[Éditorial] L’hôpital n’est pas un milieu de vie

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Il y a un an, les frais imposés aux patients qui ne requièrent plus de soins actifs à l’hôpital, mais refusent une place dans un milieu d’hébergement transitoire qu’ils jugent incompatible avec leur quotidien ou celui de leurs proches sont passés de 282 $ à 429 $ par jour. À raison, ce bond a été qualifié de « scandaleux » par le Conseil pour la protection des malades. Mais au-delà de l’indécence d’imposer de tels montants à des personnes vulnérables, il faut réfléchir de façon lucide et posée aux lits hospitaliers que ces dernières mobilisent malgré elles.

Au 7 avril, le taux d’usagers hospitalisés ne requérant plus de soins en centre hospitalier était en légère croissance, à 12,12 %. Cela fait beaucoup de lits bloqués. Beaucoup trop. Pour que le ballet des lits puisse fonctionner et jeter assez de lest sur nos urgences prises d’assaut, le ministère de la Santé et des Services sociaux calcule que ce taux ne doit pas dépasser les 8 %. Qu’il cherche à libérer ces places n’a par conséquent rien du caprice, mais tout de la nécessité.

Cette pratique est parfaitement légale, là n’est pas la question. Les établissements de santé sont tenus d’exiger des sommes compensatoires conformément à un règlement d’application de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Elle est même pleinement justifiée si on veut offrir le bon soin, au bon moment, au bon endroit, par le bon professionnel à tous les Québécois. Mais la manière dont on l’applique est-elle morale pour autant ? La question se pose.

Mise en lumière en ces pages par la reporter Marie-Eve Cousineau, cette pratique a permis des aberrations qui en disent long sur le chemin qu’il reste à parcourir au Québec pour affronter notre réalité de société vieillissante dans un réseau de la santé en pleine refondation. Déjà, l’énormité de son tarif journalier a fait l’unanimité contre lui parmi les partis d’opposition, certains le jugeant « excessif » tandis que d’autres critiquaient son « manque d’humanité » flagrant.

Comment, en effet, ne pas trouver déraisonnables les plus de 27 000 $ facturés à un homme de 90 ans pour avoir refusé que son épouse de 83 ans, qui ne requérait plus de soins hospitaliers, soit transférée dans un milieu transitoire situé à une quarantaine de kilomètres de leur résidence ? Selon leur fils, cette somme crève-cœur dépasse les frugales économies du couple, ensemble depuis six décennies.

Le montant en question est déterminé par Québec. À 429 $ par jour, il dépasse largement les 41,89 $ à 67,31 $ réclamés en moyenne par jour pour des services équivalents hors hôpital. Le gouvernement méritait la volée de bois vert qu’il a reçue. La ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, n’a d’ailleurs pas tardé à se rallier aux critiques en s’engageant à procéder rapidement à une analyse « afin de réduire le montant » de 429 $ par jour. On l’en félicite.

Mais cette pénalité qui vise à décourager les séjours à l’hôpital étirés inutilement ne touche pas les Québécois de la même manière. La ministre ne doit pas s’arrêter en si bon chemin dans sa réflexion. Réduire la facture, c’est bien, mais prévoir des structures tarifaires plus souples et mieux ciblées pour tenir compte des besoins et des limites de chacun serait bien mieux.

Il faut en outre rendre les milieux transitoires plus accessibles et plus accueillants. Tous les spécialistes s’accordent pour dire qu’entre l’hôpital et ceux-ci, même imparfaits, ce sont les seconds qui conviennent le mieux à ces usagers en attente, et de loin. Plus sécuritaires, ils sont en effet mieux adaptés pour accompagner et stimuler ces clientèles aux besoins importants.

Il faudra en outre qu’on s’intéresse plus frontalement à l’éléphant dans la pièce. Si ces gens et leurs proches refusent des places transitoires qui ne leur conviennent pas dans un rayon de moins de 70 km, c’est d’abord parce que notre réseau public ne suffit plus à juguler et organiser le flot de demandes d’aide, de réadaptation et d’hébergement qu’il reçoit. Pas moins de 4067 personnes attendaient une place en CHSLD en février dernier. En février 2019, ce nombre était de 2477.

Le nombre de personnes en attente d’un premier service de soutien à domicile n’a pas cessé de croître lui non plus pendant la même période. Il frôlait les 19 000 en décembre dernier. Le réseau est loin de chômer pourtant. Si le nombre d’usagers qui bénéficient de ce type de soutien n’a pas beaucoup bougé (350 838 en 2019-2020, contre 365 796 en 2022-2023), le cumulatif d’heures de services données, lui, a réellement bondi, passant de 20 à 28 millions. Il en faudrait néanmoins beaucoup plus encore.

Se contenter d’adoucir les pénalités, ce serait faire l’impasse sur une dynamique délétère qui nuit à ces clientèles, mais aussi à toutes les personnes en attente de soins, au premier chef tous ces malades qui patientent aux urgences dans l’attente d’un lit aux étages. Il faut impérativement casser cette dynamique, ce qui commence par une valorisation urgente et robuste de nos milieux de transition, de réadaptation et d’hébergement.

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Publié le 13 avril 2023
Par Louise-Maude Rioux Soucy