Le programme pour l’accessibilité du métro à l’arrêt

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Québec n’a toujours pas financé la nouvelle phase du Programme Accessibilité (PA) du métro de Montréal.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Québec n’a toujours pas financé la nouvelle phase du Programme Accessibilité (PA) du métro de Montréal.

Une autre tuile de plusieurs centaines de millions de dollars pourrait bien s’abattre sur le transport en commun dans la grande région métropolitaine. Selon les informations obtenues par Le Devoir, Québec n’a toujours pas financé la nouvelle phase du Programme Accessibilité (PA) qui permettrait l’installation de nouveaux ascenseurs et d’autres mesures facilitant la circulation des usagers dans les stations du métro de Montréal.

Le plan 2024-2028, le troisième (PA 3) depuis le lancement du programme en 2017, exigerait au moins 300 millions pour des travaux dans cinq nouvelles stations. La Société de transport de Montréal (STM) a demandé les fonds dans le cadre des consultations prébudgétaires 2024-2025. La requête a également été formulée dans le cadre de plusieurs discussions avec le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) dans les deux dernières années, toujours sans réponse.

« En date d’aujourd’hui, nous n’avons aucune indication que la phase 3 du Programme Accessibilité serait inscrite au PQI 2024-2034 », résume dans un courriel Amélie Régis, conseillère corporative de la STM. « […] Évidemment, un désengagement du gouvernement à cet égard aurait un impact important sur l’ensemble des utilisateurs du métro à Montréal et, particulièrement, sur la clientèle ayant des limitations fonctionnelles. Une confirmation de financement se traduirait par le maintien des expertises développées au sein de la STM ainsi que par la poursuite des activités préalables aux mises en chantier. »

L’Agence régionale de transport métropolitain (ARTM) affirme qu’elle appuie la STM dans ses démarches pour l’accessibilité universelle. « C’est un enjeu qui demeure prioritaire pour nos deux organisations », écrit Isabella Brisson-Urdaneta, des relations avec les médias de l’ARTM.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Les adaptations ne servent pas qu’aux personnes en fauteuil roulant. Les parents avec de jeunes enfants, les voyageurs, les cyclistes, les personnes âgées, les gens fatigués ou temporairement handicapés ou encore les ambulanciers peuvent en bénéficier.

« Les aménagements pour la mobilité ne seront donc pas réalisés, et pour nous c’est une très mauvaise nouvelle », résume Marie Turcotte, membre de la Table de concertation sur l’accessibilité universelle des transports collectifs de l’île de Montréal.

La Table demande de respecter les engagements et de poursuivre les investissements du PA. Une campagne de mobilisation sera lancée prochainement pour faire pression sur Québec.

Paroles, paroles…

Québec a annoncé jeudi la création de la nouvelle agence Mobilité Infra Québec pour gérer les nouveaux grands projets. L’Union des municipalités organisait vendredi son Rendez-vous national sur l’avenir du transport en commun. La stagnation du Programme Accessibilité du métro montre pourtant les énormes défis de financement et l’apparent manque de volonté étatique, ne serait-ce que pour la mise aux normes d’un réseau structurant existant.

Une phase subséquente (PA 4) pour des travaux dans cinq autres stations de métro d’ici 2030 nécessiterait 270 millions supplémentaires, selon les projections, et pourrait bien, elle aussi, être abandonnée par Québec. Dans ce cas, cependant, la demande formelle de financement n’a pas encore été faite, puisque le PA 4 est toujours en planification.

Au total, 570 millions devaient donc être consacrés par le MTMD à la mise aux normes d’une partie supplémentaire du réseau d’ici la fin de la décennie. Ces deux projets maintenant menacés permettraient de hausser à 41 le nombre de stations respectant les normes internationales d’accessibilité qui bénéficient à tous les usagers. Avec les travaux qui seront achevés d’ici 2026, moins de la moitié des stations (31 sur 68) seront équipées d’ascenseurs.

Le MTMD explique que sa décision définitive sera annoncée dans quelques semaines. « En ce qui a trait au financement par le Ministère des phases 3 et 4 du Programme Accessibilité, le Ministère n’est pas en mesure de se prononcer sur la question d’ici l’approbation du Plan des investissements en transport collectif (PITC), écrit le porte-parole Louis-André Bertrand. La décision du Conseil du trésor sera communiquée au Ministère en juin. Il communiquera avec les sociétés de transport par la suite. »

Photo: Adil Boukind Le Devoir L’accessibilité au métro se fait par l’ajout de divers équipements : des rampes d’accès, des guichets élargis, des systèmes de signalétiques, des ascenseurs.

Un bien pour tous

L’accessibilité au métro se fait par l’ajout de divers équipements : des rampes d’accès, des guichets élargis, des systèmes de signalétiques, des ascenseurs, etc. Selon la STM, 22 % de sa clientèle déclare une limitation fonctionnelle permanente.

Les adaptations ne servent donc pas qu’aux personnes en fauteuil roulant, selon un cliché tenace. Tous les usagers peuvent en bénéficier, les parents avec de jeunes enfants, les voyageurs avec des valises ou d’autres lourds paquets, les cyclistes avec leurs deux-roues, les personnes âgées, les gens fatigués ou temporairement handicapés par une blessure ou un malaise, les ambulanciers qui interviennent dans le réseau, etc.

« Tout le monde est concerné par ça, finalement », résume Mme Turcotte en citant une étude montrant que chacun des ascenseurs du métro de Montréal est utilisé 700 fois par jour en moyenne. « On peut penser que ce ne sont pas 700 personnes en fauteuil roulant qui les actionnent », dit-elle.

En plus, la Société de transport de Montréal n’a toujours pas reçu du ministère des Transports la subvention de 320 millions engagée pour la transformation de stations selon la phase 2 du PA commencée en 2019 et échelonnée jusqu’en 2026. « Comme cette deuxième phase n’a pas reçu d’autorisation du Ministère pour l’instant, aucune aide financière n’a encore été versée par le Ministère pour celle-ci, explique le porte-parole du MTMD. La STM a déposé une mise à jour de sa demande d’aide financière le 29 septembre 2023. La demande est en cours de traitement. »

Photo: Adil Boukind Le Devoir L’arrêt du PA s’arrime à des difficultés de financement des opérations et des services en transport en commun du Québec.

La STM a adopté un règlement d’emprunt pour lancer les chantiers qui se poursuivent. « Nous sommes toujours en attente de la lettre de subvention de la phase 2 du Programme Accessibilité, écrit Amélie Régis, porte-parole de la STM. Nous avons entrepris les travaux afin de conserver l’expertise développée par les équipes de la STM. C’est l’adoption d’un règlement d’emprunt, en 2019, qui a permis d’avancer les travaux d’ici au remboursement par le ministère. »

L’arrêt du PA s’arrime à des difficultés de financement des opérations et des services en transport en commun du Québec. Le déficit d’exploitation total des sociétés de transport de Montréal, de Laval, de Longueuil et d’Exo s’élève à 561 millions, selon l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). La moitié de cette somme (284 millions) provient de problèmes conjoncturels liés à la baisse de fréquentation pendant et après la pandémie.

Dans la prochaine décennie, la STM devra aussi trouver des fonds pour remplacer les 360 voitures MR-73 et ajouter 24 trains additionnels pour augmenter sa flotte et répondre à la croissance anticipée de l’achalandage. Cette modernisation nécessite des planifications sur des années et l’ajout d’autres équipements structurels, par exemple pour agrandir les garages.

La nouvelle agence Mobilité Infra Québec créée cette semaine ne devrait pas gérer ces dossiers de rénovations infrastructurelles. Elle doit se concentrer sur le développement de nouveaux projets de transport collectif, qui représente en projection provisoire des dépenses de 37 milliards.

Photo: Adil Boukind Le Devoir «La STM tente toujours de trouver la solution optimale selon la configuration de chaque station pour limiter la durée, les impacts et les coûts des travaux.»

Des chantiers complexes

Les coûts des chantiers de construction explosent. Les cinq chantiers de rénovation du PA 3 nécessiteraient une dépense moyenne minimale de 60 millions chacun.

« Ces montants démontrent la complexité d’installer des ascenseurs dans un environnement souterrain comme le métro de Montréal, creusé dans le roc, explique la porte-parole de la STM. Au-delà d’ajouter des ascenseurs dans des stations en exploitation qui n’ont pas été conçues pour être accessibles, il faut planifier l’acquisition et, parfois, l’expropriation de terrains dans des milieux urbains densément peuplés. La STM tente toujours de trouver la solution optimale selon la configuration de chaque station pour limiter la durée, les impacts et les coûts des travaux. »

La reconstruction de la station Édouard-Montpetit s’avère particulièrement compliquée. Les travaux pour installer un ascenseur jusqu’à la ligne jaune à Berri-UQAM constituent aussi un grand défi d’ingénierie. La station Bonaventure et la gare du Réseau express métropolitain (REM), laquelle est pourtant toute récente, ne sont toujours pas interconnectées de manière à faciliter la mobilité.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Le réseau montréalais compte maintenant 27 stations aux normes.

Le plan pour le perçage des premiers ascenseurs dans le métro de Montréal date de 2005. Québec a financé le Programme Accessibilité en 2017 pour étendre les mesures qui y sont destinées. Certains projets en transport en commun reçoivent des contributions fédérales, mais les demandes de subvention sont toujours transmises par l’intermédiaire du MTMD, qui fournit généralement 85 % des fonds. 

Le réseau montréalais compte maintenant 27 stations aux normes. D’Iberville, Place-Saint-Henri et Outremont seront ajoutées cette année, et Atwater, Berri-UQAM (pour la ligne jaune) et Édouard-Montpetit devraient suivre en 2025 ou en 2026. Les travaux de cette phase, qui ont nécessité 320 millions — peut-être les derniers avant très longtemps pour favoriser la mobilité durable dans le métro —, sont déjà réalisés à plus de 75 %.

Publié le 11 mai 2024
Par Stéphane Baillargeon