La nécessité d’augmenter l’offre de soins à domicile fait largement consensus. Mais peut-on pour autant se passer des services en hébergement de longue durée ?
Vice-président de l’agence de relations publiques TACT, Pascal Mailhot a gravité dans les hautes sphères comme conseiller politique au cabinet du premier ministre du Québec successivement pour Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a aussi occupé différents postes de cadre supérieur dans le réseau de la santé, notamment à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à titre de porte-parole.
Gabriel Nadeau-Dubois a fait des soins à domicile un de ses mantras dans les mois précédant les élections d’octobre 2022. « François Legault veut construire des maisons des aînés. Notre projet à Québec solidaire, c’est que les aînés puissent rester dans leur maison. Ce n’est pas normal qu’en 2022, au Québec, nos parents et nos grands-parents aient peur de vieillir », écrivait-il sur Twitter le 18 mai dernier.
Cette opposition entre l’hébergement et les soins à domicile a sans doute fourni au co-porte-parole de Québec solidaire une rhétorique utile en campagne électorale. La question est toutefois plus complexe qu’une simple opposition entre deux options… et elle place le gouvernement devant un dilemme cornélien.
Les soins à domicile ont été discutés à coups de centaines de millions, voire de quelques milliards, lors de la dernière campagne électorale. Au-delà des déclarations de principes de Gabriel Nadeau-Dubois, l’engagement de Québec solidaire (750 millions supplémentaires en matière de soins à domicile) représentait moins que les promesses des autres formations politiques.
La CAQ proposait 900 millions, alors que le Parti québécois voulait faire sauter la banque en allongeant pas moins de 3 milliards par année… De manière plus concrète encore, les libéraux ont promu l’idée d’une « Allocation aînés » de 2 000 dollars annuellement pour pouvoir rester à la maison.
Les partis politiques l’ont bien compris : pouvoir demeurer à la maison jusqu’à son dernier souffle est maintenant le rêve d’une vaste majorité d’aînés. Une aspiration encore plus grande depuis que la pandémie de COVID-19 a révélé au grand jour les horreurs vécues dans les CHSLD.
Représentant à peine 4 % de la population québécoise en 1970, les personnes de plus de 70 ans forment aujourd’hui près de 14 % de la société. Cette proportion grimpera à 20 % d’ici 2035. Une mutation démographique qui pose un défi redoutable pour assurer le bien-être des aînés.
« Le Québec foncera dans un mur s’il maintient ses politiques actuelles, particulièrement le recours élevé aux solutions d’hébergement », écrivait l’ancien éditorialiste Alain Dubuc dans une étude sur les soins à domicile publiée par l’Institut du Québec en août 2021.
Parmi les provinces canadiennes, le Québec compte la plus grande proportion de personnes âgées en hébergement : plus de 40 % des 85 ans et plus. Avec le rythme prévu de croissance de cette tranche de la population, il faudrait doubler les quelque 63 000 places présentement disponibles en hébergement d’ici une douzaine d’années. Un chantier pharaonique !
Une idée noble
C’est dans ce contexte que le gouvernement de la CAQ a annoncé son intention de lancer une deuxième phase de construction de maisons des aînés, un nouveau type d’habitation offrant des milieux de vie à échelle humaine.
Dans mon ancienne vie de conseiller, j’ai participé à la gestation de cette idée quelques mois avant la campagne électorale de 2018. Alors dans l’opposition, la CAQ dénonçait systématiquement les situations de négligence envers les aînés. Pommes de terre en poudre, soins hygiéniques insuffisants, plaies de lit ; le député François Paradis ne manquait jamais l’occasion d’interpeller le gouvernement libéral sur les conditions de vie lamentables subies par les personnes âgées résidant en CHSLD, ces sinistres mastodontes aménagés à la manière d’un hôpital.
Il fallait marquer une rupture. Fini les CHSLD, a donc promis la CAQ. Il s’agissait du premier engagement officiel de la campagne de 2018. « Le projet d’une génération ! » s’enthousiasmait alors François Legault. D’ici 2038, les places existantes en CHSLD seraient entièrement remplacées par ce nouveau type d’habitation, assurait-on.
La CAQ a gagné les élections et pris les commandes de l’État. Rapidement, on a confié à la Société québécoise des infrastructures (SQI) le mandat de construire une trentaine de maisons des aînés, pour un total de 2 600 places. Chambres agrandies, toilettes et douches individuelles, espaces pour accueillir les familles… « C’est une vraie révolution, ce projet », expliquait avec entrain la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, à qui incombait la responsabilité de concrétiser cet engagement phare de la CAQ (elle avait déjà été ministre responsable des Aînés dans le gouvernement Charest, de 2007 à 2012). « Non seulement on va offrir de beaux espaces de vie, mais on change aussi toute la philosophie de l’hébergement public pour les aînés », ajoutait-elle.
Ce vaste chantier était alors estimé à 1,5 milliard de dollars.
Les « MDA-MA »
Hélas, de dépassements de coûts en reports des échéanciers — sans parler du manque de main-d’œuvre —, cette idée noble de maison des aînés est devenue peu à peu synonyme d’extravagance, du moins dans le discours des partis d’opposition. En plus, des fonctionnaires ont trouvé le moyen de l’affubler d’un nouveau sigle tout aussi biscornu que l’ancien — « MDA-MA » pour « maison des aînés et maison alternative ». Misère !
Les partis d’opposition ne ratent pas une occasion de critiquer ce projet caquiste. « On tirerait la plogue là-dessus », a affirmé la députée de Québec solidaire Christine Labrie lorsque le premier ministre a annoncé que son gouvernement devait reporter l’ouverture de 31 des 33 maisons des aînés en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans l’industrie de la construction. Du côté du Parti libéral, la députée Linda Caron estimait au même moment que le gouvernement devait abandonner la construction de nouvelles maisons. « Les coûts sont énormes, faramineux. Ce n’est pas réaliste d’en faire assez pour répondre à la liste d’attente. » Le gouvernement Legault, au lieu d’investir dans le « béton », devrait allouer ses budgets aux services pour le maintien à domicile, a ajouté pour sa part le député péquiste Joël Arseneau.
Voilà qui nous ramène donc à l’idée de vieillir à la maison, avec les soins à domicile comme panacée au défi démographique. Pour quiconque doute encore des vertus de cette approche, il faut lire ou relire l’excellent dossier publié dans L’actualité en septembre 2021 :
- Tandis que les pays de l’OCDE consacrent au moins la moitié de leur budget pour les soins de longue durée à des mesures permettant de demeurer à la maison, au Québec, la proportion tourne autour de 23 % seulement.
- Le maintien à domicile est pourtant beaucoup moins dispendieux pour l’État qu’une place en foyer pour personnes âgées.
- D’après plusieurs spécialistes, une proportion notable (de 20 % à 30 %) de lits en CHSLD sont occupés par des gens qui auraient pu demeurer chez eux moyennant un meilleur soutien à domicile.
- À défaut d’améliorer les services de maintien à domicile, il faudra 40 000 chambres supplémentaires en foyer de soins d’ici 20 ans.
Le ministre des Finances, Eric Girard, l’a bien saisi en déliant les cordons de la bourse dans son dernier budget avant les élections d’octobre 2022. La Commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, a également reçu le mandat de recommander au gouvernement des moyens de fournir davantage de soins à domicile aux personnes âgées. Voyons comment le gouvernement donnera suite à son rapport, attendu d’ici la fin 2023.
Ce repositionnement en faveur des soins à domicile annonce-t-il le début de la fin des maisons des aînés ? Avant de tirer un trait trop rapidement, sachez qu’au moment où vous lisez ces lignes, on compte au Québec plus de 4 000 personnes en attente d’une place en hébergement de longue durée. Dans l’intervalle, ces personnes occupent des lits dans les hôpitaux. Des lits qui ne peuvent accueillir les patients des urgences devant être hospitalisés. Un cercle vicieux qui ne cesse de s’aggraver.
Tout le monde souhaite pouvoir rester chez soi le plus longtemps possible, mais lorsqu’une personne tombe en état de grande dépendance en raison de l’âge ou d’un handicap, et qu’elle a besoin d’une attention soutenue, il faut pouvoir lui offrir un environnement de vie digne et respectueux de sa personne. Un retour aux CHSLD déshumanisants du passé est-il la meilleure option ? Il faudrait poser la question aux partis d’opposition. À défaut d’une réponse, on devra conclure qu’il demeure nettement préférable de privilégier des maisons des aînés sans doute plus modestes, mais toujours construites et aménagées de telle sorte que les personnes qui y habitent s’y sentent le plus possible chez elles.