Le Collège des médecins a fait pression pendant des mois pour que l’aide médicale à mourir soit élargie aux personnes souffrant d’un handicap. Québec s’est rendu à ses arguments, mais une précision importante a été apportée : il faut souffrir d’un handicap « neuromoteur », indique le projet de loi déposé avant la relâche parlementaire. Le Collège réclame le retrait de ce qualificatif, trop restrictif selon lui.
De nombreux médecins ont dénoncé la situation intenable dans laquelle ils se sont retrouvés face aux demandes d’aide médicale à mourir de leurs patients handicapés. Doivent-ils leur donner le soin, tel que permis par la loi fédérale, ou le refuser pour respecter la loi québécoise? C’est pourquoi le Collège des médecins applaudit la volonté de Québec d’harmoniser les deux lois.
Cependant, le projet de loi ne règle pas la situation. En précisant que seules les personnes souffrant de handicap neuromoteur pourront se qualifier, Québec exclut de la liste d’autres types de handicaps. Ceux de nature congénitale grave, par exemple.
Pourtant, le Code criminel et les balises établies par la Cour suprême au Canada ne qualifient aucunement la notion de handicap.
« Nous concevons que le législateur souhaite exclure de la loi les handicaps intellectuels et qu’il semble estimer que le handicap, tel que libellé dans le Code criminel, sans aucune restriction, est une notion floue qui pourrait donner lieu à des dérives. Pourquoi il en résulterait une situation différente ou des difficultés particulières dans l’appréciation d’un handicap […] au Québec que dans le reste du Canada? »
— Une citation de Collège des médecins du Québec
Le Dr Mauril Gaudreault se questionne sur cet excès de prudence et rappelle que l’AMM est l’un des soins les plus balisés et les plus surveillés. Pour nous, ce n’est pas important de préciser l’origine du handicap. Je ne suis pas certain de ce qui entre dans la définition de neuromoteur. Il juge que l’accès devrait être offert équitablement à toutes les personnes lourdement handicapées.
Retirer le qualificatif neuromoteur est la première des neuf recommandations formulées par le Collège de médecins.
Le Collège n’avait pas réagi officiellement au dépôt de la nouvelle mouture de la législation sur l’aide médicale à mourir (AMM). Il présentera son mémoire aux parlementaires mardi. Dans la copie obtenue par Radio-Canada, les avancées sont saluées, mais des clarifications sont demandées.
Réflexion nécessaire au sujet de la maladie mentale
L’ordre professionnel estime aussi que Québec fait fausse route en fermant complètement la porte aux demandes des personnes souffrant de maladie mentale. Il faudrait au moins amorcer la discussion sur cette question inévitable et délicate, estime le Collège, puisque le Code criminel pourrait le permettre dès l’an prochain.
Dans son rapport déposé en décembre dernier, la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie ne recommandait pas d’élargir l’AMM aux personnes qui ont comme seul problème médical invoqué un trouble mental. Le projet de loi suit expressément cette recommandation en spécifiant leur inadmissibilité.
Ça nous semblait vraiment précipité de faire ça. Je pense qu’il faut prendre le temps. C’est une question extrêmement délicate, avait affirmé Sonia Bélanger, la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés. L’idée n’est pas de retirer un droit. […] Rien n’empêche de faire la discussion, avait-elle ajouté lors du dépôt du projet de loi, sans pour autant s’engager dans un échéancier précis.
Rappelons que dans le Code criminel, cette exclusion devait être levée initialement le 17 mars 2023. Elle a été repoussée d’un an, afin de permettre au gouvernement fédéral de donner suite aux recommandations d’un groupe d’experts et de s’assurer que l’évaluation et la prestation de ce soin seront sécuritaires et balisées.
« Avec la formulation actuelle du projet de loi, excluant les troubles mentaux sans aucune échéance contrairement au Code criminel, il pourrait survenir à très court terme, pour les médecins et les patients Québécois, une situation de porte-à-faux avec la coexistence de deux régimes juridiques non harmonisés encadrant l’AMM. Nous voyons cette exclusion comme stigmatisante […] et [elle] perpétue les préjugés que les personnes avec une maladie mentale ne sont pas aptes à prendre des décisions et doivent être protégées contre elles-mêmes […] cela équivaut à abandonner et à condamner ces personnes très souffrantes qui n’en peuvent plus. »
— Une citation de Collège des médecins du Québec
Nous allons continuer à argumenter pour que la maladie mentale fasse également partie de tous ces malades lourdement handicapés. Il y en a pour qui les traitements pendant des années n’ont pas été efficaces et qui se retrouvent dans des situations tout aussi déplorables que les patients lourdement handicapés physiquement, ajoute le Dr Mauril Gaudreault.
La deuxième recommandation du Collège se veut donc une requête : accélérer la réflexion sur l’admissibilité à l’AMM des personnes souffrant d’un trouble mental, à temps pour mars 2024 afin d’assurer une cohérence entre les lois fédérale et provinciale.
Les demandes anticipées inapplicables
Le Collège des médecins considère que les nouvelles dispositions autorisant une demande anticipée constituent un gain important. Cela permettrait, par exemple, à une personne ayant reçu un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude, comme l’alzheimer, de formuler une demande avant que son état ne se détériore.
Le Québec serait un précurseur puisqu’il n’est pas possible actuellement au Canada de formuler pareille demande étant donné que ce n’est pas encore prévu dans le Code criminel. Un comité du Sénat et de la Chambre des communes a recommandé que la modification soit apportée, mais on ne sait pas encore si le gouvernement y donnera suite.
Pour cette raison, le Collège estime qu’une demande anticipée serait inapplicable. Par contre, en légiférant tout de suite sur cette question, les personnes pourraient avoir rapidement accès à cette option lorsque le Code criminel autorisera les demandes anticipées d’AMM.
Virage pour les soins de fin de vie à domicile
Le Collège des médecins salue toutefois l’autorisation accordée aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS) d’évaluer et d’administrer l’aide médicale à mourir, comme c’est déjà le cas au pays. Il se dit aussi favorable à l’obligation pour toutes les maisons de soins palliatifs d’offrir dorénavant ce soin, comme le prévoit le projet de loi.
Dans son ensemble, il constitue une nette avancée qui reflète très bien l’acceptabilité sociale. Le Collège profitera de sa tribune devant les parlementaires pour réitérer sa volonté de faire le virage pour bonifier les soins de fin de vie à domicile, y compris l’aide médicale à mourir.