Garantir l’inclusion des personnes en situation de handicap : la douce magie d’un espace habilitant

Imag­inez être Har­ry Pot­ter, jeune humain étu­di­ant à l’école de sor­cel­lerie Poud­lard. Vous décidez de ren­dre vis­ite à votre ami Hagrid, gar­di­en semi-géant de l’école. En arrivant chez lui, tout vous paraît beau­coup trop grand, trop lourd, inac­ces­si­ble. Vous vous sen­tez ter­ri­ble­ment petit, vul­nérable et impuis­sant dans cet espace, pour­tant par­faite­ment adap­té à Hagrid.

À l’inverse, ce dernier se retrou­ve bien embar­rassé lorsqu’il doit partager une table avec les autres employés de l’école. Il est trop grand, trop gros, ren­verse tout sur son pas­sage… Il se sent ter­ri­ble­ment encom­brant, isolé et mal­adroit. Har­ry et Hagrid vivent, cha­cun leur tour, une sit­u­a­tion de hand­i­cap qu’ils auraient aimé éviter.

Respec­tive­ment doc­tor­ant en sci­ences bio­médi­cales et chercheur en ergothérapie à l’UQTR, nous avons tra­vail­lé à l’élaboration d’un con­cept, celui d’espace habil­i­tant, qui per­me­t­trait d’améliorer ces sit­u­a­tions, encore bien présentes dans le monde des magi­ciens comme du com­mun des mor­tels…

Le con­cept d’espace habil­i­tant iden­ti­fie les prin­ci­paux attrib­uts néces­saires à la con­cep­tion et l’adaptation des espaces. Nous vous le présen­tons ici dans une approche ludique, autour de l’univers d’Harry Pot­ter.

Une question d’espace

Plusieurs courants se sont intéressés à la pos­si­bil­ité de ren­dre les espaces de vie plus inclusifs, per­me­t­tant ain­si à cha­cun d’y réalis­er ses activ­ités. Lorsque l’on par­le d’espace, on ne pense pas seule­ment à un envi­ron­nement physique, mais égale­ment à tout ce que cela implique : les gens qui y évolu­ent, le matériel présent, les con­di­tions envi­ron­nemen­tales, les activ­ités que cha­cun veut faire, la sig­ni­fi­ca­tion que ce lieu peut avoir, etc. C’est ce que l’on appelle une vision holis­tique de l’espace.

Plusieurs out­ils théoriques de dis­ci­plines divers­es (archi­tec­ture, philoso­phie, ergothérapie, soci­olo­gie, urban­isme, psy­cholo­gie) peu­vent aider à com­pren­dre ces sit­u­a­tions et la com­plex­ité de ces espaces. À titre d’exemple, le con­cept d’envi­ron­nement capac­i­tant s’attarde aux aspects inclusif, sécu­ri­taire et développe­men­tal d’un espace. Le con­cept de l’habil­i­ta­tion aux occu­pa­tions va quant à lui s’intéresser à l’accompagnement indi­vidu­el des per­son­nes afin de les aider à effectuer les activ­ités qu’ils souhait­ent. Dans une vision plus col­lec­tive, le con­cept d’acces­si­bil­ité uni­verselle va chercher davan­tage à garan­tir, par l’adaptation des espaces, une sécu­rité et une lib­erté d’action pour tous.

Afin d’englober tous ces con­cepts, nous nous sommes penchés sur le développe­ment du con­cept d’espace habil­i­tant.

Les ingrédients nécessaires à l’espace habilitant

Nous avons pro­posé ce con­cept afin d’identifier les critères fon­da­men­taux néces­saires à l’habilitation d’un espace, c’est-à-dire favorisant le bien-être, l’inclusion et le développe­ment de tous. C’est un peu comme si l’on décidait de con­cevoir une potion dans le but d’aider les pro­fesseurs de Poud­lard à adapter l’école. Après con­cer­ta­tion, six ingré­di­ents ont été sélec­tion­nés pour pré­par­er la potion d’espace habil­i­tant :

  • de la sécu­rité
  • du con­fort
  • de la stim­u­la­tion, afin de main­tenir nos sens éveil­lés et encour­ager notre développe­ment
  • de la col­lab­o­ra­tion, qui doit favoris­er la com­mu­ni­ca­tion, le partage et la trans­parence entre les per­son­nes. En effet, si cha­cun peut s’exprimer, être enten­du, mais égale­ment enten­dre les réal­ités, besoins, envies des autres, la cohab­i­ta­tion sera plus aisée
  • du pou­voir d’agir, qui per­me­t­tra à cha­cun de décider, d’être l’acteur prin­ci­pal et le déci­sion­naire de ce qu’il fait et de la façon dont il occupe l’espace
  • de la flex­i­bil­ité, qui va per­me­t­tre à la per­son­ne de se réap­pro­prier son espace et de l’adapter en fonc­tion des envies et besoins

Mais l’être humain est com­plexe. Il faut donc accepter le fait qu’il est impos­si­ble de le cern­er com­plète­ment et que la pre­mière ver­sion de l’espace ne sera habil­i­tante que tem­po­raire­ment. C’est pour cette rai­son que l’ingrédient de flex­i­bil­ité devient indis­pens­able. Il faut que l’espace puisse nous per­me­t­tre de le mod­i­fi­er en fonc­tion de notre pro­pre évo­lu­tion.

Le meilleur exem­ple de cette flex­i­bil­ité est l’aménagement d’une mai­son intergénéra­tionnelle. Selon l’âge et les besoins spé­ci­fiques de ses rési­dents (appari­tion ou évo­lu­tion d’un hand­i­cap, pas­sage à l’adolescence, besoin d’agrandissement), elle sera amenée à s’adapter.

Une potion réussie n’est pas suffisante

Un espace sécu­ri­taire, con­fort­able, stim­u­lant, col­lab­o­ratif, flex­i­ble et per­me­t­tant le pou­voir d’agir serait donc un espace habil­i­tant. C’est bien, mais le prob­lème n’est pour­tant pas encore com­plète­ment résolu. Il faut d’abord et avant tout s’intéresser à la poli­tique et à la lég­is­la­tion du con­texte dans lequel l’espace se trou­ve.

Par exem­ple, au Québec, la loi assur­ant l’exercice des droits des per­son­nes hand­i­capées en vue de leur inté­gra­tion sco­laire, pro­fes­sion­nelle et sociale ou encore le plan d’action à l’égard des per­son­nes hand­i­capées du min­istère de la Sécu­rité publique cadrent, respon­s­abilisent, ori­en­tent, sou­ti­en­nent l’organisation de l’accompagnement des instances.

Ensuite, il importe de mobilis­er l’expéri­ence vécue des per­son­nes comme équiv­a­lente à celles des dif­férents pro­fes­sion­nels qui vont penser et con­cevoir les espaces. Et oui, si le pro­fesseur Rogue est expert des potions et le pro­fesseur Flitwick des sor­tilèges, ils ne pour­ront rien faire sans l’expertise acquise par le vécu des per­son­nes qui vivent une sit­u­a­tion de hand­i­cap au quo­ti­di­en. Cette exper­tise située est le fac­teur cen­tral à la bonne mise en place d’un espace habil­i­tant.

Si, lors de la con­cep­tion de Poud­lard, des semi-géants, des nains, des cen­tau­res, des étu­di­ants avaient pu s’exprimer et par­ticiper à la con­cep­tion de l’école, il est cer­tain que ni Har­ry ni Hagrid n’auraient à revivre ce genre de sit­u­a­tion. Ils auraient le sen­ti­ment d’être dans les meilleures dis­po­si­tions pour réalis­er leurs occu­pa­tions et pour­suiv­re leur com­bat con­tre les forces du mal !

Publié le 25 janvier 2023
Par Lefay Galaad, Candidat au doctorat en sciences biomédicales, Université du Québec à Trois-Rivières et Pierre-Yves Therriault, Professeur titulaire au Département d'ergothérapie, Université du Québec à Trois-Rivières