Pratiquement absente des écoles du Québec jusqu’ici, la réalité virtuelle devrait s’imposer comme un outil complémentaire aux méthodes traditionnelles. C’est du moins ce que propose l’entreprise d’ici Aleo, qui trame une petite révolution dans le milieu de l’éducation. Ses quatre jeunes fondateurs souhaitent implanter des jeux en réalité virtuelle dans les classes afin de contribuer à la réussite d’élèves du primaire dyslexiques-dysorthographiques ou ayant des difficultés en français.
« À sept ans, j’ai reçu des diagnostics de la belle brochette : dyslexie, dysorthographie et TDA [trouble déficitaire de l’attention] », raconte Catherine Bazinet, 25 ans, directrice de création et cofondatrice d’Aleo, avec sa grande soeur et deux anciens camarades de classe. Ayant connu des troubles d’apprentissage durant toute sa vie d’étudiante, elle s’est inspirée de la manière dont la technologie l’a aidée dans son propre parcours pour « permettre à d’autres jeunes de travailler à leur plein potentiel ».
Lancée en 2020, Aleo cible surtout les élèves de 7 à 12 ans, plus susceptibles de se sentir intimidés par les consultations d’orthopédagogie traditionnelles. L’entreprise offre une solution « clés en main » comprenant des casques de réalité virtuelle, un jeu et un logiciel pour mesurer les résultats des élèves. Son produit est désormais vendu à des cliniques d’orthopédagogie et à des écoles de la province. Il s’agit, selon Mme Bazinet, du tout premier exemple de plateforme de réalité virtuelle orthopédagogique au Québec.
« Je suis tellement reconnaissante de toute l’aide que j’ai reçue en tant qu’étudiante, dit-elle. Au début, c’était à la vieille méthode, avec papier et crayon. J’ai vraiment observé une évolution. Au primaire, j’ai eu accès à un dictionnaire électronique et, plus tard, j’ai pu utiliser un ordinateur pendant mes évaluations. Franchement, c’est grâce à la technologie que j’ai réussi à me rendre jusqu’à l’université. Aujourd’hui, j’en fais une mission de m’en servir pour aider des jeunes à se mettre au même niveau que les autres. »
Des vertus pédagogiques
Jonathan Bonneau est professeur au sein du baccalauréat en médias interactifs à l’UQAM, duquel Catherine est diplômée. Il travaille aussi au Laboratoire de recherche en médias socionumériques et ludification, où il a observé de « nombreux bienfaits » de l’intelligence artificielle en contexte pédagogique.
« On a besoin d’effectuer davantage de recherche en ce qui a trait aux impacts de la réalité virtuelle sur des élèves en état de difficulté d’apprentissage, par rapport à des classes ordinaires, dit-il. Par contre, on sait que cette technologie permet d’apprendre plus rapidement, parce qu’elle emprunte au jeu vidéo. Elle permet de faire oublier l’environnement d’apprentissage. On oublie qu’on est à la maison ou à l’école. On est immergé dans un nouvel univers qu’on peut s’approprier, ce qui peut mettre l’élève en confiance. »
Catherine Bazinet précise qu’un seul jeu est disponible sur sa plateforme actuellement, mais que d’autres y seront ajoutés ultérieurement. Intitulé La vallée du Yéti, d’une durée d’environ 15 minutes, il aborde la confusion visuelle entre certains logatomes ou graphèmes. L’utilisateur doit aider un yéti à se préparer pour une bataille de boules de neige sur lesquelles sont inscrits des non-mots comportant les confusions langagières travaillées.
C’est grâce à la technologie que j’ai réussi à me rendre jusqu’à l’université. Aujourd’hui, j’en fais une mission de m’en servir pour aider des jeunes à se mettre au même niveau que les autres.
« Les élèves l’adorent, lance d’entrée de jeu l’orthopédagogue Myriam Gagnon, qui le propose aux clients de sa clinique privée qui confondent les lettres b, d, p et q. On l’utilise souvent en guise de récompense. Le fait d’intégrer un monde de réalité virtuelle permet aux enfants de se relaxer, de travailler leur lecture et leur écriture sans la relation émotionnelle négative qu’ils peuvent entretenir avec d’autres exercices. »
Un domaine en expansion
En 2019, le ministère de l’Éducation du Québec a lancé son Cadre de référence de la compétence numérique, ainsi que des investissements de plus de 1,2 milliard de dollars sur cinq ans pour contribuer au « virage numérique » des écoles. Cette enveloppe peut donc permettre aux centres de services scolaires de se doter de casques de réalité virtuelle, entre autres. Le gouvernement n’a toutefois pas formulé de directives précises à ce sujet.
Pour l’heure, Mme Gagnon croit que la réalité virtuelle « devrait être utilisée davantage à l’école » et que « de plus en plus » de projets comme celui des soeurs Bazinet risquent de voir le jour.
M. Bonneau n’y voit quant à lui « que du bon », pourvu que la technologie soit utilisée correctement. Il reconnaît que certaines données des utilisateurs, telles que les mouvements de leur regard et de leurs ondes cérébrales, ou encore la fréquence de leurs battements de coeur, peuvent être récupérées à leur insu. Ces données peuvent toutefois être utilisées pour mesurer les performances des utilisateurs et « permettre aux jeux interactifs de s’adapter à la courbe d’apprentissage de l’élève ».
Le professeur ajoute que de nombreuses entreprises investissent, à l’heure actuelle, afin de perfectionner des outils pédagogiques en réalité virtuelle, dont les géants Roblox et Minecraft. Alors qu’on « voit aussi apparaître de plus en plus de projets au Canada », Aleo demeure tout de même, selon lui, « parmi les mieux placés pour atteindre plusieurs types de clientèles au Québec ».
Pour le moment, la plateforme de Catherine n’est utilisée qu’auprès de deux établissements, mais elle espère obtenir davantage de financement pour développer plus de jeux et la propager partout dans la province. Chose certaine, elle et sa petite équipe n’arrêteront pas d’essayer. « Un jour, il faudra s’asseoir avec le ministre de l’Éducation pour en parler. »