Il est raisonnable d’interdire l’utilisation des mots comme «iel» ainsi que des signes de démarquage du genre dans les textes gouvernementaux, comme vient de le décider la Suisse, estime une linguiste reconnue.
Le 13 janvier dernier, la chancellerie fédérale suisse a publié un guide d’écriture inclusive pour les communications gouvernementales destinées au public, dans lequel elle proscrit l’emploi de certaines «pratiques linguistiques expérimentales».
L’interdiction concerne spécifiquement l’ajout de signes typographiques servant à marquer le genre («étudiantEs», «agent-es culturel.les», «femmes*», «chef.ffe.x.s») et les néologismes comme «iel», «froeur», «toustes», «agriculteurices».
«Ces pratiques sont incompatibles avec l’obligation légale des autorités fédérales d’utiliser un langage adéquat, clair et compréhensible», est-il expliqué.
Raisonnable
Pour la linguiste Monique Cormier, qui a conçu une formation sur l’écriture inclusive en s’appuyant sur les recommandations de l’Office québécois de la langue française (OQLF), ces recommandations sont tout à fait «raisonnables».
«Ce n’est pas loin de ce qu’on préconise au Québec», a expliqué la professeure à l’Université de Montréal en entrevue.
En effet, l’OQLF «ne conseille pas le recours» aux néologismes, et encourage plutôt l’emploi de la rédaction épicène, un style qui fait appel entre autres choses à la formulation neutre. C’est aussi l’approche de la Confédération fédérale suisse.
«Plusieurs des nouvelles façons d’écrire que l’on propose dans un but d’inclusion ont en fait un effet d’exclusion», a noté Mme Cormier, en donnant l’exemple des signes graphiques de marquage du genre, qui sont illisibles par les lecteurs vocaux de reconnaissance graphique et qui portent ainsi préjudice aux personnes qui ont un handicap visuel.
«Ce qui devient le plus difficile, c’est qu’on n’arrive plus à lire: la lisibilité est très touchée, ajoute-t-elle. Avec les points médians notamment, ce que je constate, c’est que les gens font ce qu’ils peuvent. Mais chacun l’utilise comme il l’entend, et pas toujours de la même manière.»
Français inclusif
En Suisse, la publication de ce guide a suscité un certain émoi, notamment en raison des moyens qui sont proposés pour un usage inclusif du français. En effet, on y rappelle que le «genre grammatical qui inclut, c’est le masculin ou genre non marqué», et que cela relève du principe général de l’économie de la langue.
Pour éviter toute confusion, le document érige en règle absolue l’interdiction d’énoncer des règles d’accord en employant l’expression «l’emporte», comme dans la formule consacrée: «le masculin l’emporte».
Le guide admet enfin l’utilisation des doublets («Celles et ceux») quand on réfère à des groupes qui ne comprennent que «des personnes qui se reconnaissent dans le modèle binaire femme/homme».