L’impossibilité de recruter trois enseignants force une école spécialisée de Montréal à déplacer des élèves dans trois autres établissements, à la veille de la rentrée scolaire. Informée à la dernière minute de ce changement de cap, une mère déplore le manque de planification du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) et l’impact sur les élèves plus vulnérables.
« On demande encore une fois aux enfants d’apprendre à gérer un changement rapide comme ça, d’autant plus que ce sont des enfants ayant des difficultés. C’est contre-productif, ce n’est pas normal », laisse tomber Barbara, qui préfère taire son nom de famille pour ne pas causer de tort à son enfant. Sa fille, qui a développé une grande anxiété et une phobie de l’école, devait entrer à l’école secondaire spécialisée Espace-Jeunesse la semaine prochaine. L’établissement est fait sur mesure pour les adolescents présentant des défis d’adaptation sur le plan comportemental et des difficultés sur les plans affectif et relationnel.
« On la changeait d’endroit cette année sur les recommandations de spécialistes. Cette semaine, elle avait relu les notes sur son école et posé des questions. Et tout à coup, on doit lui dire que ça ne marche plus », lance Barbara. C’est mercredi qu’elle a appris la nouvelle, après avoir reçu un message de la direction.
« En cette rentrée scolaire atypique, trois postes d’enseignants titulaires n’ont pas été pourvus malgré tous les efforts de recrutement du Centre de services scolaire de Montréal », peut-on lire dans une communication signée par la directrice que Le Devoir a consultée. « Par souci de [servir] le mieux possible nos élèves à besoins particuliers en toute sécurité, j’ai le regret de vous annoncer que votre enfant sera scolarisé dans une autre école spécialisée du CSSDM », écrit-elle.
« Bien que nous [ayons] préféré qu’il en soit autrement, sachez que nous mettrons tout en place pour limiter les défis d’adaptation liés à cette transition », assure-t-on.
« Le moindre des deux maux »
Le Devoir révélait jeudi que le CSSDM devait fermer des groupes et répartir les élèves dans d’autres classes, plusieurs postes d’enseignants titulaires n’ayant pas été pourvus. « Nous savons que ces décisions ne se prennent pas sans heurt et que cette mesure exceptionnelle bouleverse l’organisation scolaire », mentionnait un courriel interne envoyé mercredi soir par la direction générale du CSSDM.
« C’est inacceptable, lance Patricia Clermont, porte-parole du mouvement Je protège mon école publique. Ça fragilise la persévérance scolaire et la motivation d’un élève. Je sais qu’il n’y a rien de malin dans cette décision, mais je suis sidérée par le manque de proactivité. »
Elle ajoute que le problème de la pénurie d’enseignants pointe à l’horizon depuis des années. « Socialement et politiquement, on a laissé ça à vau-l’eau, et on arrive dans le goulot de l’étranglement. » Selon elle, en fermant des classes plutôt qu’en les laissant sans titulaire, les gestionnaires « ont choisi le moindre des deux maux. Mais on s’entend que ce sont deux maux ».
Selon Catherine Beauvais St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, il est plus difficile de recruter des enseignants pour les écoles spécialisées. « On parle ici d’enseignants en adaptation scolaire qui développent une expertise, dit-elle. Les profs ne courent pas les rues actuellement, mais les profs d’adaptation scolaire, encore moins. »
À cela s’ajoute le contexte particulier de l’école Espace-Jeunesse, qui prévoit un jour fermer ses portes pour fusionner avec l’école Henri-Julien, explique Marie Contant, vice-présidente à l’Alliance et responsable du dossier des écoles spécialisées. « Il y a un manque d’information et de l’imprévisibilité à cause de la fermeture, donc on assiste à un mouvement de personnel », mentionne-t-elle, dénonçant un « cafouillage » et un manque de transparence.
Comme il manque de main-d’oeuvre, il a été facile pour les enseignants insatisfaits de partir et de trouver un poste ailleurs, leur expertise étant recherchée. « On sent qu’il y a encore une certaine façon de gérer au CSSDM qui est arriérée et qui ne tient pas compte de la pénurie », souligne Catherine Beauvais St-Pierre.
Manque de communication
La fille de Barbara sera donc « scolarisée » à l’école spécialisée Henri-Julien à partir du 26 août, indique le message qu’elle a reçu. On précise qu’elle recevra un appel d’un membre du personnel de la nouvelle école dans les prochains jours. Barbara a malgré tout tenté d’établir le contact, pour buter à quelques reprises sur le répondeur. Elle se demandait si les fournitures scolaires étaient les bonnes et souhaitait connaître la date et l’heure de la rentrée, le calendrier scolaire n’étant pas affiché sur le site de l’école.
La famille a finalement eu des nouvelles jeudi après-midi, à son soulagement. La rentrée aura lieu mercredi prochain.
Elle ne veut pas blâmer les deux écoles, mais elle aurait aimé un minimum de prévisibilité « pour que tout le monde soit bien là-dedans ». « Quand il y a une situation difficile comme ça, la première chose que le CSSDM devrait faire, c’est communiquer avec les parents et donner des informations détaillées », propose-t-elle.
Questionné par Le Devoir, le CSSDM a indiqué que les élèves touchés par le manque d’enseignants à Espace-Jeunesse seraient accueillis dans trois écoles spécialisées de son territoire. « Comme à chaque rentrée, les parents sont rencontrés. Les élèves déplacés sont joints directement par la direction ou des intervenants des nouvelles écoles qu’ils fréquenteront », a indiqué par courriel le porte-parole, Alain Perron.
Il n’a pas précisé si des élèves d’autres écoles devraient également être transférés faute d’enseignants, ni le nombre de postes qu’il reste à pourvoir.