La vague inflationniste obligera le milieu philanthropique à mettre les bouchées doubles pour soutenir financièrement des organismes de bienfaisance aux prises avec des besoins grandissants. Des fondations se montrent cependant optimistes quant à la générosité de leurs donateurs, bien qu’ils subissent eux-mêmes la hausse vertigineuse du coût de la vie.
L’augmentation des prix à la consommation, qui a atteint 6,8 % en avril, pourrait remettre en question le choix de donner qu’ont fait bien des gens. Si on se fie à un récent rapport de la plateforme CanaDon, un Canadien sur quatre prévoit donner moins en 2022 qu’en 2021.
D’autres décideront peut-être de donner tout autant, c’est-à-dire ni plus ni moins qu’auparavant. Le problème, c’est qu’une somme de 100 dollars remise aujourd’hui à une œuvre caritative qui subit elle aussi les contrecoups de l’inflation n’a pas la même valeur qu’une somme de 100 dollars remise il y a un an.
« Dans les prochains mois, on va devoir travailler très très fort pour être capables d’aller chercher autant de dons et même plus, parce qu’en réalité, on anticipe aussi une augmentation importante des sollicitations de la part des jeunes et des familles qui sont pris en charge par la DPJ », reconnaît la directrice générale de la Fondation des jeunes de la DPJ, Fabienne Audette.
Certains organismes, notamment des banques alimentaires, reçoivent de deux à trois fois plus de demandes, évoque pour sa part le président et directeur général de Centraide du Grand Montréal, Claude Pinard.
Malgré tout, le président du conseil d’administration de l’Association des professionnels en philanthropie au Québec, Daniel Lanteigne, se montre optimiste. Il explique qu’habituellement, un grand sentiment de solidarité s’installe en temps de crise et que les donateurs se montrent plus généreux.
« Le niveau des dons se maintient généralement. Certains donnent plus, d’autres vont donner à la hauteur de leurs moyens ou ne donneront pas. Mais il y a un équilibre qui se retrouve à travers les différents niveaux de revenus et de vie, donc différents niveaux de don », mentionne M. Lanteigne.
Même si l’heure n’était pas encore à l’inflation, des données de Statistique Canada révèlent que la générosité du public n’a pas fléchi au fil des ans. Si le nombre de donateurs a connu une baisse entre 2016 et 2020, la valeur totale des dons a augmenté pour se chiffrer à un peu plus de 10,5 milliards de dollars en 2020 au Canada.
Durant la pandémie, la Fondation des jeunes de la DPJ a pu compter sur des donateurs fidèles qui, épargnés par la crise, ont décidé de donner davantage, fait remarquer Fabienne Audette.
Centraide du Grand Montréal a lui aussi assisté, au cours des deux dernières années, à l’augmentation des sommes d’argent recueillies lors de ses campagnes de financement, indique Claude Pinard.
Maintenir les liens
Le PDG de Centraide du Grand Montréal entrevoit la crise inflationniste comme une occasion de sensibiliser les plus gros donateurs et de susciter un élan de générosité.
« On a un groupe de grands donateurs qui donnent 10 000 dollars et plus. On va donc certainement les interpeller. L’équipe est en train de se pencher sur différentes stratégies pour les sensibiliser afin de voir comment on pourrait faire augmenter les dons non seulement de cette catégorie de donateurs mais également de tous les dons en entreprise », explique Claude Pinard.
Selon Daniel Lanteigne, maintenir un lien constant avec son réseau demeure la clé, crise ou pas.
« Les organisations qui ont le mieux traversé la pandémie et qui vont aussi passer facilement à travers l’inflation sont celles qui prennent des nouvelles de leurs donateurs, qui présentent des projets et qui reviennent vers eux en leur disant : « Voici ce qu’on a fait avec votre argent et pourquoi on va vous en redemander éventuellement » », soutient M. Lanteigne.
Les grands événements-bénéfice peuvent aider à cultiver ce sentiment d’appartenance. Leur retour après une longue absence donnera un regain à cette stratégie de collecte de fonds, même si elle comporte encore une gestion de risque avec la pandémie.
« Ça va être comme une nouveauté en soi puisqu’on n’en a pas eu depuis quelques années. C’est un arc-en-ciel à l’horizon, si je peux dire », mentionne Mme Audette.
Donner plus, consommer moins
Le message des campagnes de financement destinées au grand public devra amener à relativiser le degré d’insécurité par rapport à celui vécu par d’autres, avance pour sa part le codirecteur du Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie (PhiLab), Jean-Marc Fontan.
« On se rend compte qu’on n’est pas si mal pris et on a quand même des marges de manœuvre à utiliser pour donner […]. Il faut peut-être se dire [qu’on devrait] consommer un peu moins mais pas nécessairement donner moins. » – Jean-Marc Fontan, professeur au Département de sociologie de l’UQAM
Les fondations comptent aussi sur des placements dans les marchés financiers et sur des réserves où elles peuvent aller puiser pour mettre davantage d’argent à contribution en faveur des organismes de bienfaisance, ajoute M. Fontan.
Si notre portefeuille ne nous permet pas de donner une somme d’argent, une contribution en temps est tout aussi la bienvenue à une période où les équipes des organismes communautaires sont à bout de souffle.
« On a tous besoin, comme humains, de redonner », fait valoir Fabienne Audette. « Quand on s’implique en faisant du bénévolat, ça a aussi une très grande valeur. »