Le combat d’une pédiatre pour les familles d’enfants polyhandicapés

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Personne n’aime avoir à se démener pour coordonner une foule de rendez-vous et trouver toute l’aide médicale nécessaire. C’est ce qui a motivé la Dre Sara Long-Gagné, pédiatre à l’Hôpital de Montréal pour enfants, à mettre sur pied une équipe qui aide les familles à naviguer dans les complexités du système de santé. Nous nous entretenons avec elle sur la genèse et les réalisations du Service de coordination et de navigation de complexité intermédiaire (CONCI).

Le CONCI est un service d’accompagnement pour les parents de jeunes patients qui ont des problèmes de santé multiples, mais qui ne bénéficient pas de la prise en charge complète déjà offerte par le Service des soins complexes de l’Hôpital de Montréal pour enfants, réservé aux cas les plus lourds. Pour la Dre Sara Long-Gagné et sa mentore, la Dre Hema Patel, qui dirige la division de pédiatrie générale, il était illogique de demander aux familles de ces « cas intermédiaires » d’assurer les suivis auprès de trois, quatre, cinq médecins spécialistes, voire davantage, et d’obtenir eux-mêmes l’accès aux différents services dont les enfants pourraient bénéficier.

 Un service comme le CONCI, ça change la donne pour les familles. Imaginez que vous avez un enfant polyhandicapé de cinq ans devant être suivi par un néphrologue, un neurologue, un chirurgien, un pédiatre, un ergothérapeute, un physiothérapeute et des infirmières, tout ça plusieurs fois par mois.

« Avant la création du CONCI, les services étaient offerts en silo pour les cas moyennement complexes, ce qui faisait en sorte que tout reposait sur les épaules des parents ; c’est d’ailleurs ce qui nous a donné l’idée d’embaucher des coordonnateurs de soins qui pourraient répondre à leurs besoins », précise la Dre Long-Gagné.

Si l’utilité du CONCI relève de l’évidence, son financement n’a toutefois pas été chose facile. « Nous avons fait la demande en 2015, poursuit-elle. Tout le monde trouvait que c’était une bonne idée, mais nous avons éprouvé de la difficulté à trouver des fonds. Le projet a fini par débloquer avec la pandémie. En raison du confinement, l’administration de l’hôpital, qui craignait de voir des vagues de patients polyhandicapés atterrir à l’urgence parce que leur famille n’avait pas réussi à obtenir de rendez-vous, a accepté d’assumer les services de deux personnes pour lancer le projet. C’est tout ce dont nous avions besoin pour mettre le pied dans la porte. Une fois le service lancé, on ne pouvait plus revenir en arrière. Aujourd’hui, notre équipe compte une vingtaine de personnes, sans parler des spécialistes externes. »

Une initiative qui bénéficie aux patients comme à tout le système de santé

Le financement du CONCI n’est pas octroyé par le ministère de la Santé, mais plutôt par des organismes philanthropiques. « En ce moment, nous sommes soutenus par la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants et par la fondation Opération Enfant Soleil, qui sont parvenues ensemble à amasser 4 millions de dollars, souligne Dre Long-Gagné. Notre financement est assuré jusqu’en 2029 seulement. Nous souhaitons que quelqu’un au sein du réseau de la santé comprenne que ce service est nécessaire et qu’il doit absolument être pris en charge. »

Pourtant, les retombées positives du CONCI sont claires et nettes. La coordination des soins permet aux patients d’avoir un accès plus facile à des pédiatres spécialisés, de planifier les rendez-vous en fonction de la disponibilité des parents et de simplifier la gestion globale des soins de santé. Le service peut aussi aider les familles à s’inscrire à des programmes et des subventions dont elles ne connaissaient peut-être même pas l’existence. Le tout dans le but d’alléger le fardeau qui pèse sur les familles.

Comme l’explique la pédiatre, les répercussions sur le système de santé sont tout aussi concluantes. « L’hôpital, les cliniques externes et tout le reste du réseau sont gagnants quand le patient est mieux pris en charge. Ça évite le dédoublement des procédures et ça réduit le recours aux urgences lorsqu’un patient n’a pas pu obtenir un rendez-vous important. »

L’effet CONCI

De façon concrète, chaque enfant ou adolescent pris en charge par le CONCI se voit attribuer un coordonnateur de soins, qui agit comme un point de contact direct avec la famille. Cette ressource pivot organise les visites médicales, les tests, les thérapies et les procédures médicales, en accord avec les disponibilités et les préférences des parents. Des consultations sont également offertes avec les pédiatres, l’infirmière praticienne et les infirmières cliniciennes de la clinique CONCI.

« Un service comme le CONCI, ça change la donne pour les familles, affirme la Dre Long-Gagné. Imaginez que vous avez un enfant polyhandicapé de cinq ans devant être suivi par un néphrologue, un neurologue, un chirurgien, un pédiatre, un ergothérapeute, un physiothérapeute et des infirmières, tout ça plusieurs fois par mois. Très vite, le système de santé devient comme la maison qui rend fou dans Les 12 travaux d’Astérix. Pour une simple prise de sang, par exemple, les parents doivent s’absenter du travail. Sans le CONCI, ils auraient pu apprendre quelques jours plus tard qu’un autre médecin spécialiste avait fait la demande d’un bilan sanguin différent, alors que tout ça aurait pu être fait en même temps. Il y a des parents qui sont sur le bord de la crise de nerfs, et notre service est là pour leur venir en aide. »

Un exemple concret de réussite ? La Dre Long-Gagné évoque le cas d’une jeune patiente atteinte d’un syndrome qui la prédispose à prendre rapidement du poids. « Ailleurs au Canada, elle était suivie par une équipe multidisciplinaire qui comprenait, entre autres professionnels, un nutritionniste. À l’Hôpital de Montréal pour enfants, les services étaient offerts, mais pas dans le contexte d’une équipe intégrée, puisque la patiente ne répondait pas à certains critères précis. Nous avons consulté des CLSC, qui ne pouvaient la prendre en charge en raison de la complexité de son cas. Entre-temps, la jeune fille avait pris beaucoup de poids depuis son arrivée au Québec et elle n’arrivait plus à fonctionner normalement. Un de nos pédiatres a trouvé une clinique interdisciplinaire au privé et une de nos coordonnatrices a identifié une subvention pouvant s’appliquer à sa situation, pour laquelle nous avons fait une demande. » Résultat : la jeune patiente, enfin prise en charge, se porte de mieux en mieux.

Les clés de la réussite

« Les pédiatres et d’autres spécialistes dans des disciplines telles que la chirurgie, la neurologie et la pédiatrie sociale en communauté, de même que les infirmières, les coordonnatrices de soins et tout le personnel soignant de l’Hôpital de Montréal pour enfants, notamment des ergothérapeutes et des physiothérapeutes, sont tous très impliqués dans cette initiative. En fait, ils en font nettement plus que ce qui était attendu à l’origine », conclut-elle. Il est vrai que, depuis sa création, le succès du CONCI repose sur les principes de la compassion, de la collaboration et de la concertation. Sans oublier l’implication directe de dizaines de médecins spécialistes toujours à l’écoute des besoins de leurs jeunes patients et de leurs familles – comme la Dre Long-Gagné –, qui s’investissent à fond dans l’amélioration des soins de santé au Québec.

Publié le 19 octobre 2024