Détecter le trouble développemental du langage dès l’âge de deux ans

Une étude per­met de désign­er plus pré­co­ce­ment les fac­teurs pré­dic­tifs d’un trou­ble développe­men­tal du lan­gage par­mi les enfants qui ont été vus en pédopsy­chi­a­trie.

Jusqu’à présent, le trou­ble développe­men­tal du lan­gage se détec­tait davan­tage à par­tir de qua­tre ou cinq ans. L’étendue du vocab­u­laire ain­si que l’apparition de nou­veaux mots sont des mesures fréquem­ment util­isées en clin­ique et en recherche pour dépis­ter ce trou­ble.

Une nou­velle étude pro­pose de le décel­er dès l’âge de deux ans grâce à d’autres sig­naux. Cette étude a été menée auprès de 795 enfants de près de cinq ans par une équipe de l’Université de Mon­tréal com­posée de Flo­rence Valade, doc­tor­ante en psy­cholo­gie, Marie-Julie Béliveau, pro­fesseure de psy­cholo­gie, Chan­tale Breault, doc­tor­ante en sci­ences de l’orthophonie et de l’audiologie, Ben­jamin Chabot, diplômé du bac­calau­réat en psy­cholo­gie, et Fan­nie Labelle, doc­tor­ante en psy­cholo­gie.

Un trouble méconnu

Le trou­ble développe­men­tal du lan­gage est un trou­ble neu­rodéveloppe­men­tal pou­vant occa­sion­ner des dif­fi­cultés de pronon­ci­a­tion, de com­préhen­sion, de con­struc­tion de phras­es, d’emploi de vocab­u­laire. Il ne s’agit pas d’un retard de développe­ment du lan­gage qu’un enfant va ensuite rat­trap­er. Il n’est pas non plus spé­ci­fique à une langue en par­ti­c­uli­er.

Aupar­a­vant, on par­lait notam­ment de dys­phasie ou de trou­ble spé­ci­fique du lan­gage. «Plusieurs ter­mes et déf­i­ni­tions dif­férents ont été util­isés dans le passé pour désign­er les enfants ayant des dif­fi­cultés de lan­gage, ce qui a don­né lieu à des obsta­cles impor­tants dans l’interprétation de la lit­téra­ture per­ti­nente, la réc­on­cil­i­a­tion de résul­tats dis­parates et la for­mu­la­tion de con­clu­sions», note Marie-Julie Béliveau.

Un grand tra­vail de con­sen­sus a été réal­isé depuis 2016 par­mi les experts inter­na­tionaux pour arriv­er à cette nou­velle ter­mi­nolo­gie.

«Par rap­port aux trou­bles du lan­gage, c’est une affec­tion qui est moins étudiée que d’autres alors qu’elle est quand même assez fréquente dans la pop­u­la­tion générale, mais égale­ment dans les pop­u­la­tions clin­iques. Une des dif­fi­cultés ren­con­trées est qu’il y a beau­coup moins de con­nais­sances sur les critères pour dépis­ter le trou­ble développe­men­tal du lan­gage chez les très jeunes enfants. Sou­vent, il y a des réserves à pos­er ce diag­nos­tic avant l’âge de qua­tre ou cinq ans, car on ne veut pas sur­pathol­o­gis­er de jeunes enfants. Mais d’un autre côté, il y a aus­si un enjeu à ne pas offrir les ser­vices à un moment où ça pour­rait être vrai­ment cri­tique pour eux. Ces nou­velles recherch­es sur des enfants plus jeunes per­me­t­tent d’ori­en­ter plus rapi­de­ment les enfants vers les ser­vices dont ils ont besoin», ajoute Marie-Julie Béliveau.

Des données collectées en clinique psychiatrique

Cette étude a été réal­isée non pas à par­tir d’une pop­u­la­tion générale, mais à par­tir de patients et patientes qui ont été dirigés vers les ser­vices d’une clin­ique psy­chi­a­trique de la petite enfance pour des dif­fi­cultés développe­men­tales, émo­tion­nelles et com­porte­men­tales.

L’équipe de recherche a analysé 795 dossiers dont le ratio était de trois garçons pour une fille.

«Les infor­ma­tions recueil­lies com­pre­naient le sexe de l’enfant, l’âge de l’enfant et de la mère, le niveau d’é­d­u­ca­tion et le pays de nais­sance de la mère, le rang de nais­sance, l’état civ­il des par­ents, les antécé­dents famil­i­aux de retard de lan­gage ain­si que l’âge de l’enfant à l’acquisition des étapes de développe­ment suiv­antes: pre­miers mots, pre­mières phras­es, pre­miers pas, appren­tis­sage de la pro­preté, ali­men­ta­tion autonome.»

Par­mi les enfants étudiés, 63 % ont reçu un diag­nos­tic de trou­ble du développe­ment du lan­gage.

Les enfants qui prononcent leurs premiers mots après deux ans sont six fois plus à risque d’un trouble développemental du langage

L’analyse des dossiers a révélé que la prob­a­bil­ité d’avoir un trou­ble développe­men­tal du lan­gage était six fois plus élevée pour les enfants qui prononçaient leurs pre­mières phras­es après 24 mois, presque trois fois plus élevée pour les enfants de mères immi­grantes et plus de deux fois plus élevée pour les enfants ayant des antécé­dents famil­i­aux de retard de lan­gage.

Le rang de nais­sance, l’apprentissage de la pro­preté et l’alimentation indépen­dante ultérieure ain­si que le sexe de l’enfant n’ont pas été désignés comme des fac­teurs pré­dic­tifs sig­ni­fi­cat­ifs d’un trou­ble développe­men­tal du lan­gage.

«Si l’on est en présence d’historiques famil­i­aux de dif­fi­cultés lan­gag­ières et que les com­bi­naisons de mots sont arrivées après l’âge de deux ans et s’il y a eu une immi­gra­tion mater­nelle, les enfants sont plus à risque. Être à risque ne veut pas dire néces­saire­ment que l’enfant va dévelop­per un trou­ble développe­men­tal du lan­gage. Mais dans une per­spec­tive de préven­tion, il est judi­cieux de détecter un prob­lème pour qu’il soit pris en charge le plus tôt pos­si­ble», affirme Flo­rence Valade.

L’immigration maternelle augmente la probabilité du diagnostic du trouble développemental du langage

Les travaux de l’équipe de recherche ont égale­ment révélé que les enfants de mères immi­grantes avaient trois fois plus de risques de dévelop­per un trou­ble développe­men­tal du lan­gage. Toute­fois, ces don­nées ont été recueil­lies par­mi des dossiers d’enfants dirigés vers une clin­ique psy­chi­a­trique. L’équipe souhait­erait véri­fi­er dans de futures études si ces don­nées sont observées au sein de la pop­u­la­tion générale ain­si qu’auprès d’autres pop­u­la­tions clin­iques. Elle voudrait égale­ment observ­er ce qu’il en est du côté pater­nel. Les don­nées étaient trop lacu­naires dans les dossiers con­sultés pour tir­er des con­clu­sions.

«Nous n’avons pas été en mesure d’étudier plus en pro­fondeur quels sont les mécan­ismes sous-jacents de la rela­tion entre le trou­ble développe­men­tal du lan­gage et le fait d’avoir une mère immi­grante. Ce pour­rait être l’objet de prochains travaux», note Flo­rence Valade.

Plusieurs langues dans le foyer n’entraînent pas de trouble développemental du langage

Si l’étude révèle une forte asso­ci­a­tion entre des mères immi­grantes et un trou­ble développe­men­tal du lan­gage chez cer­tains enfants, en revanche, par­ler une ou des langues autres que le français à la mai­son n’est nulle­ment pré­dic­tif d’un trou­ble développe­men­tal du lan­gage. «Ce résul­tat nous per­met donc d’écarter le lien entre le fait d’en­ten­dre dif­férentes langues à la mai­son et l’aug­men­ta­tion du risque d’avoir un trou­ble développe­men­tal du lan­gage. Cela est d’ailleurs cohérent avec les avan­tages pour les jeunes enfants d’ap­pren­dre plusieurs langues alors qu’ils sont encore en développe­ment», affirme Flo­rence Valade.

Publié le 08 août 2022
Par Virginie Soffer