Le rêve de communiquer directement avec les machines par la pensée semble désormais à la portée des humains, même si la mise en pratique reste loin de l’imaginaire de science-fiction et des promesses de télépathie.
À ce stade, plusieurs laboratoires et entreprises ont prouvé qu’il était possible de contrôler des programmes informatiques par la pensée, grâce à des implants cérébraux. Et inversement, on peut stimuler le cerveau et obtenir une réponse physique.
Deux pastilles de 3,2 mm comprenant 64 microélectrodes sont implantées dans la partie du cerveau du patient qui contrôle le mouvement.
Photo : Wyss Center
Dernières prouesses en date : à Lausanne, en mai dernier, un Néerlandais paraplégique a réussi à marcher et à contrôler ses pas par la pensée. Il a réussi cet exploit grâce à des électrodes implantées dans son cerveau et sa moelle épinière, et à des technologies d’intelligence artificielle permettant de décoder en temps réel ses intentions de mouvement.
Toujours en mai, des scientifiques américains ont mis au point un décodeur de langage qui transpose à l’écrit la pensée d’une personne, après un entraînement du cerveau pendant de longues heures dans un appareil d’IRM (imagerie par résonance magnétique).
L’implant permet de reproduire des paroles synthétiques par ordinateur, à partir des signaux cérébraux qui déclenchent les mouvements correspondants dans la bouche.
Photo : UCSF
Oui, mais…
Pour l’instant, la recherche sur les interfaces cerveau-machine (ICM) se concentre sur les personnes atteintes de paralysie. Et les appareils sont principalement testés dans un cadre médical, même si certains sont désormais utilisés plus fréquemment.
Nous utilisons des »Utah Array » [implants de l’entreprise Blackrock] en laboratoire, ils fonctionnent. Je connais des gens qui s’en servent pour piloter leur fauteuil roulant. Mais le cerveau n’aime pas qu’on mette des choses dedans. Donc, le système immunitaire attaque ces appareils […] et avec le temps, la qualité du signal diminue et vous perdez des informations.
Une citation de Michael Platt, professeur de neuroscience à l’Université de la Pennsylvanie
Plus les ICM sont proches des neurones, plus le signal est précis et puissant, mais elles requièrent alors des chirurgies compliquées. Elles coûtent cher, sont encombrantes et ont moins de chance de durer à long terme.
Endoprothèse vasculaire insérée dans le cerveau
La jeune entreprise américaine Synchron mise sur une endoprothèse vasculaire insérée dans le cerveau via la veine jugulaire, selon une procédure chirurgicale devenue commune pour les opérations du cœur. Il n’est donc pas nécessaire d’ouvrir le crâne.
Une fois en place, le stentrode permet au patient de se servir de la messagerie ou de naviguer en ligne sans les mains ni la voix, en cliquant par la pensée.
Nous sommes à un tournant pour les ICM, estime Tom Oxley, le cofondateur de Synchron.
Il y a eu des démonstrations incroyables de ce qui est possible et désormais, l’objectif c’est de rendre le processus reproductible, simple et accessible à un grand nombre de personnes.
Une citation de Tom Oxley, cofondateur de Synchron
En 2021, Synchron a reçu l’approbation des autorités sanitaires américaines (FDA) pour des essais cliniques. Une dizaine de patients atteints de la maladie de Charcot (paralysie progressive des muscles) ont ainsi reçu un stentrode.
L’objectif était de vérifier que nous pouvions enregistrer l’activité cérébrale et qu’il n’y avait pas d’effets indésirables, même après un an, explique le Dr David Putrino de l’Hôpital Mount Sinai à New York.
Mission accomplie, annonce-t-il. Et pour les patients, même si taper un message reste lent et laborieux, le regain d’autonomie n’a pas de prix.
Soutenue notamment par Jeff Bezos (Amazon) et Bill Gates, Synchron a levé 75 millions de dollars en février.
Plus connue grâce à Elon Musk, son cofondateur, Neuralink veut faire remarcher les patients paralysés, rendre la vue aux aveugles et même guérir des maladies psychiatriques comme la dépression.
Et aussi, potentiellement, vendre son implant à ceux qui rêvent simplement d’être des cyborgs.
Sans passer par les mots
Selon le milliardaire, augmenter ainsi la puissance de son cerveau permettra à l’humanité de ne pas être dépassée par l’intelligence artificielle, une menace existentielle. Il a en outre évoqué la possibilité de sauvegarder ses souvenirs en ligne et de les télécharger dans un autre corps ou dans un robot.
Le patron de Tesla et de X (autrefois Twitter) n’exclut pas non plus la télépathie consensuelle entre humains, pour communiquer de vraies pensées à l’état brut, sans passer par les mots.
En mai, l’entreprise émergente californienne a reçu le feu vert de la FDA pour tester ses implants cérébraux sur des humains. Et elle vient de récolter 280 millions de dollars d’investissements.
Son implant, de la taille d’une pièce de monnaie, est placé dans le cerveau lors d’une chirurgie effectuée par un robot.
Il a notamment été testé sur des singes, qui ont appris à jouer au jeu vidéo Pong sans joystick ni clavier.
Cette expérience est similaire à de nombreuses autres, comme celle réalisée en 1969 par un chercheur américain, Eberhard Fetz, qui avait appris à un singe à bouger une aiguille sur un compteur par la pensée, par l’entremise d’une ICM.