Que ce soit pour une recherche d’emploi ou un maintien en poste, nombre de personnes en situation de handicap invisible préfèrent garder le silence de peur que cela ne leur soit préjudiciable.
Dépression, diabète, cancer… 80 % des handicaps sont invisibles. Pour les personnes concernées se pose une alternative : faut-il dévoiler sa situation au recruteur, à l’employeur, aux collègues, ou est-il plus prudent de garder le silence ? Le Monde abordera ce sujet à l’occasion d’une conférence lors de la 4e édition de l’Université du réseau des référents handicap organisée par l’Agefiph, dont le quotidien est partenaire.
Selon le cinquième baromètre Agefiph-IFOP sur la perception de l’emploi des personnes en situation de handicap, paru en décembre 2022, 61 % des personnes interrogées déclarent qu’elles n’ont pas signalé leur situation sur leur CV de peur que cela ne leur soit préjudiciable. Près de la moitié des répondants ayant mentionné leur handicap sur le CV ou lors de l’entretien d’embauche ont constaté que cela avait constitué « plutôt un frein ». La question du maintien en emploi est tout aussi sensible. Pour Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, quand un salarié fait son « coming out », « ça se termine trop souvent par un licenciement pour inaptitude, avec des étapes plus ou moins longues de mise au placard. Ce sujet est un vrai serpent de mer ».
Le critère du handicap est, depuis plusieurs années, le premier motif de saisine en matière de discrimination, celle-ci se manifestant en particulier dans l’emploi, selon la Défenseure des droits, Claire Hédon. Certes, d’après Pôle emploi, le nombre de personnes en situation de handicap à la recherche d’un travail a baissé à quelque 457 000 en janvier 2023, contre plus de 518 000 en janvier 2019. Et le taux de chômage atteint son plus bas niveau depuis huit ans, mais il représente toujours presque le double du taux de chômage des actifs en population générale (7,2 % selon l’Insee).
Si des avancées sont à saluer (contrats d’apprentissage multipliés par deux et demi depuis 2019, rencontres Duoday entre des personnes en situation de handicap et des employeurs pour créer des opportunités professionnelles, emplois accompagnés en hausse…), la route vers le plein-emploi reste semée d’embûches. Carole Salères, conseillère nationale emploi, travail, formation et ressources à l’association APF France handicap, liste les nombreux obstacles : « Accès insuffisant à la formation, préjugés négatifs du collectif de travail, mobilité interne entravée, rémunération trop faible, manque criant d’accessibilité notamment des locaux de travail, sans parler des freins périphériques que sont les problématiques de transport, la santé, le logement, la garde d’enfants… »
C’est pour fixer des arbitrages pour le reste du quinquennat que se tiendra au printemps la Conférence nationale du handicap, qui réunit tous les trois ans, depuis la loi de 2005 sur le handicap, toutes les parties prenantes de la société sous l’autorité du président de la République. Le groupe spécialisé dans les questions d’emploi est mené par le ministère du travail, en lien étroit avec le ministère chargé des personnes handicapées. Cela devrait alimenter les réflexions du futur France Travail, une sorte de guichet unique pour l’emploi, qui inclut également les questions relatives au handicap.
« Libérer la parole »
« Nous voulons autant que possible cesser d’enfermer les personnes dans des dispositifs spécifiques et intégrer, quand c’est envisageable, les personnes en situation de handicap dans le droit commun », explique-t-on au cabinet du ministre du travail. Où l’on a une conviction : « C’est avant tout aux employeurs et aux recruteurs de créer les conditions pour que les candidats ou les salariés qui en éprouvent le besoin osent faire part de leur situation. En 2023, il est encore nécessaire de libérer la parole sur le handicap en entreprise ! »
Bien que la loi de 1987 impose un taux d’emploi de 6 % de salariés handicapés dans les entreprises, lesquelles sont, à défaut, redevables à l’Etat d’une contribution financière, ce taux d’emploi ne dépasse pas 3,5 % dans le privé. « Nous nous sommes fixé comme objectif d’atteindre les 4 % l’an prochain », explique Christophe Roth, président de l’Agefiph. L’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées accompagne les entreprises dans le recrutement et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Signataire d’une convention triennale (2021-2024) avec l’Etat, elle doit désormais renforcer sa présence, par ses délégations sur les territoires, auprès des PME et des entreprises de taille intermédiaire, qui ne bénéficient pas de mission handicap, voire de référent handicap, contrairement aux grands groupes. Pour Christophe Roth, toutes les parties prenantes de la société doivent davantage unir leurs efforts : pouvoirs publics, services de santé au travail, Medef, associations, confédérations, syndicats… Sa devise : « Le maillage pour tous et avec tous. » Afin qu’à terme la question de révéler ou non son handicap ne soit plus un sujet.