Le droit d’initiative, ou comment forcer le débat

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Depuis le 1er janvier 2010, le droit d’initiative permet à la population de Montréal d’obtenir une consultation publique sur des sujets mobilisateurs qui relèvent de la Ville ou d’un arrondissement. Depuis, trois consultations sur des questions touchant l’ensemble des Montréalais et menées par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) ont vu le jour de cette façon. Elles figurent parmi les plus marquantes de l’histoire de l’Office.

« Ces consultations très importantes sont nées de la volonté des citoyens de forcer un débat sur quelque chose qui leur tient à cœur », souligne le secrétaire général de l’OCPM, Luc Doray. Trois thèmes globaux ont été portés par l’office à l’initiative des Montréalais : l’agriculture urbaine en 2011, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles en 2015 et le racisme et la discrimination systémiques en 2018. « Ce qui a caractérisé ces trois consultations, c’est la diversité et la spontanéité », résume Luc Doray.

Un droit inclusif

Pour être recevables, les demandes de consultation publique doivent recueillir un minimum de signatures en trois mois : 15 000 lorsque le sujet concerne la Ville (elles peuvent alors être portées par l’OCPM) et 5 % de la population de 15 ans et plus (jusqu’à un maximum de 5000) lorsqu’il concerne un arrondissement. « Toutes les personnes de 15 ans ou plus qui résident sur le territoire peuvent être demandeurs, quel que soit leur statut (du demandeur d’asile au citoyen canadien), et les signatures peuvent maintenant être recueillies électroniquement. Ce droit est donc très inclusif », souligne Luc Doray.

Pour Laurence Bherer, professeure titulaire à l’Université de Montréal et experte de la participation publique et de la démocratie locale, ce droit d’initiative « crée un collectif de citoyens qui seront attentifs à la consultation et pourront même continuer à se mobiliser dans le temps ». Le groupe Mobilisation 6600 Parc-nature MHM, par exemple, est né d’un droit d’initiative exercé en 2017 au niveau d’un arrondissement pour proposer d’autres options concernant le développement industriel dans le quartier Mercier-Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.

Des avancées significatives

« Le droit d’initiative demande souvent à la Ville de préparer un dossier. Cela a permis de faire sortir des informations que l’on n’avait pas auparavant », souligne Laurence Bherer. La consultation sur le racisme et la discrimination systémiques a par exemple forcé la Ville à documenter ses pratiques en la matière.

Ce droit a également permis de mettre certains sujet à l’ordre du jour. « Lorsque la consultation sur l’agriculture urbaine a été sollicitée en 2011, on ne parlait presque pas de ce sujet. Elle a eu pour effet de créer un momentum et d’organiser les acteurs ensemble. Et aujourd’hui, ce thème est omniprésent », constate la professeure. Cette initiative, qui avait recueilli 29 000 signatures, avait permis de faire découvrir un florilège d’interventions citoyennes qui se faisaient déjà à Montréal, indique Luc Doray. « Il y avait des jardins communautaires, mais aussi d’autres initiatives locales intéressantes. Je me souviens, par exemple, d’un groupe de jeunes citoyens qui proposait à des résidents âgés disposant d’un jardin de récolter leurs fruits pour leur en donner une portion et de distribuer l’autre à des banques alimentaires afin d’éviter le gaspillage », indique-t-il.

Pour le secrétaire général, ces grandes consultations d’initiatives citoyennes sont très intéressantes, car elles se font en association avec les citoyens requérants et génèrent des participations variées et spontanées. « Lors de l’une de nos séances de consultation sur la réduction de la dépendance aux énergies fossiles, un groupe de grands-mères, dénommé les « Montreal Raging Grannies » (les grands-mères enragées de Montréal), sont venues chanter leur désespoir de voir ces énergies prendre autant de place dans notre consommation quotidienne. Des enfants avaient également dessiné des solutions », se souvient Luc Doray.

Pour Laurence Bherer, l’usage du droit d’initiative a atteint une certaine maturité après 12 ans d’existence. Il a parfois dépassé le cadre de Montréal pour amener des dossiers devant l’Assemblée nationale (comme le controversé projet de Cité de la logistique dans le quartier de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, abandonné pour un projet plus vert en 2018).

« Le droit d’initiative gagnerait à être encore plus connu des citoyens, car il ouvre des fenêtres intéressantes en matière de discussions, de mobilisations et de décisions », estime-t-elle. Les restrictions sur le Publisac (consultation publique sur la distribution des circulaires) et la nomination d’une commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination figurent parmi les décisions récemment obtenues grâce à ce droit.

Une consultation cruciale sur un sujet délicat

Le 27 juillet 2018, le service du greffe de la Ville de Montréal reçoit une pétition de 22 000 signatures demandant la tenue d’une consultation publique sur le racisme et la discrimination systémiques. En exerçant leur droit d’initiative, ces citoyens ont permis à la Ville d’ouvrir les yeux sur la réalité vécue par un tiers des Montréalais et d’agir pour préserver leurs droits.

La demande des citoyens était très forte. « À l’époque, nous n’acceptions pas les signatures en ligne. Les gens ont fait le tour des parcs et des associations pour que cette consultation hors norme puisse avoir lieu », raconte Ariane Émond, qui a coprésidé la commission de l’OCPM sur cette question. Ils souhaitaient que la Ville « regarde les faits pour voir jusqu’à quel point, dans ses compétences, elle pouvait avoir des attitudes, des procédures et des programmes qui créent des barrières pour beaucoup de personnes », dit-elle.

Les résultats ont été éloquents. Surprise par cette demande, la Ville met sept mois pour réunir les statistiques demandées par les cinq commissaires en matière d’emploi, de culture et de logement notamment. Pendant ce temps, la commission mandatée par l’OCPM parcourt les quartiers pour recueillir des témoignages de fonctionnaires et de citoyens. Lorsqu’elle finit par recevoir les éléments de la Ville, ils sont jugés très insatisfaisants. « J’ai malheureusement été confortée dans le fait que la Ville confondait l’intégration des personnes immigrantes avec le racisme et la discrimination systémiques », indique Maryse Alcindor, coprésidente de la commission avec Ariane Émond. Certes, Montréal accueille beaucoup d’immigrants, mais « elle est aussi le berceau d’une importante population racisée », pointe-t-elle.

Profilage racial

La commission met en lumière deux chiffres au cours de sa mission : 59 % de la population montréalaise est née à l’étranger ou a un parent né à l’étranger, et plus de 34 % des Montréalais interrogés disent qu’ils appartiennent à une minorité visible. « Nous avons réveillé la Ville, qui dormait sur l’existence de ces citoyens », souligne Mme Émond.

Le rapport de l’OCPM dévoile le profilage racial. « Certains groupes de citoyens, en raison de leur race, de leur ethnicité ou de leur langue, sont interpellés plus facilement par la police, par exemple », explique Maryse Alcindor. Parmi ses 38 recommandations, le rapport préconise la nomination d’un commissaire qui se consacrera à ces questions.

« Quelques jours après le dépôt de notre rapport, la Ville a officiellement reconnu le caractère systémique du racisme et de la discrimination dans ses compétences et s’est formellement engagée à tout mettre en œuvre pour réduire ces barrières douloureuses envers une si grande partie de ses citoyens », se souvient Ariane Émond. En janvier 2021, Bochra Manaï, la première commissaire à la lutte contre le racisme, était nommée. « La Ville a pris nos 38 recommandations et en a fait sa feuille de route », se réjouit Ariane Émond. Pour Maryse Alcindor, cette consultation historique a également eu un impact dans le rapport des citoyens avec la Ville : « Les Montréalais ont regagné une certaine confiance vis-à-vis de leur administration grâce au contenu de cette consultation, mais aussi à la transparence de son processus. »

*Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.*

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Publié le 21 octobre 2022
Par Isabelle Delorme, Collaboration spéciale