De l’aide dans les salles de classe, oui, mais laquelle?

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Alors que le gouvernement promet 4000 postes d’« aides à la classe » pour appuyer lesenseignant·es dans leur travail quotidien, les profs s’inquiètent qu’une telle mesure ignore la réalité des élèves en difficulté, qui nécessitent plutôt une aide spécialisée. Ces craintes sont partagées par les professionnel·les qui sontformé·es tout spécialement pour les accompagner dans leur cheminement scolaire.

En février dernier, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a partagé les priorités qui orienteront son mandat. Il souhaite notamment que le personnel de soutien, comme les éducateur·trices du service de garde, appuie les enseignant·es dans leurs tâches dans les classes qui sont de plus en plus bondées.

Cette initiative a été réitérée plus récemment lors des négociations du secteur public, lors desquelles le Conseil du trésor a promis plus de 4000 postes d’aides à la classe, répartis à travers 15 000 classes.

Les syndicats enseignants disent craindre que le gouvernement voie là une façon de régler des problèmes beaucoup plus complexes, pour lesquels sont nécessaires des interventions de professionnel·les scolaires, comme les orthophonistes, les orthopédagogues, les psychologues et les psychothérapeutes.

Bien que les éducateur·trices puissent fournir une aide précieuse en appuyant l’enseignant·e dans certaines de ses tâches, ces dernier·ères soutiennent que cela ne peut remplacer le soutien fourni par les professionnel·les de soutien auprès de jeunes ayant besoin d’un soutien particulier. 

Cette aide spécialisée se fait souvent rare dans le réseau public, où les besoins des élèves continuent de croître alors qu’on note de plus en plus de retards d’apprentissages, surtout depuis la pandémie. La plupart du temps, ce sont les enseignant·es qui doivent pallier le manque d’aide professionnelle dans des classes.

« Ce sont [les élèves en difficulté] qui sont les plus vulnérables », rappelle Mathieu Labine-Daigneault, orthopédagogue et directeur de l’Association des orthopédagogues du Québec.

« À mon sens [l’aide à la classe] n’est pas une solution, bien que [le personnel de soutien] ait des expertises, il ne faut pas oublier l’expertise des orthopédagogues ou des autres professionnels. , Mathieu Labine-Daigneault

« Si on n’intervient pas auprès d’un élève dit “normal”, cet élève va tout de même progresser en règle générale, alors que si on n’intervient pas auprès d’un élève en difficulté, le fossé va se creuser davantage. »

Il souligne que ces élèves ne sont pourtant pas tenu·es en compte dans les priorités du ministre Drainville.

« Ce sont des élèves qui ont des besoins importants et à tous les niveaux professionnels, il y a un manque [de services] dans les écoles depuis longtemps », souligne pour sa part Paul-André Gallant, orthophoniste et président de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ). 

Selon lui, la présence d’éducateur·trices peut aider les enseignant·es à mieux répondre aux besoins des élèves, mais cela n’est pas non plus suffisant pour assurer la réussite scolaire de ceux et celles qui ont des difficultés d’apprentissage.

Besoin d’une aide spécialisée

Selon l’OOAQ, 80 % des troubles d’apprentissages sont liés aux troubles du langage, puisque celui-ci est au cœur de tous les apprentissages. 

« L’enfant qui a un trouble du langage est doublement atteint, parce que non seulement ce qu’il apprend, c’est difficile pour lui, mais la façon dont il apprend est difficile aussi », souligne M. Gallant, « Tout ce qui est enseigné à l’école se fait par le langage oral. Si on ne comprend pas ce qu’on nous enseigne, déjà on part avec un [désavantage important]. »

Un trouble non traité peut également avoir des conséquences qui vont bien au-delà de la salle de classe et peut se manifester par des difficultés psychosociales. « C’est un risque majeur pour l’isolement et tous les troubles qui en découlent : l’anxiété, les troubles de comportement, attentionnels », explique M. Gallant.

« Tout ce qui est enseigné à l’école se fait par le langage oral. Si on ne comprend pas ce qu’on nous enseigne, déjà on part avec un [désavantage important]. », Paul-André Gallant

Ce sont des enjeux auxquels l’aide à la classe, telle qu’actuellement proposée par le gouvernement, ne peut pallier, s’inquiète M. Labine-Daigneault. « Il ne faut pas que les aides à la classe remplacent les orthopédagogues », prévient-il.

« Si l’aide est dans la classe, on va peut-être se référer à elle par rapport aux difficultés d’apprentissage, parce que l’orthopédagogue est trop occupée », pose-t-il. « À mon sens ce n’est pas une solution, bien que [le personnel de soutien] ait des expertises, il ne faut pas oublier l’expertise des orthopédagogues ou des autres professionnels. »

Une aide professionnelle à la classe

« Il faut qu’on se pose des questions beaucoup plus approfondies, il faut travailler autrement », soutient M. Gallant, en proposant d’élargir la vision sur l’aide à la classe afin d’y inclure les professionnel·les de soutien.

C’est d’ailleurs ce dont il est question dans le nouveau guide de l’OOAQ paru récemment et où on décrit entre autres une telle approche d’accompagnement en classe déjà bien établie ailleurs aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi que dans une poignée d’écoles au Québec.

« Il faut qu’on se pose des questions beaucoup plus approfondies, il faut travailler autrement. », Paul-André Gallant

Selon les données probantes sur lesquelles s’appuie l’OOAQ, une telle méthode d’intervention, où les professionnel·les travaillent de manière intégrée, y compris au sein de la salle de classe, entraînerait de meilleurs résultats auprès des élèves en difficulté.

Mais à l’heure actuelle, dans la majorité des institutions publiques au Québec, les orthophonistes n’interviennent que ponctuellement auprès des élèves en difficulté. Ceux et celles-ci sont amené·es en retrait de la classe pendant les heures de cours pour travailler individuellement avec l’orthophoniste.

« Ce sont de vieux modèles qui ne sont plus adaptés », insiste M. Gallant. « Nous on juge qu’il faut changer cette culture et davantage travailler avec les élèves globalement. »

Cela permettrait de favoriser une meilleure collaboration avec les enseignant·es et les autres professionnel·les de soutien afin de mieux répondre aux besoins des jeunes en difficulté.

Publié le 02 mars 2023
Par Léa Beaulieu-Kratchanov
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