Handicaps : pourquoi est-il souhaitable que les villes rendent leurs données accessibles au public

Le 8 octo­bre avait lieu la pre­mière journée par­a­lympique à Paris. En marge de cette man­i­fes­ta­tion et à deux ans de Jeux aux promess­es d’inclusivité, le min­istre des Trans­ports, Clé­ment Beaune, recon­nais­sait un retard per­sis­tant dans l’accessibilité des trans­ports.

Le dis­posi­tif régle­men­taire français impose pour­tant la mise en acces­si­bil­ité des bâti­ments d’habitation, des étab­lisse­ments rece­vant du pub­lic, de la voirie et des trans­ports publics pour les per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap. Mal­gré ce cadre légal, dont les prémices remon­tent aux années 1970, l’accès pour tous et toutes aux trans­ports col­lec­tifs est loin d’être acquis.

Le manque d’aménagements entrave en effet encore large­ment la mobil­ité des per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap.

Leur quo­ti­di­en est égale­ment con­traint par un manque d’information de qual­ité et en temps réel con­cer­nant l’accessibilité du réseau. Il est par exem­ple par­fois dif­fi­cile voire impos­si­ble de savoir en avance si un bus sera bien équipé d’un planché bas ou si le chem­ine­ment précé­dent l’arrêt est suff­isam­ment large pour per­me­t­tre le pas­sage d’un fau­teuil roulant.

Une obligation d’ouverture des données liées à l’accessibilité des transports

La loi pour une République numérique de 2016 impose le principe d’ouverture par défaut des don­nées publiques et d’intérêt général. Sauf excep­tions par­ti­c­ulières, les admin­is­tra­tions cen­trales et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales ont donc une oblig­a­tion d’engager des démarch­es d’open data.

Dans le monde de la mobil­ité, les autorités organ­isatri­ces de mobil­ité (des col­lec­tiv­ités) sont égale­ment con­traintes par la loi d’orientation des mobil­ités de 2019. Elle indique dans son arti­cle 27 la néces­sité de col­lecter, d’ici décem­bre 2023, des don­nées d’accessibilité des réseaux de trans­port et de la voirie. Car le manque de don­nées, ou des don­nées erronées, entrave con­crète­ment les déplace­ments, comme le rap­pelle un expert de la nor­mal­i­sa­tion des don­nées de trans­port ren­con­tré lors d’une enquête encore en cours :

« Les exem­ples de mau­vais­es don­nées qui sont men­tion­nés par les asso­ci­a­tions sont vrai­ment casse-pieds. C’est quelqu’un en fau­teuil roulant qui prend le métro à un endroit et qui se rend compte que dans la sta­tion où il voulait aller ça ne marche finale­ment pas : il ne peut pas sor­tir. Mais il ne peut pas non plus faire demi-tour car il ne peut pas aller sur le quai d’en face. Il ne peut que con­tin­uer. Donc le prob­lème généré pour les gens est réel, lourd de con­séquences. »

Afin de s’assurer que ces don­nées, à voca­tion d’être ouvertes, soient homogènes partout en France et répon­dent aux attentes des per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap, la délé­ga­tion min­istérielle à l’accessibilité (DMA) aujourd’hui rat­tachée au min­istère de la Tran­si­tion écologique et de la Cohé­sion du ter­ri­toire a lancé plusieurs chantiers. Ils ont abouti à la pub­li­ca­tion de plusieurs stan­dards de don­nées ouvertes à valeur régle­men­taire.

Un standard de données ouvertes : outil de partage d’informations

Un stan­dard de don­nées est une manière nor­mal­isée de décrire le réel (des amé­nage­ments cyclables, des sub­ven­tions publiques, des adress­es…), com­préhen­si­ble par des humains et des ordi­na­teurs. Il en existe une mul­ti­tude, dans le domaine de la trans­parence des dépens­es publiques, de l’information géo­graphique, ou encore des trans­ports.

Le soci­o­logue Tim Davies estime que la con­cep­tion est (idéale­ment) le pro­duit d’échanges entre des pro­duc­teurs de don­nées (par exem­ple autorité organ­isatrice de mobil­ité) et des per­son­nes sus­cep­ti­bles de les utilis­er (les con­cep­teurs d’application de mobil­ité, et à tra­vers celles-ci des per­son­nes hand­i­capées).

Con­crète­ment, les stan­dards per­me­t­tent de pro­duire des don­nées homogènes et ain­si de con­stru­ire des ser­vices ou des usages qui dépassent un seul ter­ri­toire. Ils répon­dent à un besoin de nor­mal­i­sa­tion nationale, dont l’absence est un prob­lème par exem­ple pour des appli­ca­tions telles que Hand­imap.

Celle-ci pro­pose des itinéraires acces­si­bles aux per­son­nes à mobil­ité réduite.

Itinéraire pour une personne en situation de handicap moteur, moins direct mais entièrement accessible Cap­ture d’écran d’un itinéraire acces­si­ble aux per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap moteur (à Rennes).

Mais faute de don­nées stan­dard­is­ées, chaque nou­velle instance locale de l’application néces­site un développe­ment con­séquent pour s’adapter aux don­nées du ter­ri­toire. Alors que l’utilité de cette appli­ca­tion est indé­ni­able, ce ser­vice n’a pas pu se dévelop­per au-delà d’un nom­bre restreint de col­lec­tiv­ités (Rennes, Mont­pel­li­er, Nice, La Rochelle, Lori­ent).

S’appuyer sur les usagers pour construire de nouveaux standards

La DMA a été à l’origine de trois stan­dards de don­nées ouvertes, dont deux ont une valeur régle­men­taire. Le pre­mier con­cerne la descrip­tion de l’accessibilité des réseaux de trans­port en com­mun. Conçu au niveau français, il a voca­tion à être retra­vail­lé et à s’imposer à terme en Europe. Un stan­dard français sur l’accessibilité du chem­ine­ment en voirie a quant à lui été conçu au sein d’un groupe de tra­vail ouvert du Con­seil nation­al de l’information géolo­cal­isée (CNIG) ani­mé par le CEREMA, étab­lisse­ment pub­lic accom­pa­g­nant l’État et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales pour l’élaboration, le déploiement et l’évaluation de poli­tiques publiques d’aménagement et de trans­port.

Ces deux normes ont pour objec­tif de per­me­t­tre une meilleure représen­ta­tion de l’accessibilité des trans­ports. En s’appuyant sur les besoins exprimés par les asso­ci­a­tions de per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap, elles cherchent notam­ment à dépass­er une con­cep­tion réduc­trice du hand­i­cap et à combler les man­ques de stan­dards préex­is­tants, par exem­ple du stan­dard GTFS (Gen­er­al Tran­sit Feed Spec­i­fi­ca­tion).

Celui-ci, qui per­met de pub­li­er des don­nées ensuite util­isées dans des appli­ca­tions pour smart­phones de cal­cul d’itinéraire (Google Maps, Moovit ou encore Tran­sit), est aujourd’hui le plus util­isé pour décrire l’offre de trans­ports.

Itinéraire proposé par l’application pour smartphone Transit L’application Tran­sit repose sur des don­nées ouvertes, pub­liées au for­mat GTFS.

Il décrit de manière très suc­cincte un aspect de l’accessibilité, en ren­seignant par­tielle­ment (et de façon fac­ul­ta­tive) l’état des amé­nage­ments d’un arrêt pour les fau­teuils roulants. Les per­son­nes en fau­teuil voulant se ren­seign­er sur un tra­jet grâce à des appli­ca­tions util­isant des don­nées au for­mat GTFS n’ont cepen­dant pas (ou très rarement) d’informations con­cer­nant l’accessibilité des véhicules et d’une sta­tion. Ce stan­dard réduit par ailleurs ce que regroupe l’accessibilité. La prise en compte de la malvoy­ance sup­poserait par exem­ple de ren­seign­er l’existence ou non de mar­quages au sol.

Les choix opérés par les con­cep­teurs ont donc ici des con­séquences très con­crètes : l’absence de cer­tains champs et valeurs rend invis­i­ble des amé­nage­ments néces­saires à cer­tains publics.

Captures d’écran des options d’itinéraires en transport en commun de Google maps incluant les valeurs : bus, métro, tram, tramway et métro léger, le meilleur itinéraire, le moins de correspondance, le moins de marche à pied, accessible en fauteuil roulant Cap­ture d’écran des options d’itinéraires en trans­port en com­mun de Google maps. Concernant la section « à pieds » d’un itinéraire il est écrit : Attention. Cet itinéraire peut comporter des erreurs ou des parties non accessibles à pied L’itinéraire n’indique pas l’accessibilité des arrêts de bus et il est pré­cisé que des infor­ma­tions sont man­quantes sur une par­tie du tra­jet.

Rendre l’espace public plus accessible

Les nou­veaux stan­dards ren­dent vis­i­ble une réal­ité beau­coup plus vaste notam­ment car ils sont issus d’un proces­sus de con­cep­tion ayant impliqué les per­son­nes con­cernées. Une enquêtée explique :

« On a invité les asso­ci­a­tions pour faire un recueil de besoin, qu’on ne pou­vait pas devin­er. […] De là on a retenu les infor­ma­tions essen­tielles. C’est-à-dire que sans ces infos, toute ou par­tie en fonc­tion de ses besoins, la per­son­ne ne sort pas, pour ne pas pren­dre de risque, ou alors elle trou­ve un moyen détourné d’avoir cette infor­ma­tion. »

En com­plé­ment de ces deux stan­dards con­cer­nant l’accessibilité des trans­ports, un troisième stan­dard (non régle­men­taire quant à lui) pour décrire l’accessibilité des étab­lisse­ments rece­vant du pub­lic (ERP) a été conçu à l’initiative du min­istère. Il a abouti au lance­ment, par la start up d’État du même nom, de la plate­forme Acces­li­bre. Celle-ci per­met à n’importe qui de doc­u­menter l’accessibilité des lieux qu’il con­naît.

Pub­li­er des don­nées sur l’accessibilité des trans­ports et des ERP ne garan­tit pas qu’ils soient effec­tive­ment acces­si­bles. Mais cela per­met d’une part de faciliter les déplace­ments, d’autre part cela par­ticipe à pro­duire un état des lieux de l’accessibilité d’un ter­ri­toire et donc à clar­i­fi­er les besoins de mise en con­for­mité. Les stan­dards de don­nées ne sont donc pas de stricts objets tech­niques, qui devraient être l’affaire de quelques tech­ni­ciens décon­nec­tés de la réal­ité des usagers, mais des objets poli­tiques, devant être conçus dans le respect de principes de con­cer­ta­tion.

Publié le 31 octobre 2022
Par Elise Ho-Pun-Cheung, chercheuse associée en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)