Délais pour une chirurgie au genou: attendre à en perdre sa dignité

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L’attente de 30 mois d’un homme de 64 ans pour une opération au genou a complètement miné sa qualité de vie, si bien qu’il a dû arrêter de travailler, de jouer au hockey et qu’il n’arrivait même plus à pelleter son entrée.

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20 fois plus d’attente

Depuis février 2020, le nombre de patients en attente d’une opération depuis plus d’un an est passé de 300 à 6400, soit 20 fois plus. 

Et la demande d’orthèses de genou continuera d’augmenter jusqu’en 2035 à cause du vieillissement de la population, prévoit l’Association des orthopédistes du Québec. 

«Les listes d’attente explosent parce qu’il n’y a pas d’anticipation et de prise en charge de cette clientèle-là à moyen et à long terme», déplore le président, le Dr Jean-François Joncas. 

Encore des aînés qui écopent des délais

Les pires délais au Québec pour une chirurgie de la cataracte sont à Châteauguay, où le tout nouveau bloc opératoire est fermé depuis près de deux ans. 

«C’est un non-sens, on a un département d’ophtalmologie tout neuf, qui n’a quasiment jamais été utilisé», plaide l’optométriste Darkise Richard, qui se bute à un mur. 

Selon les dernières données du ministère de la Santé et des Services sociaux, le délai moyen d’attente est de 40 semaines à l’Hôpital Anna-Laberge de Châteauguay, soit le pire au Québec. Une attente quatre fois plus longue qu’à Longueuil, Saint-Jean-sur-Richelieu ou Lachine, par exemple. 

Pourquoi autant de disparités? «Vous mettez le doigt sur le bobo», répond le président de l’Association des médecins ophtalmologistes du Québec, le Dr Samir Lahoud. Il déplore que les ententes avec les centres médicaux spécialisés (CMS) ne tiennent pas compte des listes d’attente. 

Pour sa part, le CISSS de la Montérégie-Ouest est avare d’explications. Si l’attente est si grande à Châteauguay, c’est parce que le bloc a été fermé durant la pandémie et que les plages en CMS ne suffisent pas, répond la conseillère Jade St-Jean. 

Le CISSS se donne 12 mois pour atteindre un «niveau acceptable». Or, la nouvelle clinique externe en ophtalmologie à Châteauguay, inaugurée en 2018, devait pourtant permettre de faire 1000 chirurgies de la cataracte supplémentaire. 

Patients refusés

L’optométriste Darkise Richard se bute aussi à une fin de non-recevoir si elle tente d’orienter ses patients là où l’attente est moindre. 

«On me dit que je suis hors territoire. Ils ne veulent pas de mes patients», souligne-t-elle. Or, la loi permet à un patient d’aller où il veut. 

Déjà en perte d’autonomie

«Personne ne va mourir des cataractes, mais ce sont des personnes âgées qui perdent en autonomie. Elles ne peuvent plus conduire et elles perdent leurs activités, leurs amis. Ça crée de l’isolement», se désole-t-elle. 

Récemment, son propre père a eu besoin d’être opéré de la cataracte. Mais d’emblée, on lui répond que ça devra attendre en 2023, dit-elle. 

«Je change ses lunettes tous les trois mois, sinon il ne voit plus clair. Mais on ne peut pas changer les lunettes indéfiniment», dit-elle. 

Sinon, de plus en plus de patients décident de débourser jusqu’à 4000 $ par œil pour être opérés au privé en quelques jours. 

Le réseau public est vidé de ses employés

Le gouvernement s’engage dans une pente glissante en misant sur les cliniques privées pour réduire l’énorme liste d’attente depuis la pandémie, craignent des médecins. 

«De penser que le privé va nous sauver, c’est refuser de voir l’exode du personnel qu’il cause», lance l’omnipraticienne Joanie Tremblay-Pouliot, des Médecins québécois pour le régime public (MQRP). 

«Ce qui explique l’attente, c’est un manque de ressources humaines pour faire rouler les salles opératoires, pas un manque d’équipements. Le goulot d’étranglement, c’est parce qu’il manque de personnel. Pas de chirurgiens, mais beaucoup d’infirmières et de techniciens», poursuit-elle. 

Pas plus d’infirmières

La médecin y voit le phénomène de «la poule et de l’œuf». Plus des infirmières partent au privé, moins il y en a de disponibles dans les centaines de salles d’opération des hôpitaux. Et plus le privé est sollicité, plus il recrute. 

«On travaille toujours avec les mêmes infirmières, elles ne se dédoublent pas», fait-elle valoir. 

De son côté, la Fédération des médecins spécialistes du Québec ne croit pas que l’avenir du réseau passe par l’essor des centres médicaux spécialisés (CMS). 

«Tant qu’on ne reviendra pas aux listes d’attente prépandémie, ils vont être utiles, pense le Dr Serge Legault, vice-président de la FMSQ. Si on était capables de rapatrier la clientèle des CMS dans les hôpitaux, ce serait beaucoup plus simple.» 

15 % de profit

Pour la chercheuse spécialisée en santé au CHU de Québec, Maude Laberge, l’important est d’éviter une explosion des dépenses. 

«Si des cliniques privées peuvent fournir un service équivalent à un coût moindre […] je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas cette collaboration-là avec le privé», dit-elle. 

Or, la marge de profit des CMS est passée de 10 à 15 %, l’an dernier selon ce qu’a rapporté Le Devoir.

Publié le 14 mai 2022
Par Hugo Duchaine– Avec la collaboration d’Héloïse Archambault