Doit-on élargir l’aide médicale à mourir à des enfants malades de moins d’un an?

Temps de lecture estimé : 5 minutes.

Le Collège des médecins du Québec est favorable à l’élargissement de l’aide médicale à mourir à certains bébés de moins d’un an, une position connue depuis décembre 2021. Or, depuis vendredi, cette même position provoque une levée de boucliers de certains organismes et groupes de pression canadiens qui militent contre ce soin de fin de vie.

À l’origine de la relance du débat : le passage du Dr Louis Roy, inspecteur à la direction de l’inspection professionnelle au Collège des médecins du Québec, devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir à Ottawa.

Le Dr Roy a alors réitéré la position du Collège des médecins, qui se dit favorable à l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux bébés de moins d’un an « victimes de souffrances extrêmes qui ne peuvent être soulagées, couplées à des pronostics très sombres, et affectés par des malformations sévères ou des syndromes polysymptomatiques graves, qui annihilent toute perspective de survie ».

Adoptée en juin 2016, la loi C-14 sur l’aide médicale à mourir doit obligatoirement être révisée après cinq ans. C’est donc devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, auquel siègent des membres du Sénat et de la Chambre des communes, que doivent témoigner les différents organismes qui souhaitent se faire entendre concernant l’élargissement de ce soin de fin de vie, notamment aux enfants de moins d’un an, aux adolescents de 14 à 17 ans et aux personnes atteintes de troubles neurocognitifs.

Sur les réseaux sociaux, et dans un article publié en une du National Post lundi, des groupes opposés à l’aide médicale à mourir se sont dits « alarmés » et « horrifiés » par la position du Collège des médecins du Québec.

En entrevue à Midi info, le Dr Alain Naud, médecin de famille spécialisé en soins palliatifs au CHU de Québec et membre du conseil d’administration du Collège des médecins, a tenu à clarifier la position de l’ordre professionnel.

« La réflexion du Collège des médecins ne porte pas sur des enfants qui naissent avec des handicaps, mais bien sur des enfants qui naissent avec des conditions incompatibles avec la vie », a indiqué le Dr Naud, évoquant le cas précis d’un enfant né « sans intestins », à l’été 2021, et dont « la mort était évidemment inévitable ».

« La mère en a témoigné publiquement pour dire à quel point ç’a été extrêmement pénible, l’agonie de ce bébé-là, qui est mort après deux semaines, même s’il avait de la morphine régulièrement », a-t-il raconté.

« Et la mère soulevait la question : pourquoi, dans ces cas-là de mort inévitable et de souffrances évidentes, doit-on se résigner à regarder le bébé râler la bouche ouverte pendant des jours et des semaines de temps? Pourquoi ne pas permettre l’aide médicale à mourir dans ces conditions? »

Des situations « rares, exceptionnelles et dramatiques »

Selon le Dr Alain Naud, les réactions « proviennent de groupes militants opposés à l’aide médicale à mourir en partant, qui, souvent, vont déformer, exagérer ou carrément inventer des éléments ».

Par exemple, l’organisme Inclusion Canada, qui milite pour l’intégration des personnes ayant une déficience intellectuelle, craint que les familles d’enfants nés avec des handicaps ne fassent l’objet de pressions indues pour recourir à l’aide médicale à mourir sur la base de diagnostics biaisés par des préjugés capacitistes.

Dénonçant l’incapacité des enfants de moins d’un an à donner leur consentement éclairé, l’organisme qualifie de « meurtre pur et simple » la possibilité de leur administrer des soins de fin de vie. En fonction de cette notion de consentement, on craint qu’un tel élargissement de l’aide médicale à mourir ne mène à un précédent « extrêmement dangereux » pour toutes les personnes qui souffrent de déficience intellectuelle.

À l’organisme Euthanasia Prevention Coalition, on ne comprend pas la nécessité d’avoir recours à l’aide médicale à mourir si les chances de survie de l’enfant sont de toute façon nulles. Pourquoi ne pas simplement soulager les souffrances de l’enfant en attendant sa mort naturelle? demande-t-on.

« Il ne s’agit pas ici de parler d’aide médicale à mourir pour tous les bébés qui vont naître avec un handicap quelconque ou de jauger de la qualité de vie », rétorque le Dr Naud.

« Mais dans ces situations exceptionnelles où il n’y a aucune vie envisageable, pourquoi ne pas le considérer à la demande des parents? » – Dr Alain Naud, médecin de famille spécialisé en soins palliatifs au CHU de Québec et membre du conseil d’administration du Collège des médecins du Québec

Le Dr Naud souhaite que le Canada s’inspire des Pays-Bas, où un protocole « extrêmement rigoureux », appelé Groningen Protocol, existe depuis 2005 pour encadrer le processus décisionnel qui peut mener à l’administration de l’aide médicale à mourir à des enfants de moins d’un an, dans « des situations rares, exceptionnelles, qui n’en sont pas moins dramatiques et importantes ».

« C’est clairement une demande pour les parents qui ont eu à vivre cette situation […] et je pense qu’il faut que la société se pose ces questions-là et fasse ce débat. »

Publié le 11 octobre 2022
Par Joëlle Girard