Des outils de communication qui nuisent à la communication

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Conférence de presse du lancement de la déclaration « Traversons l’écran. Pour que l’humain demeure au coeur des services publics! », le 8 avril dernier.
Photo: Caroline Dufour Conférence de presse du lancement de la déclaration « Traversons l’écran. Pour que l’humain demeure au coeur des services publics! », le 8 avril dernier.

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation

Alors que le gouvernement accélère son virage numérique, nombre de personnes peu alphabétisées et en situation de vulnérabilité peinent à suivre la machine. La campagne Traversons l’écran. Pour un virage numérique humain, du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ), s’attaque à ce problème, notamment dans une déclaration qui plaide pour maintenir l’humain au coeur des services publics.

Qui n’a jamais souhaité parler à un humain au téléphone, après avoir fait l’option deux, l’option trois, puis, incertain, l’option neuf, et ce, sans aboutir au service désiré ?

C’est pour lutter contre ce type de situation que le RGPAQ a lancé, lors de la 7e Semaine de l’alphabétisation populaire, en avril 2023, sa campagne. Toujours en cours, elle vise à s’assurer que le droit à l’information est respecté et que les personnes peu alphabétisées et en situation de pauvreté ont accès aux services auxquels elles ont droit. « La pauvreté va souvent de pair avec un faible niveau de littératie, qui va de pair avec un faible niveau d’alphabétisme numérique », affirme Cécile Retg, responsable à la défense collective des droits au RGPAQ.

En effet, en 2017, près d’une personne sur cinq de la population québécoise vivait dans la pauvreté, selon l’indicateur de revenu viable développé par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Deux ans plus tôt, un rapport du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) soulignait qu’une même proportion d’individus avait un niveau très faible de littératie et de numératie (niveau 1 ou moins).

Un problème de société

Si l’on ajoute à cela l’inégalité d’accès aux technologies, la numérisation de nombreux services risque de renforcer les inégalités sociales. Des parents peinent à communiquer avec les enseignants ou à aider leurs enfants lors des devoirs qui s’effectuent sur des plateformes en ligne. Des personnes ne parviennent pas à se connecter à leur rendez-vous médical ou à prendre rendez-vous avec un médecin sur Internet, si bien qu’elles baissent les bras et que leur état de santé s’aggrave. D’autres ne bénéficient pas des allocations auxquelles elles ont droit, ne parvenant pas à remplir les formulaires nécessaires sur Internet ou n’arrivant pas à obtenir de l’aide par téléphone, se perdant dans les options que leur propose une voix robotisée.

Le virage numérique dans les services publics affecte « beaucoup plus de personnes que le gouvernement ne le croit », soutient Mme Retg. « C’est entre autres ce que notre déclaration Traversons l’écran. Pour que l’humain demeure au coeur des services publics ! [lancée en avril dernier] souhaite démontrer. »

Gens à faible revenu, personnes âgées, mais aussi immigrants et adolescents, « la technologisation nous affecte tous à divers degrés. Même les jeunes nous disent se sentir parfois dépassés par cette technologie qui prend d’assaut les services publics », mentionne la responsable. Et s’ils ne sont pas déjà en situation de décalage numérique, « ils le seront tôt ou tard, comme les aînés », soutient Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), qui collabore à la déclaration avec d’autres regroupements.

Des solutions humaines

Effectivement, la technologie évolue si rapidement qu’il est difficile de se maintenir à jour. « Alors, imaginez quelqu’un qui est déjà en décalage ! » dit le président. Mettre en place des solutions technologiques qui permettent à l’administration de gagner en efficacité et de minimiser les coûts, M. Lynch n’est pas contre, « mais pas au prix d’exclure des personnes qui ont encore beaucoup à offrir à la société », déclare-t-il en référence aux personnes âgées. De fait, la complexité du numérique pour les aînés a souvent comme conséquence de les mettre à l’écart. « Frustrés, ils se retirent de la société et n’y participent plus, alors que ce sont eux qui effectuent la majorité du bénévolat qui bénéficie à notre société. »

La déclaration demande donc que les services publics continuent d’être offerts en personne, soient humanisés, c’est-à-dire à l’écoute et bienveillants, et utilisent un langage clair et des procédures plus simples. « Nous demandons aussi que le gouvernement donne accès à Internet et à des outils technologiques à moindre coût et qu’il favorise l’apprentissage de ceux-ci tout au long de la vie », explique Cécile Retg, qui souhaite que la déclaration, qui sera déposée au cours de l’année 2025, obtienne 10 000 signatures.

Jusqu’ici, la campagne porte doucement ses fruits. « Le ministère de la Cybersécurité et du Numérique a commandé une consultation à l’organisme Votepour.ca concernant les freins à l’accès aux services gouvernementaux numériques », mentionne Mme Retg. Pour Pierre Lynch, la manière dont s’effectue le virage numérique est « un problème de société qui nous concerne tous ». Ainsi, la question est peut-être celle du monde dans lequel nous souhaitons vivre : un monde humain ou efficace ? « On peut évoluer et rester humain, il faut simplement ralentir », conclut M. Lynch.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

Publié le 07 septembre 2024
Par Roxanne Bélair, Collaboration spéciale