Inquiétude autour de foyers de maladie de Charcot en France : « Les alertes sont de plus en plus fréquentes »

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En 15 ans, cinq habitants d’une même rue, ou d’une rue perpendiculaire pour l’un d’entre eux, ont contracté une maladie de Charcot, aussi appelée SLA (sclérose latérale amyotrophique – lire l’encadré ci-dessous) et en sont décédés. Les faits se sont déroulés à Saint-Vaast-en-Chaussée, un village de la Somme qui compte près de 500 habitants. Face à l’inquiétude de la population locale, le maire interpelle l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France qui a confirmé les cinq cas de SLA.

La semaine dernière, l’ARS a saisi Santé publique France pour enquêter sur le foyer potentiel et établir l’excès statistique ou non de cas de maladies de Charcot. L’hypothèse génétique a d’ores et déjà été éliminée. A présent, “il faut s’assurer que la surincidence qu’on observe n’est pas liée au hasard,” explique Farid Boumédiène, géo-épidémiologiste à l’université de Limoges, pour Sciences et Avenir. Et le cas de Saint-Vaast-en-Chaussée est loin d’être le seul. Les signalements de clusters potentiels de SLA se multiplient auprès des neurologues et des agences régionales. 

Qu’est-ce que la maladie de Charcot ?

La maladie de Charcot (ou SLA) engendre un dysfonctionnement moteur qui aboutit à la paralysie par groupe de muscles : des membres jusqu’au visage. « A terme, les patients ne peuvent plus respirer seuls« , explique la neurologue Emmeline Lagrange à Sciences et Avenir. En effet, ce syndrome affecte les motoneurones : ce sont les cellules nerveuses à l’origine du mouvement. Il existe deux types de motoneurones : le premier part du cerveau et s’arrête à la moelle et le second prend le relai jusqu’aux muscles. Cette maladie neurodégénérative atteint l’un des deux types de motoneurones en premier, mais aboutit à un dysfonctionnement des deux types de neurones moteurs, conduisant à la paralysie complète. Certains patients ont d’abord un déficit moteur au niveau de la main ou de la jambe : ce sont les motoneurones entre la moelle et les muscles qui sont touchés. Dans d’autres cas, les malades ont une atteinte dite « bulbaire » : le dysfonctionnement vient du premier type de motoneurones, ce qui engendre des difficultés à déglutir ou à parler. « On ne peut être certains que le diagnostic est celui de la SLA, que lorsque les deux types de motoneurones sont atteints« , précise la neurologue. « Tant qu’un seul des deux n’est touché, on peut espérer un diagnostic différentiel« . A ce jour, aucun traitement n’existe encore pour contrer cette maladie neurodégénérative, dont l’espérance de vie moyenne est de trois ans après l’apparition des premiers symptômes.

Les alertes aux clusters de maladie de Charcot se multiplient

En quelques mois, j’ai été appelée pour investiguer sur trois nouvelles alertes de clusters potentiels de maladie de Charcot », révèle Emmeline Lagrange, neurologue extérieure à l’enquête de la Somme, lors d’une interview pour Sciences et Avenir. Médecin au CHU de Grenoble, elle a enquêté sur une affaire qui avait fait grand bruit : en l’espace de quelques années, 14 personnes avaient contracté la maladie de Charcot dans deux villages voisins de Savoie et étaient décédées des suites de ce syndrome incurable.

A titre indicatif, l’incidence de la SLA est de 2,7 nouveaux cas par an en moyenne pour 100.000 habitants. C’est d’ailleurs après la médiatisation de cette affaire que le nombre d’alertes s’est intensifié. « La maladie est bien mieux connue des Français, ce qui leur permet d’être vigilants, et de lancer des signalements si une situation leur paraît anormale », note la chercheuse, soulagée. Une première étape essentielle puisqu’elle permet l’ouverture d’une enquête pour déterminer s’il s’agit en effet d’un cluster, et, si oui, tenter d’en comprendre l’origine.

Les prochaines étapes de l’enquête dans la Somme

« Malheureusement, il faut accepter l’idée que l’enquête va prendre beaucoup de temps », déplore Emmeline Lagrange. La première phase de collecte des données, durant laquelle les médecins s’assurent notamment que les diagnostics soient corrects et qu’il s’agisse d’un cluster, au sens mathématique, peut durer trois ans. « D’abord, on prend en compte le nombre de cas attendus dans la région, s’il était conforme à l’incidence nationale. On le compare ensuite au nombre de cas réels, mais il ne suffit pas que ce chiffre soit supérieur à celui de l’incidence nationale pour qu’on puisse parler de « cluster », » précise Farid Boumédiène.

Les chercheurs vérifient alors la significativité du résultat. En effet, dans une petite commune comme celle de Saint-Vaast-en-Chaussée, le nombre de cas peut très vite paraître anormal. « Si on s’attend à 0,7 cas par exemple, et que 2 personnes sont atteintes de la SLA, les voyants sont déjà au rouge. Pourtant, il est possible que cela soit un pur hasard », éclaire le géo-épidémiologiste. 

Après, l’équipe passe à l’étude de cas. Il s’agit de comparer les dossiers des patients entre eux, mais aussi de les mettre en parallèle de ceux d’autres personnes habitant au même endroit et qui ne sont pas malades. « Et enfin, on procède à une étude des habitudes de vie et de l’environnement », conclut Emmeline Lagrange. « Finalement ce sont souvent les consultations individuelles avec chaque patient qui aboutissent à des résultats satisfaisants. A contrario, lorsque tous les patients sont décédés, il est très difficile de conclure à partir d’une enquête rétrospective, comme c’est le cas dans la Somme. »

La piste environnementale

A ce stade, aucune piste n’a été exprimée par les médecins en charge de la surincidence observée à Saint-Vaast-en-Chaussée. Pour plusieurs des isolats antérieurs, l’origine se révélait dans l’environnement des malades, et en particulier dans leur alimentation. Ainsi, un foyer de maladies de Parkinson en Guadeloupe a été imputé à la consommation quotidienne de tisanes de Corossol. La toxine que contient ce fruit est appelée « annonacine » et altère directement le fonctionnement des neurones.

Autre exemple : dans les années 60, un tiers des insulaires de l’île de Guam, dans le Pacifique, ont été atteints d’une maladie neurodégénérative. Un syndrome mêlant les symptômes de la SLA, à ceux de la maladie d’Alzheimer. Quarante ans plus tard, les graines de Cycas ont été mises en cause. Les cyanobactéries qu’elles contiennent produisent une toxine bien connue : la BMAA. 

A mesure que l’Homme évolue dans un environnement, il s’en imprègne : « les stress, l’air respiré, nos contacts avec des toxiques, les perturbateurs endocriniens influent sur notre état de santé », précise le docteur Emmeline Lagrange. L’ensemble de ces expériences constitue l’exposome d’un individu. Comme pour le cancer, les chercheurs pensent que l’accumulation de micro-traumatismes pour l’organisme conduit à l’apparition de la maladie neurodégénérative : le corps a atteint sa limite de détoxification. Dès lors, tout ce qui endommage l’ADN peut devenir un facteur de causalité : traumatismes crâniens, tabac, exposition chronique aux pesticides, aux métaux lourds, etc. 

Publié le 05 février 2024
Par Marie Parra