Comment les cellules souches peuvent désormais être contrôlées pour des traitements plus efficaces

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Des cellules souches incapables de proliférer seules grâce à l’inactivation d’une protéine, la TYMS. C’est cette prouesse qu’une équipe finlandaise a récemment réalisée. À la clé, des traitements innovants et sans risque de tumeur.

C’est le couronnement de plus de dix ans de recherche, se réjouit Kirmo Wartiovaara. Et le généticien clinicien de l’université d’Helsinki, en Finlande, peut se permettre d’exulter, puisque lui et son équipe viennent de signer une prouesse inédite : dompter les cellules souches ! Dans des travaux publiés en juin dernier, ils expliquent ainsi avoir mis au point des cellules souches incapables de se répliquer. De quoi ouvrir la voie à de nouvelles thérapies sans risque de tumeur. Des travaux “très innovants et particulièrement intéressants”, salue Christine Baldeschi, experte en thérapie cellulaire à l’I-Stem.

Pour mieux comprendre l’exploit, il faut remonter à 2007, quand le Britannique Sir John B. Gurdon et le Japonais Shinya Yamanaka développent la cellule souche pluripotente induite (CSPi) – ce qui leur a valu le prix Nobel de médecine en 2012. Obtenue à partir de n’importe quelle cellule humaine adulte – puis reprogrammée pour agir telle une cellule souche embryonnaire -, cette entité peut se multiplier à l’infini et se transformer en tout type de cellule de l’organisme.

Dès lors, les chercheurs peuvent remplacer les cellules déficientes ou mortes à l’origine d’une pathologie par de toutes nouvelles, qui sont donc saines. C’est la naissance de la thérapie cellulaire moderne, qui concerne une longue liste de pathologies : les cancers, les maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer), les infarctus du myocarde, les pathologies du sang, le diabète…

Sauf que voilà, les thérapies utilisant ces CSPi ne sont pas sans danger : une fois incorporées dans l’organisme, elles peuvent continuer à proliférer sans limite, exposant leur receveur à un risque de tumeur… “C’est notamment le cas de la nouvelle génération de CSPi, les cellules universelles, précise Christine Baldeschi. Issues d’une seule personne, puis modifiées génétiquement pour ne pas être reconnues par le système immunitaire, ces cellules peuvent être greffées chez n’importe quel patient, sans crainte de rejet. Revers de la médaille, elles sont également invisibles pour l’immunité antitumorale, ce qui peut être problématique si elles venaient à hyper-proliférer. ”

Cette technique est une approche potentiellement plus sûre et moins contraignante – CHRISTINE BALDESCHI, Experte en thérapie cellulaire à l’I-Stem

Introduction d’un  » gène suicide »

Certes, le risque est rare, mais il n’est pas nul. Jusqu’alors, les stratégies pour bloquer cette prolifération consistaient notamment à introduire, dans les cellules souches, un “gène suicide” qui code pour une protéine. En cas d’hyper-prolifération, les médecins administrent au patient une substance qui réagit avec cette protéine, menant à la mort des cellules greffées. Mais il y a un risque d’effet secondaire, que ce soit par l’introduction d’ADN étranger – dont l’impact pourrait dépasser le seul effet attendu – ou par celle de la substance – qui pourrait tuer des cellules saines. C’est là que la méthode des chercheurs finlandais se démarque : elle ne comprend ni l’une, ni l’autre !

“Leur technique permet de dépasser ces limites, ce qui en fait une approche potentiellement plus sûre et moins contraignante”, souligne Christine Baldeschi. Comment fonctionne-t-elle ? “Avec notre procédé, les cellules thérapeutiques sont incapables de proliférer seules. Et ce, grâce à l’inactivation d’une protéine, la thymidylate synthase (TYMS)”, explique Rocio Sartori Maldonado, biologiste moléculaire à l’université d’Helsinki et coauteure de l’étude.

Et pour cause, cette enzyme est cruciale pour la fabrication de l’ADN. “Elle est la seule connue à permettre la synthèse de la thymidine, un élément constitutif essentiel de l’ADN, confirme la chercheuse. Si la TYMS est invalidée, les cellules ne peuventdonc plus fabriquer du nouvel ADN ; une étape indispensable à leur division. Résultat, elles ne peuvent plus proliférer de façon incontrôlable et générer des tumeurs. ”

Pour invalider la TYMS, l’équipe finlandaise a eu recours à un puissant outil, le Crispr-Cas9. Souvent comparé à des “ciseaux moléculaires”, celui-ci est capable de reconnaître une séquence génétique particulière et de la couper, ce qui permet de l’éliminer de l’ADN, puis de recoller les brins entre eux. “Dans notre approche, on utilise Crispr-Cas9 directement dans la cellule souche pour qu’il coupe la portion d’ADN qui code pour le site actif de l’enzyme TYMS, ce qui invalide le fonctionnement de celle-ci”, précise Rocio Sartori Maldonado (voir infographie ci-dessus).

Sauf qu’en empêchant toute réplication, on empêche ainsi les cellules souches de se multiplier pour donner naissance aux fameuses cellules thérapeutiques. Pas un problème, pour Rocio Sartori Maldonado : “Nos expériences sur des cellules souches humaines puis de souris ont montré qu’il suffit d’ajouter de la thymidine exogène dans leur milieu de culture pour qu’elles se différencient et se multiplient. Une fois implantées chez le patient, les cellules thérapeutiques n’ont plus besoin de cette supplémentation.”

Diabète, Alzheimer, Parkinson, obésité…

Reste une question : bloquer la TYMS ne risque-t-il pas d’altérer le bon fonctionnement des cellules ? D’après les expériences menées par les chercheurs finlandais, la réponse est non. “En implantant chez des souris des cellules bêta pancréatiques issues de cellules souches traitées, on a constaté que la production d’insuline était tout à fait normale, expose la biologiste. Et ces cellules ont permis une bonne régulation de la glycémie des animaux tout au long de l’expérience, qui a duré environ six mois. ” Bref, la nouvelle approche permettrait d’empêcher de façon sûre la prolifération des cellules, sans affecter leur potentiel thérapeutique.

Malheureusement, aussi prometteuse soit-elle, “cette nouvelle stratégie ne pourra pas s’appliquer à tous les types de thérapies, tempère Christine Baldeschi. Comme ce système bloque la prolifération cellulaire, il ne peut pas être utilisé contre des pathologies qui demandent que les cellules se divisent naturellement et très régulièrement, notamment pour renouveler un organe. Cette thérapie ne serait, par exemple, pas intéressante dans le traitement des maladies de la peau ou de l’intestin. ” Pour autant, les scientifiques envisagent déjà de l’appliquer pour combattre différentes pathologies incurables. Parmi elles, le diabète, des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer, Parkinson et Huntington, ainsi que l’obésité. Et c’est déjà une incroyable prouesse.

Les cellules souches sont des cellules indifférenciées capables de s’auto-renouveler et de se différencier en cellules spécialisées. Elles sont essentielles dans le développement et le renouvellement des organismes.

Sans traitement

1. Si rien n’est fait…

Les cellules non traitées possèdent un gène qui code pour la production de la protéine T YMS. Celle-ci contribue à la fabrication d’une enzyme, la thymidine.

2. … la cellule prolifère de manière autonome

La thymidine est utilisée pour synthétiser une nouvelle molécule d’ADN qui permettra la division des cellules. Or quand celle-ci se fait de façon anarchique, des tumeurs peuvent se former.

Avec traitement

1. En utilisant Crispr-Cas9…

La nouvelle stratégie anticancer repose sur l’utilisation des “ciseaux moléculaires” Crispr-Cas9, un puissant outil d’édition du génome qui permet de couper l’ADN à un endroit précis.

2 … on inactive le gène codant pour la TYMS…

D’abord, Crispr – un brin d’ARN – s’apparie à la séquence ADN qui code pour la production de la protéine T YMS. Puis l’enzyme Cas9 coupe l’ADN de part et d’autre de la séquence fixée par Crispr.

3. … et la cellule devient incapable de proliférer

Dépourvue de T YMS, la cellule ne peut plus fabriquer la thymidine et donc se diviser. Il n’y a plus de risque qu’elle induise des tumeurs !

Publié le 18 septembre 2024
Par Kheira Bettayeb