Le gouvernement fédéral vient de publier ses premières directives sur l’écriture inclusive en français[1]. Cette initiative est applaudie par plusieurs et on espère même que l’application ira plus loin.
Loin d’être une nouvelle politique qui sera appliquée de manière rigide, ces directives se veulent un outil, « des pistes de solutions », explique Emmanuelle Samson, linguiste-conseil au sein du Portail linguistique du Canada du Bureau de la traduction. « Ce ne sont pas des réponses toutes faites à appliquer dans toutes les circonstances. »
« On offre des procédés concrets qui permettent de désigner un groupe formé de personnes de différents genres, de personnes dont on ne connaît pas le genre et de personnes non binaires », donne-t-elle en exemple.
« Au final, ce sont les gens qui utilisent les outils qui vont choisir les options parmi l’éventail qui leur est proposé. » – Emmanuelle Samson, linguiste-conseil au sein du Portail linguistique du Canada du Bureau de la traduction
De nombreuses demandes avaient été faites afin de produire un document de référence pour l’écriture inclusive. Le produit fini est d’ailleurs le fruit d’un groupe de travail interministériel qui a été créé à cet effet.
On retrouve, dans l’écriture inclusive, plusieurs options pour remplacer le langage genré. Sur le Portail linguistique du Canada, on suggère différentes formulations neutres. Mme Samson énumère d’ailleurs l’usage « des mots épicènes, qui ne changent donc pas de forme au masculin ou au féminin, » et du pronom iel.
« On sait que le pronom iel est le pronom [neutre] le plus connu en français. Il est d’ailleurs reconnu par le dictionnaire Le Petit Robert comme le pronom neutre à la troisième personne du singulier », explique-t-elle.
Quelques options pour éviter le langage genré :
- Utiliser le pronom iel à la troisième personne du singulier
- Privilégier les mots épicènes (ex : parlementaire plutôt que député ou députée )
- Choisir des temps de verbe qui ne portent pas la marque du genre
- Utiliser le point médian dans les doublets abrégés (ex : enseignant·es)
On ne retrouve pas de mots bannis dans ces directives. « On est dans une approche d’ouverture. Donc, on est plus dans le fait de respecter les termes privilégiés par les personnes concernées », assure la linguiste.
Se donner le temps
Stéphanie Meunier, intervenante et coordonnatrice à Jeunesse Idem, dit aimer « qu’il y ait une pluralité de moyens proposés ». Elle souligne au passage l’utilisation du pronom iel pour parler des personnes non binaires.
« On vient au Québec de reconnaître légalement l’existence des personnes non binaires avec le projet de loi 2. Donc, ça va dans le bon sens. » – Stéphanie Meunier, intervenante et coordonnatrice à Jeunesse Idem
« C’est correct si ça prend du temps pour apprendre ces choses-là, c’est nouveau pour plusieurs », assure cependant l’intervenante. Elle suggère aux initiés de se lancer puisqu’il est tout à fait normal de faire des erreurs. « On peut toujours se reprendre, se corriger », ajoute-t-elle.
« Le Bureau de la traduction envisage d’offrir prochainement des séances d’information sur les Lignes directrices », confirme par courriel Services publics et approvisionnement Canada (SPAC).
« Ce n’est pas par manque de volonté qu’on n’a pas eu un français inclusif jusqu’à maintenant, c’est par manque de connaissances », fait valoir Stéphanie Meunier. « D’avoir une ressource comme ça, qui vient d’une autorité fédérale, ça va permettre à beaucoup [de gens] d’être abordés avec respect et compréhension. »
Quant à l’accueil par le grand public, elle ne s’en fait pas trop. « C’est certain qu’il y a des gens que ça va déranger un peu, mais ça vaut la peine, c’est pour le progrès », mentionne-t-elle. Inclure la diversité de genre dans le langage, c’est un gage de reconnaissance pour les personnes trans et non binaires.
Enseigner l’écriture inclusive
Nikita Kamblé-Bagal, doctorante à l’Université d’Ottawa, est ravie de cette percée en matière d’écriture inclusive. Sa thèse porte d’ailleurs sur l’usage de l’écriture inclusive dans les médias québécois et français de 1990 à aujourd’hui.
« J’ai été très impressionnée par les directives publiées par le gouvernement », indique-t-elle. Mme Kamblé-Bagal fait valoir que le Canada a beaucoup changé à travers les années. Selon elle, « la langue doit traduire cette évolution de la société canadienne ».
Pour assurer la pérennité de ce type d’écriture, l’experte est catégorique : il faut en étendre l’usage au grand public. « Je pense que c’est le seul moyen de répandre l’usage de l’écriture inclusive », soutient-elle.
« Si l’écriture inclusive n’est pas enseignée à l’école élémentaire, ça va poser problème pendant longtemps. » – Nikita Kamblé-Bagal, doctorante à l’Université d’Ottawa
« On ne peut pas assumer que les gens vont faire ce changement par eux-mêmes », soutient-elle. « C’est également une question d’accessibilité. »
Prudence et contradictions
« Prudence » et « contradiction », ce sont les deux mots qu’emploie Marie-Andrée Lamontagne, écrivaine et journaliste, à l’égard de la démarche du gouvernement. « Je constate une grande prudence de leur part, ce qui est très bien », commence-t-elle.
Elle salue ces recommandations, mais dénonce « des visées contradictoires au nom du respect dû à chacun ».
« On ne peut pas à la fois inclure tous les gens avec un langage neutre et en même temps viser une communication claire et agréable à lire, ce qui est le principe même de la communication », fait-elle valoir.
« C’est un aveu de torsion, de violence même ou certainement d’artifices qui est imposé à la langue française au nom de l’inclusion d’une part, et de la prudence de l’autre. » – Marie-Andrée Lamontagne, écrivaine et journaliste
Mme Lamontagne n’adhère pas au principe de consensus concernant les options qui sont mises de l’avant dans le texte. « Je pense que l’on confond le consensus et l’effet de mode, l’air du temps. Il faut faire preuve de prudence, ce que font d’ailleurs les rédacteurs », lance-t-elle.
L’écrivaine et journaliste nuance toutefois son point de vue. Dans les communications privées, il faut impérativement respecter les préférences de l’interlocuteur, tranche-t-elle, « mais dans la communication générale, je ne vois pas pourquoi il faudrait étendre à l’ensemble de la population les règles qui s’appliquent à une minorité ».
Marie-Andrée Lamontagne souligne qu’à peine 0,33 % de la population âgée de plus de 15 ans au Canada s’identifie comme personne trans. « Ces lignes directrices sont les bienvenues, mais elles ne vont pas répondre à tout », conclut-elle.
[1] Écriture inclusive – Lignes directrices et ressources : https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/cles-de-la-redaction/ecriture-inclusive-lignes-directrices-ressources