Le dépistage néonatal de la surdité piétine

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Seulement la moitié des nouveau-nés québécois ont droit à un test de dépistage de la surdité à la naissance. Le gouvernement Legault s’était pourtant engagé, il y a un peu plus d’un an, à ce que tous les nourrissons y aient accès d’ici la fin de 2021. L’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec dénonce un « manque de leadership » et veut remettre cette question sur la table lors de la campagne électorale.

Le Programme québécois de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés (PQDSN) a été lancé il y a dix ans. Il n’a été déployé que dans 17 hôpitaux et 3 maisons de naissance — sur les 86 installations où des accouchements ont lieu. Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), environ 53 % des bébés québécois ont pu bénéficier du PQDSN en 2021-2022.

L’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec s’indigne que 47 % des nouveau-nés soient laissés pour compte. « On a lancé un programme [PQDSN] il y a dix ans et c’est un constat d’échec, dit son président Paul-André Gallant. On est vraiment en retard par rapport aux autres provinces du Canada et c’est incompréhensible qu’on soit à ce niveau-là actuellement. »

Les élus de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité, le 11 mai 2021, une motion demandant au gouvernement la mise en place du PQDSN « dans tous les lieux de naissance » de la province « d’ici la fin de l’année 2021 ». Depuis, la proportion de nouveau-nés bénéficiant d’un test de dépistage est passée de 42 % à 53 %.

Une situation inacceptable et inéquitable, selon l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA). « Le but du PQDSN, c’est qu’un enfant qui a une surdité soit dirigé en réadaptation à [l’âge de] six mois au plus tard, parce qu’on est dans une phase essentielle de développement du langage, explique Claire Moussel, directrice générale de l’AQEPA. À 18 mois, c’est déjà trop tard. »

Quatre à six bébés sur mille naissent chaque année avec une perte auditive. Anna-Êve Tremblay-Harvey est l’un de ceux-là. Ses parents ont découvert sa surdité profonde à l’âge de neuf mois.

Anna-Êve n’a pas subi de test de dépistage de la surdité lorsqu’elle est née à l’Hôpital de Chicoutimi en décembre 2019. La fillette, maintenant âgée de deux ans et huit mois, porte un implant cochléaire. Elle est incapable de parler.

« C’est sûr que [si elle avait subi le test], ça aurait pu avoir un impact sur le plan de son développement, dit sa mère, Alexandra Harvey. Est-ce que ça aurait changé le fait qu’aujourd’hui, elle ne parle pas ? Peut-être. Je ne peux pas vous le dire. Mais on aurait aimé le savoir dès le départ. Cela aurait facilité bien des choses, quant à moi. »

Alexandra Harvey a fait « une grosse dépression » à la suite du diagnostic de sa fille. Elle prend toujours une médication. « Ç’a été un coup de pelle en pleine face, je m’excuse de l’expression », dit-elle.

Son fils aîné est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Anna-Êve doit aussi être évaluée pour ce problème. On ignore si ses difficultés de communication et de socialisation sont liées à sa surdité complète ou à un possible TSA — ou aux deux. « On est sur la liste d’attente pour une investigation de TSA, dit Alexandra Harvey. C’est quand même assez contingenté. Pour mon fils, il y a eu suspicion à 18 mois et on vient d’avoir le résultat. Il a quatre ans. »

Déploiement freiné par la pandémie

Au ministère de la Santé, on indique que « la pandémie a limité la possibilité de déployer le programme [PQDSN] dans d’autres installations ». Le MSSS souligne les « efforts » réalisés pour « conserver le dépistage », en dépit de la crise sanitaire, « et ce, dans tous les établissements qui offraient déjà le programme de dépistage ».

« Plusieurs établissements ont repris les démarches afin d’offrir le PQDSN aux nouveau-nés de leur région d’ici la fin de la présente année », écrit-on dans un courriel. Le MSSS précise que l’« objectif » du gouvernement est de rendre le PQDSN « universel d’ici la fin de l’année 2023 ».

Québec rappelle que les nouveau-nés présentant des facteurs de risque sont d’emblée dirigés vers un service d’audiologie où des tests de dépistage de la surdité sont réalisés. « Dans le cadre des activités du programme Agir tôt, les enfants pourraient également être identifiés s’ils présentaient un retard en lien avec un problème de surdité », ajoute le MSSS.

Paul-André Gallant trouve que la pandémie a le dos large. « De toute façon, ça fait dix ans qu’on nous donne toutes sortes de raisons et ça n’avance pas plus », affirme-t-il. Selon lui, le test de dépistage est simple et demande peu de temps. Une infirmière auxiliaire ou un autre professionnel formé peut le réaliser.

Il croit qu’un « leader national » doit être désigné pour prendre en charge ce dossier. Celui-ci pourrait guider les CIUSSS et les CISSS et partager les bons coups des hôpitaux ayant déjà mis en place le dépistage universel de la surdité néonatale. D’après lui, chaque établissement de santé devrait nommer une personne pour suivre de près le déploiement.

« Il y a une incompréhension du PQDSN dans plusieurs CISSS, soutient Paul-André Gallant. Nous passons beaucoup de temps à éduquer, tant au ministère que dans les CIUSSS sur ce qu’est le programme. »

Le président de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec pense que les diverses questions liées à l’audition devront être discutées lors de la campagne électorale. « La santé auditive des Québécois et des Québécoises se détériore et le vieillissement de la population fait que des millions de personnes sont concernées, dit-il. Cela nuit à l’autonomie et à l’apprentissage. »

Liste des hôpitaux offrant le test de dépistage de la surdité

  • Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine
  • Centre hospitalier de Lanaudière
  • Hôtel-Dieu de Sorel
  • Hôpital Pierre-Boucher
  • Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL)
  • Centre universitaire de santé McGill (CUSM)
  • Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS)
  • Maison de naissance de l’Estrie
  • Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM)
  • Hôpital Saint-François d’Assise
  • Hôpital Maisonneuve-Rosemont
  • Centre hospitalier affilié universitaire régional de Trois-Rivières (CHAUR)
  • Hôtel-Dieu de Lévis
  • Maison de naissance Mimosa
  • Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins
  • Hôpital de Granby
  • Hôtel-Dieu d’Arthabaska (Victoriaville)
  • Hôpital général juif
  • Maison de naissance Côte-des-Neiges
  • Hôpital Pierre-Le Gardeur
Publié le 15 août 2022
Par Marie-Eve Cousineau