C’est plate, mais avant de sortir au restaurant ou d’aller avoir un spectacle avec des amis, Marie-Pier Bouladier doit vérifier s’il y a des toilettes adaptées sur place.
La voilà qui décroche le téléphone: bonjour, vous avez des toilettes adaptées dans votre établissement? C’est que je me déplace en fauteuil roulant…
Au bout du fil, son interlocuteur est désolé. Non madame, on n’a pas de toilettes adaptées. Par contre, on a une rampe d’accès…
Une rampe d’accès! Ah, la belle affaire, se dit Marie-Pier.
Comme si l’accessibilité universelle se résumait à une foutue rampe d’accès et à un bouton pour ouvrir automatiquement la porte.
Cette fois-là, Marie-Pier s’est demandé si elle sortirait avec ses amis. L’endroit où elle se rendait était accessible, mais pas les toilettes. Ce qui impliquait que, comme Cendrillon au bal du prince, elle devrait quitter à une certaine heure pour s’assurer d’être revenue chez elle avant que ne la saisisse une envie toute naturelle d’aller aux toilettes.
«Tu en connais beaucoup, toi, des gens qui doivent penser à ce genre de choses dans la vraie vie?, a-t-elle soupiré. C’est un bel exemple de pourquoi bien des personnes handicapées ne sortent pas. Toujours avoir à se demander si un endroit est accessible avant d’y aller, c’est fatigant. Ça rajoute des obstacles aux nombreux obstacles qu’on a déjà. Des fois, ça me tente pas. C’est juste plus simple de rester à la maison…»
Elle m’a cité plein d’autres exemples. Quand ses amis l’invitent à aller à un festival, à la bibliothèque, à un spectacle, c’est toujours la même histoire. Elle ne peut leur dire oui tout de suite. Elle doit vérifier des trucs avant. La revoilà au téléphone, à organiser une simple sortie entre amis comme si c’était une expédition sur Mars…
Même les installations municipales, soumises à des normes plus strictes, ne sont pas au-dessus de tout reproche à Gatineau. «Des fois, l’endroit est accessible, mais pas les installations à l’intérieur. J’ai évalué une bibliothèque municipale. Il y avait une rampe d’accès. Sauf qu’une fois rentrée, je ne pouvais prendre un livre sur l’étagère ni scanner mes livres au bureau des réservations. Les salles de bains étaient accessibles, mais trop petites…»
«Ça fait qu’on n’est pas égaux aux autres citoyens», ajoute-t-elle.
Et c’est là l’injustice.
On a souvent l’impression que les enjeux d’accessibilité universelle touchent une minorité. Pourtant, une personne sur trois vit avec un handicap au Québec, m’a dit Marie-Pier qui est consultante en accessibilité universelle.
Un tiers des Québécois? T’es sûre, Marie-Pier?
Elle m’a cité sa source: selon l’enquête québécoise sur les limitations d’activités, les maladies chroniques et le vieillissement de 2011, 33% de la population âgée de 15 ans et plus vit avec une incapacité, une limitation ou une déficience fonctionnelle.
Cela correspond, m’a dit Marie-Pier, à 2,2 millions de Québécois.
À ce compte, il faut ajouter l’entourage des personnes handicapées. Eux aussi sont pénalisés par une mauvaise accessibilité.
«On ne vit pas juste dans notre petite bulle à nous, reprend Marie-Pier. La majorité de mes amis ne sont pas handicapés. Quand ils veulent sortir avec moi, ça les fait suer autant que moi qu’on ne puisse pas sortir ensemble.»
«Lorsqu’on adapte un endroit, on le fait pour tout le monde. Ça me permet de sortir avec des gens que j’aime. Et ces gens-là, autour de moi, peuvent me sortir. Toute la société y gagne!»
L’exemple de Victoriaville
Justement, la Ville de Gatineau est en train de revoir sa politique sur l’accessibilité universelle. L’organisme Loisir, sport Outaouais (LSO), entre autres, pousse pour que la municipalité en fasse plus.
Le gouvernement Legault a promis d’investir 1,5 milliard sur 10 ans dans les infrastructures sportives et récréatives. L’occasion est belle de les rendre plus accessibles aux personnes handicapées…
Responsable du dossier à l’URSLO, André Baril exhorte la Ville de Gatineau à développer un réflexe «accessibilité universelle», notamment lorsque vient le temps de concevoir de nouveaux parcs.
À la Ville de Victoriaville, pionnière de l’accessibilité universelle au Québec, ce réflexe est bien présent. «Ça fait en quelque sorte partie de notre ADN», explique Nathalie Roussel, responsable du dossier depuis 1999.
À Victo, tous les festivals et événements doivent se soumettre à des règles strictes en matière d’accessibilité universelle. Sinon, la municipalité leur refusera tout soutien technique et financier. La Ville a aussi développé une procédure en quatre étapes pour s’assurer que les équipements municipaux aillent au-delà des normes en vigueur.
Ainsi, la piscine municipale est équipée de vestiaires adaptés, mais aussi d’une table d’habillage hydraulique, d’un levier sur rail, de fauteuils aquatiques… Des aménagements spécialisés qui visent à ce que les «personnes handicapées passent du statut de spectateur à celui de participant», explique Mme Roussel.
Toutes les villes devraient suivre l’exemple de Victoriaville, s’enthousiasme Marie-Pier Bouladier.
«C’est l’endroit au Québec où les personnes handicapées sont les plus considérées. Victoriaville va au-delà des normes du bâtiment et des normes d’urbanisme. C’est possible à condition d’en faire une priorité. Et ça coûte souvent moins cher qu’on pense.»