Des logements sociaux et communautaires pour aînés sont vides un peu partout dans la province parce que leurs gestionnaires sont incapables d’obtenir les assurances dont ils ont besoin pour exploiter ceux-ci légalement, a appris Le Devoir. Devant cette impasse, des organismes de plusieurs régions du Québec pressent le gouvernement Legault d’agir.
La résidence pour aînés en légère perte d’autonomie du Havre Paulois, composée de 20 logements sociaux et abordables, était attendue depuis plusieurs années dans la municipalité de Saint-Paul, dans Lanaudière. Depuis son ouverture le 1er juillet, quatre appartements de cette résidence demeurent toutefois vides parce que les gestionnaires du bâtiment à but non lucratif, financé par le gouvernement du Québec par AccèsLogis, n’ont toujours pas réussi à se procurer les couvertures d’assurances essentielles afin d’obtenir la certification de résidence pour aînés de la part du réseau de la santé. Et ce, malgré des tentatives répétées auprès de multiples compagnies d’assurances.
« Ce qu’on voit dans le marché, c’est que les résidences pour personnes âgées ont eu des défis pendant la pandémie en raison de ce qui est arrivé aux infirmières, aux intervenants. Il y a eu des poursuites, donc les assureurs sont très réticents à assurer les nouvelles résidences », explique au Devoir la courtière en assurance Nina Baiiche.
Les locataires qui avaient signé un bail en amont de l’ouverture du bâtiment de deux étages à Saint-Paul sont donc actuellement hébergés dans cette résidence de manière « illégale », puisque celle-ci n’est pas encore certifiée, résume au Devoir la facilitatrice en gestion collective de Habeo, le groupe de ressources techniques de la région de Lanaudière, Laurie Brault. « En ce moment, on est hors norme. Point », complète sa collègue Josianne Hébert, chargée de projet pour le même organisme spécialisé dans le développement de logements sociaux.
« Ça veut dire que nous, on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête parce que s’il arrive quelque chose, c’est nous qui sommes responsables », illustre Réjean Saint-Yves, un membre du conseil d’administration du bâtiment que Le Devoir a visité mercredi. En entrevue, il raconte s’être retrouvé devant un choix déchirant le 30 juin, lorsque lui et les autres membres de l’équipe de gestion ont dû décider s’ils devaient accueillir ou non les 17 locataires âgés ayant déjà signé un bail dans l’immeuble, dans ce contexte particulier.
« Le CA a pris une décision très courageuse en permettant aux résidents de venir quand même ici, mais normalement, on aurait dû les appeler [les locataires] et leur dire de se trouver une relocalisation », confie Mme Brault, qui s’inquiète pour la suite des choses. « Combien de temps vont-ils [le réseau de la santé, qui gère les certifications des RPA] nous permettre d’avoir des personnes ici ? On ne le sait pas », ajoute-t-elle, tout en évoquant la possibilité que cette résidence — neuve — doive carrément fermer ses portes. « C’est possible. »
Entre-temps, le conseil d’administration devra décider prochainement s’il décide de permettre à de nouveaux résidents d’emménager dans ce bâtiment, malgré le risque encouru, indique M. Saint-Yves. « Pour les louer [les logements vides], ce ne serait pas un gros problème. Mais la question qu’on va se poser, c’est : est-ce qu’on va signer d’autres baux tant qu’on n’est pas certifié ? »
Partout au Québec
Le cas de cette résidence est d’ailleurs loin d’être anodin. Dans plusieurs régions de la province, des logements sociaux pour aînés ayant récemment ouvert leurs portes se retrouvent vides parce que leurs gestionnaires sont incapables d’obtenir les couvertures d’assurance dont ces établissements ont besoin, confirme le directeur général de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ), Éric Cimon.
« Les nouveaux projets sont flambant neufs, ils répondent à toutes les normes ; je ne comprends pas pourquoi il n’y aurait pas des interventions rapides pour débloquer les assureurs », lance M. Cimon, qui presse le gouvernement Legault d’agir dans ce dossier.
En Abitibi-Témiscamingue, une résidence comptant 16 logements sociaux destinés aux aînés est en grande partie vide actuellement pour la même raison, relève le chargé de projet principal du groupe de ressources techniques Abitibi-Témiscamingue Ungava, Martin Briault. « Ça fait bientôt un an qu’on court, qu’on sollicite toutes les compagnies d’assurances », en vain, déplore-t-il. Le tout au moment où la région est « en crise du logement » depuis des années. « C’est à n’y rien comprendre. »
Joint par Le Devoir, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) assure être « bien au fait des difficultés que rencontrent certaines [résidences privées pour aînés (RPA)] à vocation sociale lors de l’obtention d’un permis en lien avec la détention des assurances requises ». Un programme a d’ailleurs été mis en place l’an dernier pour aider celles-ci à « faire face à l’augmentation des primes d’assurance observée », indique le MSSS.
« En ce qui concerne les RPA qui ont des difficultés à trouver des assureurs, des pistes de solution sont explorées avec le Bureau d’assurance du Canada et les compagnies d’assurances », ajoute-t-on. Or, à cet effet, « mon inquiétude, c’est la vitesse de la réponse » qui viendra pour régler ce dossier, relève Éric Cimon. « Ça devient pressant de trouver une solution. »