La dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP) est une maladie génétique rare qui touche des milliers de Québécois. Caractérisée par une perte musculaire, des problèmes de déglutition et un abaissement des paupières, c’est au Québec qu’on trouve le plus grand nombre de cas dans le monde. Cette mutation génétique serait liée à l’arrivée de trois Filles du Roy au 17e siècle. Bien que non létale, la DMOP a un impact important sur la vie quotidienne des personnes atteintes. Certaines interventions chirurgicales permettent de réduire les symptômes, mais il n’existe pas encore de traitement pour guérir la maladie. Cependant, un nouveau traitement en thérapie génique est en développement aux États-Unis, dans l’espoir de pouvoir un jour stopper les effets de la DMOP.
Des milliers d’aînés québécois composent au quotidien avec une maladie génétique peu connue, qui entraîne des symptômes handicapants, dont une perte musculaire, des problèmes de déglutition et un abaissement des paupières. C’est même ici, au Québec, qu’il y a le plus de cas au monde.
Dans la famille d’André Clément, originaire de Montmagny, la maladie frappe ou épargne la fratrie en proportions égales : sur huit frères et sœurs, quatre en sont atteints, les quatre autres non.
À la fin de la quarantaine, les paupières d’André Clément ont commencé à tomber. « Il fallait que je lève la tête pour regarder devant moi », se remémore-t-il. C’était il y a 15 ans. Il a immédiatement compris qu’il était atteint de la dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP). Sa mère avait reçu le diagnostic quelques années plus tôt, après avoir été hospitalisée, parce qu’elle était désormais incapable d’avaler ses médicaments.
« C’est une maladie génétique dominante. Donc quand l’un des parents l’a, les enfants ont une chance sur deux de l’avoir », dit le Dr François Codère, ophtalmologiste et professeur associé au département d’ophtalmologie de l’Université de Montréal.
Des milliers de Québécois touchés
La DMOP est une forme de dystrophie musculaire présente au Québec depuis des siècles. On estime aujourd’hui qu’environ 1 personne sur 1000 dans la province est porteuse de la mutation.
On en entend moins parler parce que ce n’est pas une maladie létale, mais ça a un impact très important sur de grands groupes de personnes au Québec.
Le Dr François Codère, ophtalmologiste
La maladie est d’ailleurs 100 fois plus commune au Québec qu’en France. « C’est un problème important en termes de santé publique et de neurologie », dit le neurologue et chercheur Bernard Brais, de l’Hôpital neurologique de Montréal. Le spécialiste suit des patients atteints de cette maladie depuis le début des années 1990. C’est d’ailleurs lui qui a identifié le gène responsable de la maladie au début de sa carrière.
À l’heure actuelle, l’hypothèse la plus probable est que la mutation ait été introduite au Québec par trois sœurs, toutes Filles du Roy. « On a trouvé la même erreur génétique en France, dans les mêmes villages d’où ces sœurs-là venaient », explique le Dr Brais. Aujourd’hui, des centaines de familles à travers le Québec sont touchées, avec une plus grande concentration dans le Bas-du-Fleuve, notamment à Montmagny et à L’Islet.
Qui sont les Filles du Roy ?
Les Filles du Roy étaient de jeunes Françaises envoyées en Nouvelle-France entre 1663 et 1673 par le roi Louis XIV afin de peupler la colonie. Ces quelque 800 femmes ont joué un rôle clé dans le peuplement de la région et ont laissé une empreinte considérable sur la généalogie des Québécois.
Des symptômes tardifs
Les personnes porteuses de la maladie n’ont généralement aucun symptôme jusqu’à la quarantaine, où elles commencent à éprouver des difficultés à avaler. Puis leurs paupières commencent à tomber. Dans la soixantaine, les symptômes progressent, entraînant des faiblesses dans les jambes. Certaines personnes se retrouveront en fauteuil roulant.
« Depuis quelques années, je m’aperçois que si je ne fais pas attention en mangeant, j’avale sans arrêt. La nourriture ne passe pas », témoigne André Clément. Certains aliments sont pires que d’autres. « Comme la pelure des raisins verts, le beurre d’arachide, les œufs cuits durs et les frites », détaille-t-il. Pour avaler de grosses pilules, il les mélange avec du yogourt en utilisant une cuillère.
« Je mange plus lentement et je fais attention. Je mange froid, mais au moins, je mange pareil », résume-t-il. Dernièrement, il remarque qu’il n’a plus la même force musculaire, surtout dans les jambes.
Des interventions pour réduire les symptômes
Aucun traitement n’existe pour renverser les symptômes de la maladie. « On a donc de grands athlètes qui rangent leur vélo à 65 ans, parce qu’ils ne sont plus capables », dit le Dr Brais.
Certaines interventions sont toutefois réalisées pour réduire l’impact des symptômes. André Clément a subi une première opération au début de la cinquantaine, au cours de laquelle on a retiré un demi-pouce de peau de ses paupières.
L’intervention s’est révélée efficace pendant quelques années, mais avec la progression de la maladie, il a dû subir une deuxième opération à 60 ans, appelée suspension frontale. « On passe des fils synthétiques, comme du nylon, pour faire une bretelle entre le sourcil et le rebord de la paupière, de sorte que quand le patient lève le front, ça relève les paupières », explique le Dr François Codère.
« Ce sont maintenant les muscles de mon front qui ouvrent mes paupières », résume M. Clément. L’intervention lui permet d’ouvrir les yeux beaucoup plus facilement, bien que ce ne soit pas parfait. « Encore aujourd’hui, si je vais chez l’optométriste et qu’on me demande d’ouvrir grands les yeux, je ne peux pas. Je prends mes doigts pour les ouvrir. »
Pour les patients qui ont des problèmes de déglutition marqués, une intervention temporaire peut également être réalisée. « On passe un tube dans la gorge pour dilater les muscles touchés par la maladie », explique le Dr Brais.
Depuis quelques mois, un nouveau traitement en thérapie génique est en développement aux États-Unis. André Clément, 65 ans, s’est proposé pour participer à la recherche si elle se tenait un jour au Québec. « Le temps que ça soit approuvé par Santé Canada, je ne pense pas que ça va changer grand-chose pour moi. Mais j’espère que ça va pouvoir aider mes neveux et nièces. » Ce traitement pourrait être le premier à arrêter, voire contrer les effets de la maladie.
Où retrouve-t-on la maladie ?
La DMOP est répertoriée dans plus de 35 pays, dont les États-Unis, le Mexique, le Brésil, l’Espagne, la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud et le Japon. La prévalence de la maladie est particulièrement élevée chez les Juifs originaires de Boukhara en Ouzbékistan, dont beaucoup vivent aujourd’hui en Israël. Quelque 115 patients atteints de la maladie ont été identifiés dans une population de 70 000 personnes, ce qui correspond à environ une personne sur 600. C’est toutefois au Québec que l’on retrouve le plus grand nombre de cas dans le monde, estimé à plus de 6000.