Des écoles agissent illégalement en excluant des élèves handicapés ou qui ont des problèmes de santé mentale, soutient le défenseur des jeunes.
Les écoles publiques du Nouveau-Brunswick privent des centaines d’élèves de leur droit à l’instruction, dénonce le défenseur des enfants et des jeunes de la province.
La pratique qui consiste à diminuer les heures de classe des élèves qui ont un handicap ou des problèmes de santé mentale s’est répandue ces dernières années et est illégale, a dénoncé Kelly Lamrock jeudi.
Notre enquête a mis en lumière des centaines de cas où des enfants ne bénéficient tout simplement d’aucun service éducatif pendant une partie de la journée, voire des journées entières, écrit-il dans son nouveau rapport, intitulé Une politique d’abandon.
Le problème? Les « plans de journées partielles »
La pratique à laquelle s’oppose le défenseur des jeunes est souvent appelée plan de journée partielle, bien que certains districts scolaires la désignent par un autre nom.
Elle consiste à avoir les élèves à l’école pendant seulement un certain nombre d’heures. Les écoles prétextent souvent un manque de ressources ou invoquent diverses fautes qu’auraient commises les élèves handicapés ou qui ont certains problèmes de santé mentale.
Les districts scolaires enfreignent la loi en toute impunité.
Une citation de Kelly Lamrock, défenseur des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick
Il est encore plus troublant, ajoute Kelly Lamrock, que le ministère de l’Éducation ait affirmé à son bureau que tous les élèves ne seraient pas admissibles au tutorat.
Aucune donnée dans les écoles francophones
En début d’année, 344 élèves du secteur anglophone faisaient partie d’un plan de journées partielles, selon l’enquête. Le secteur francophone a répondu qu’il ne comptabilise même pas le recours à cette pratique, selon Kelly Lamrock.
Le défenseur a estimé que cette pratique touche environ 500 enfants néo-brunswickois. Ordonner à un élève sur 200 de ne pas aller à l’école est une stratégie étrange, note-t-il.
Cette pratique était extrêmement rare il y a 10 ans, dit le défenseur, mais elle s’est développée de façon exponentielle.
Dans certains cas, le bureau du défenseur a soupçonné des écoles d’utiliser des plans de journées partielles comme moyen détourné d’exclure un élève sans avoir à prononcer une suspension.
Par exemple, l’enquête de Kelly Lamrock cite le cas d’une jeune fille qui a un trouble du déficit de l’attention et des troubles anxieux. On lui a donné deux périodes de 90 minutes d’école par semaine, dans une salle séparée, et on n’a pas voulu augmenter ses heures d’enseignement par la suite, tel que promis.
Lorsque le Bureau du défenseur a demandé si l’école avait consulté un expert avant de déterminer que le fait de priver un enfant de 90 % du temps scolaire était dans l’intérêt de celui-ci, l’école n’a pu citer aucune consultation ou évaluation ayant abouti à cette conclusion, écrit M. Lamrock.
Une dérive qu’on laisse sans surveillance
Le rapport de Kelly Lamrock ne blâme pas le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick. Il explique : Ce qui s’est passé, c’est que les districts scolaires ont pris l’habitude de renvoyer leurs enfants les plus en difficulté chez eux sans éducation, et le ministère n’a pas encore institué un contrôle qui pourrait rendre les districts responsables de l’utilisation accrue de cette technique.
Des écoles, dit-il, placent des jeunes en plan de journées partielles, puis ne font aucun effort pour aider ou défendre les intérêts des familles à résoudre des problèmes.
Il relève même que dans certains cas, des enfants en journées partielles se faisaient imposer des conditions encore plus strictes et plus exigeantes qu’auparavant. Il incombe à l’enfant de s’améliorer comme par magie, mais les écoles ne se tiennent pas responsables d’aider l’enfant, s’insurge M. Lamrock.
La province pressée d’agir
Le défenseur des jeunes recommande que le ministère de l’Éducation clarifie sa position juridique concernant les plans de journées partielles d’ici la rentrée de septembre.
Il rappelle que la Loi sur l’éducation du Nouveau-Brunswick oblige la province à fournir des services scolaires gratuits à tout résident du Nouveau-Brunswick qui remplit les conditions en matière d’âge. Exclure des élèves à cause de leur handicap ou de leurs problèmes de santé mentale serait donc illégal, explique-t-il.
Selon Kelly Lamrock, le gouvernement provincial devrait étroitement encadrer cette pratique pour que les cas extrêmes soient justifiés par la recommandation d’un expert ou lorsqu’il peut être démontré que l’école n’a pas les moyens de fournir les services.
Il demande que le ministère de l’Éducation ait un programme de surveillance rigoureux de cette pratique au plus tard pour l’année scolaire 2025-2026.
Il aimerait aussi que le ministère prenne d’autres mesures d’ici un an pour les jeunes qui commencent leur scolarisation afin d’agir à la source au lieu d’exclure les élèves quelques années plus tard. Il suggère en particulier la réduction de la taille des classes de la maternelle à la 2e année, de même que l’embauche d’enseignants spécialisés supplémentaires et du soutien accru pour leurs élèves à risque.
Trop de responsabilités pour les écoles?
Ghislaine Foulem, présidente du conseil d’éducation du District scolaire francophone du Nord-Est, soutient que les besoins des enfants vulnérables sont de plus en plus complexes et que le système d’éducation n’a pas les ressources nécessaires pour répondre à ce gros mandat d’inclusion.
Tous les problèmes qui surgissent dans la société par rapport aux enfants, on a renvoyé ça sur le dos des écoles, et je pense que dans les temps d’aujourd’hui, c’est impensable de penser que la responsabilité revienne uniquement à l’école, a-t-elle affirmé en entrevue jeudi.
Elle demande davantage de personnel de soutien. Actuellement, tout repose, presque, sur les épaules des enseignants et ce n’est pas normal, plaide-t-elle.
Le nombre d’enfants avec des besoins spéciaux augmente d’année en année, et nous, on demeure avec des ressources insuffisantes, déclare Ghislaine Foulem.
Le District scolaire francophone Sud a décliné une demande d’entrevue. Un porte-parole a dit mercredi ne pas avoir encore eu la chance d’étudier le rapport de Kelly Lamrock.
Bill Hogan, le ministre de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick, a dit en mêlée de presse jeudi à Fredericton qu’il n’est pas impossible que certaines écoles manquent à leur obligation juridique d’instruire les élèves.
On est obligés de leur donner la possibilité d’avoir une éducation, alors on ne pourrait jamais faire ça si on n’avait pas de plan. Si on n’a pas de plan, il [Kelly Lamrock] est correct en disant qu’on ne suit pas la loi, a dit le ministre.
Nous allons travailler avec les districts pour, en premier lieu, savoir combien de plans de journées partielles ils ont, a-t-il ajouté.
Le ministre Hogan dit qu’il ne pense pas que des enfants soient à la maison sans aucune aide. À mon avis, ça n’arrive pas, le manque de tuteurs. Les écoles travaillent très fort, a-t-il affirmé. Les ressources sont déjà là.
J’espère que chaque élève a un plan, mais on va le vérifier, a-t-il ensuite nuancé.
D’après le reportage de Louis-Philippe Trozzo, avec des renseignements d’Alix Villeneuve et d’Océane Doucet