La scolarisation d’élèves handicapés compromise, faute de financement

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Un « malentendu administratif » que le gouvernement Legault était censé avoir corrigé il y a deux ans compromet l’admission, l’automne prochain, de dizaines d’élèves lourdement handicapés dans la seule école spécialisée de Québec capable de les accueillir.

L’École Madeleine-Bergeron (EMB) accueille des élèves de 5 à 21 ans qui présentent une déficience motrice ou une maladie organique nécessitant un suivi médical ou une réadaptation particulière. L’établissement spécialisé à vocation suprarégionale dispense de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire.

L’école offre un environnement physiquement adapté et des services de professionnels qui lui permettent d’accueillir des élèves ayant une déficience physique, et ce, sans égard à la lourdeur de leurs besoins médicaux. Sans ces services et installations adaptés à leur situation, la plupart des jeunes qui fréquentent l’établissement de Québec seraient condamnés à être scolarisés à la maison.

Les services offerts aux élèves de l’EMB sont financés à l’aide d’allocations versées par le ministère de l’Éducation au Centre de services scolaire des Découvreurs (CSSDD).

Historiquement, ce dernier recevait des subsides pour chaque élève présentant une déficience physique complexifiant ou empêchant son intégration dans une école régulière.

Critères resserrés

Or, il y a quelques années, le Ministère a mis en place un système de financement basé sur des codes correspondant à des handicaps ou des difficultés. Pour être admissibles à une aide, les élèves de l’EMB doivent dorénavant présenter à la fois une déficience motrice grave (code 36) et une déficience intellectuelle moyenne à sévère (code 24).

Sur les 106 élèves qui fréquentent l’école de Québec, seulement 19 répondent au critère de la double codification. Par conséquent, le CSSDD ne reçoit maintenant du financement que pour ces 19 enfants. Ce n’est donc qu’au prix de déficits qu’il parvient à continuer d’offrir des services à l’ensemble de sa clientèle. Une situation intenable à long terme.

Lorsque les conséquences des nouvelles règles de financement ont été rendues publiques au printemps 2021, le ministre de l’Éducation de l’époque, Jean-François Roberge, avait été interpellé en chambre sur le sujet.

Dans un échange avec la députée libérale Jennifer Maccarone survenu le 6 mai 2021, le ministre avait indiqué que le malentendu administratif avait été réglé.

Je veux garantir aux parents, peut-être, qui s’en inquiètent ou les membres du personnel qui ont été inquiets suite à ce malentendu-là… Je veux rassurer tout le monde, la situation sera corrigée, le malentendu sera dissipé, le financement à la hauteur des besoins des élèves sera disponible, avait affirmé Jean-François Roberge.

Problème persistant

Or, près de deux ans plus tard, le ministère de l’Éducation continue d’appliquer la règle de la double codification dans l’octroi du financement dédié aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA).

Le CSSDD comptait sur la réforme du financement et de l’organisation des services éducatifs aux EHDAA pour régler le problème, mais son entrée en vigueur a encore été repoussée. Ce report compromet l’admission de dizaines d’élèves des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches pour la prochaine rentrée scolaire.

Inquiets de la situation, les représentants des parents d’élèves qui siègent au conseil d’établissement de l’école ont envoyé lundi une lettre aux députés et dirigeants de la Coalition avenir Québec.

Nous ne comprenons toujours pas pourquoi un simple malentendu perdure dans le temps, peut-on lire dans la missive obtenue par Radio-Canada. La vraie conséquence qui en ressort, c’est que plusieurs enfants ayant des besoins en réadaptation ne pourront plus être tous scolarisés à l’École Madeleine-Bergeron et des choix cruels devront être faits en fonction du financement disponible.

Droit à l’éducation

Les représentants des parents font notamment remarquer que les centres de services scolaires environnants devront prendre sous leur aile les élèves de l’EMB qui ne répondent pas aux codes 24 et 36.

[Ceux-ci] devront dorénavant fournir les services hautement spécialisés requis afin que ces élèves puissent bénéficier, en pleine égalité, de leur droit à l’éducation. Les besoins auxquels ceux-ci devront répondre multiplieront les coûts importants, plaident-ils.

« N’ayant pas accès à ces équipements spécialisés ni à ce personnel qualifié, […] les centres de services scolaires d’origine de ces élèves […] risquent fort de se tourner vers la scolarisation à domicile. Cela nuirait au développement des élèves et accroîtrait la pression sur leurs parents qui n’ont vraiment pas besoin de ça. »

— Une citation de  Extrait de la lettre des représentants des parents d’élèves

Les parents peuvent compter sur l’appui d’une vingtaine de médecins de la région de Québec spécialisés en soins pédiatriques. Lundi, la Dre Émilie Croteau, physiatre pédiatrique au Centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec-Université Laval, a interpellé par écrit la vice-première ministre, Geneviève Guilbault.

Dans une lettre cosignée par 19 consœurs et confrères, la Dre Croteau dénonce à son tour les conséquences du malentendu administratif sur les services offerts aux enfants ayant une lourde déficience physique.

Dignité

L’EMB est une école unique dans la région qui permet de respecter la dignité et de faire vivre des réussites aux élèves avec des besoins physiques et/ou médicaux complexes, écrit la médecin spécialiste.

Ces enfants se sentent « normaux » à l’EMB, école où la différence est la norme. Indépendamment de leurs défis, l’EMB leur offre un milieu unique leur permettant de s’épanouir et d’atteindre leur plein potentiel, non seulement académique, mais également de fonctionnement moteur, d’autonomie, psycho-affectif et social, ajoute-t-elle.

« Il est donc urgent de régler la problématique [des codes] scolaires, mais également de réviser les critères d’admissibilité et de financement de l’École Madeleine-Bergeron. »

— Une citation de  Extrait de la lettre de la Dre Émilie Croteau

Le cabinet de l’actuel ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, assure que ce dernier est au fait du dossier et y est très sensible.

Nous sommes en lien avec l’établissement et souhaitons travailler sur des solutions. Nous allons examiner leur demande avec ouverture. Il n’est pas question pour le ministre d’abandonner des élèves en difficulté, indique l’entourage du ministre dans un courriel à Radio-Canada.

De son côté, le Centre de services scolaire des Découvreurs mentionne que l’analyse des demandes d’admission pour l’année 2023-2024 à l’École Madeleine-Bergeron se poursuit jusqu’à la fin du mois d’avril.

Le CSSDD préfère attendre que l’analyse soit terminée avant d’accorder des entrevues sur le sujet.

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Publié le 30 mars 2023
Par Louis Gagné