manque toujours 1h30 à la fin de journée pour juste réussir à travailler, à faire la préparation du souper, s’essouffle Geneviève. Mon conjoint et moi, on a dû changer nos horaires de travail constamment pour s’adapter. On a tricoté pour arriver à quelque chose cette année.»
Mais plus le temps passe, plus l’énergie s’effrite. Surtout que plusieurs camps de jour adaptés ont, accessoirement, dû couper des services adaptés pendant la saison estivale, bien souvent faute de personnel.
En plein été, pour plusieurs une source de joie et de relaxation, Geneviève angoisse. Elle assume que ce qui lui pend au bout du nez à la rentrée de l’automne n’aura rien de plus facile. Le problème des fins de journée reste «entier».
«Je ne pense pas que j’ai la force d’attaquer une autre année comme ça. On arrive épuisés à l’été et on va retomber dans la même organisation. On veut pouvoir continuer à travailler, ça nous nourrit, mais ça va prendre des changements. Ça nous prend de l’aide.»
Au tour de Sarah et de sa famille
Quand l’école recommencera, ce sera au tour de la famille de Sarah d’être entraînée dans le tourbillon de la transition vers le secondaire. La jeune fille, qui approche de ses 13 ans, est non-verbale. Si elle n’a jamais réussi à obtenir un diagnostic clair, tous les experts s’entendent pour dire qu’elle «a un comportement de type autistique».
«Elle est très mobile, c’est une enfant curieuse, pleine d’amour et toujours souriante, souligne avec tendresse sa mère, Stéphanie Leclerc. Mais elle n’a pas le sens du danger.» Avec son développement cognitif équivalent à celui d’un bambin de 22 mois, mais son corps d’adolescente, il est impensable de la laisser revenir à la maison seule.
Jusqu’ici, Sarah allait à l’école Anne-Hébert de Sainte-Foy, un établissement «pratiquement parfait», selon sa mère. «Tout est fait pour [les enfants à besoins particuliers]. C’est sur mesure, avec du personnel dévoué. Ils ne sont jamais seuls», souligne-t-elle.
Une fois les classes terminées, Sarah restait dans son environnement, devenu un «service de garde» jusqu’à ce que ses parents viennent la chercher, vers 16h. L’école offrait également ce service lors des nombreuses journées pédagogiques.
Maintenant que Sarah entre au secondaire, sa famille ne pourra plus compter sur ce mince répit, qui leur permettait de travailler après dîner. Ses parents devront être à la maison vers 14h20, tous les jours, puisque c’est l’heure où les transports débutent.
«Je ne sais pas comment ça va finir, laisse tomber Stéphanie. J’imagine qu’on va encore s’organiser avec des congés sans solde». Mais si, jusque-là, la famille a réussi à manœuvrer avec tout ce qu’impose avoir un enfant à besoins particuliers, le fardeau supplémentaire du secondaire pourrait bien être la goutte de trop.
«Au secondaire, on parle 31 journées pédagogiques, en comptant le congé de Noël et la relâche, en plus des après-midis où on ne pourra pas travailler, des jours où il y a des rendez-vous et de l’été, où on ne trouve pas de camps de vacances», met en lumière la mère de Sarah.
«Ça n’a pas de bon sens qu’on arrête d’offrir un service en arrivant au secondaire, en mettant encore le poids sur les parents. On en gère déjà beaucoup, on s’adapte toujours, mais c’est encore à nous de prendre plus de congés, d’avoir moins de salaires.
«Honnêtement, je crains l’épuisement des prochains aidants, laisse tomber Stéphanie Leclerc. Je ne sais même pas comment on, comme parents, fait encore», souffle-t-elle, après une longue pause.
Et cette crainte, Stéphanie et sa famille ne sont pas les seuls à la vivre. «Sur mes réseaux sociaux, il y a plein de gens qui lancent des semblants d’appels à l’aide. Autour de nous, beaucoup de gens sont dans la même situation. C’est déchirant», témoigne-t-elle.
«Pour certains, ça va finir qu’un parent va quitter son travail. Pour d’autres, ça sera des demandes de placements.»
Pas de changement l’an prochain
Les mamans d’Arthur et de Sarah n’ont plus d’«espoir» de voir naître un service de surveillance d’ici l’année prochaine à l’école de La Cité. Surtout que la date limite des organisations pour soumettre des projets au ministère de la Famille, qui dispose d’un programme pour soutenir financièrement leur implantation, est dépassée.
Le Centre de services scolaire de la Capitale confirme que «pour l’année 2022-2023, l’école est toujours dans l’impossibilité d’offrir ce service».
La demande est pourtant présente. Parmi les 98 élèves inscrits en classes spécialisées en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme, près d’une vingtaine bénéficiaient ou étaient inscrits sur une liste d’attente pour bénéficier l’année dernière du service de surveillance au Patro Roc-Amadour, avant que ce dernier ne ferme le service en décembre.
«Au cours des derniers mois, voire années, [l’école] a travaillé avec ses différents partenaires pour trouver des solutions pour les parents, assure par ailleurs la porte-parole du CSS, Vanessa Déziel. Le député Sol Zanetti poursuit actuellement des démarches auprès du ministère de la Famille», ajoute-t-elle. [voir autre texte]
Et si rien ne change, dans un an, des dizaines de nouvelles familles devront, à leur tour, porter le poids de la fin du service de garde, alors que leur enfant fera son entrée au secondaire.