Le Japon vieillit chez lui

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Au pays du Soleil levant, les équivalents de nos CHSLD font tout pour que leurs patients restent ou retournent à domicile, quitte à les accueillir le jour pour leur donner un bain et leur administrer des soins. L’une des sociétés parmi les plus âgées du monde fait par ailleurs preuve d’une grande flexibilité pour simplifier la vie des aidants naturels.

Dans une grande maison de bois au toit pointu, caractéristique de la campagne japonaise, une fine porte coulissante donne accès au salon, où est installé, près de la fenêtre, un lit d’hôpital. Mitsuyo Imura, 96 ans, émaciée, y est alitée. Atteinte de démence, elle ne parle presque plus.

« Je suis sûre que ma mère est très contente d’être à son domicile, raconte sa fille, Kaoru Imura, par le biais d’une interprète. Même pour moi, pouvoir m’occuper de ma mère jusqu’à la fin de sa vie, c’est une perspective plutôt heureuse. C’est ma satisfaction personnelle. »

Kaoru Imura a elle-même 75 ans. Il y a deux ans, elle n’a cependant pas hésité une seule seconde à reprendre sa mère à la maison, après une hospitalisation prolongée pour une pneumonie. L’entreprise n’a pas été exempte de défis.

« La première année, elle me réveillait parfois la nuit en criant. Je devais dormir à côté d’elle, sur le plancher du salon », se remémore la fonctionnaire municipale retraitée d’Okamura, village insulaire de la préfecture d’Ehime, dans la mer intérieure du Japon.

Le jour de notre visite, une ergothérapeute faisait faire des exercices de flexibilité à la nonagénaire. En plus de cette visite hebdomadaire, un transporteur spécialisé vient également chercher Mitsuyo Imura deux jours par semaine pour la conduire dans un centre de soins, où elle est lavée et nourrie. Si sa fille doit s’absenter pour un voyage, par exemple, ce centre peut aussi héberger temporairement la mère.

Pas que le CHSLD

Le vieillissement de la population est très visible au Japon, qui ne compte pas moins de 36 millions de personnes âgées de 65 ans ou plus. Dans la rue, dans les transports en commun et même parmi les très nombreux agents de sécurité, le troisième âge est bien représenté dans l’espace public. Lorsqu’ils sont en perte d’autonomie, leur système de soins de longue durée est fait pour les garder à domicile.

Le centre de soins Santa Fe, dans l’arrondissement d’Ota, au sud de Tokyo, en fait une mission. Érigé sur les quais du port industriel, le bâtiment de dix étages, construit il y a une quinzaine d’années, est d’une propreté immaculée. De hautes plantes vertes accueillent les visiteurs dans un grand hall d’entrée très moderne. Un puissant système de purification d’air supprime toutes les odeurs.

Le rez-de-chaussée est réservé aux services de jour pour accueillir les personnes âgées ou handicapées du quartier qui rentrent chez elles le soir, alors que le dernier étage est consacré à la réadaptation des résidents en vue d’un retour à domicile.

« Notre objectif c’est de retourner les personnes chez elles. Il faut que ce soit une situation familiale favorable », explique Maekawa Ryo, directeur adjoint du centre.

L’établissement s’assure par exemple que le client a accès à un logement adapté, équipé d’une baignoire adaptée par exemple. On conçoit ensuite un plan pour des soins à domicile ou au centre de jour. Propriété d’une importante association sans but lucratif de soins de longue durée, le centre a aussi une mission de recherche.

Sachiko Fujita, énergique et rieuse infirmière de 57 ans, n’a pas été forcée de renoncer à sa carrière en retournant habiter avec sa mère de 91 ans, qui souffre d’une forme légère de la maladie d’Alzheimer. Cinq jours par semaine, elle prépare sa mère avant de se rendre à son travail.

Un transport adapté conduit ensuite l’aînée au centre Santa Fe. Elle y reçoit un bain, fait de la gymnastique avec d’autres personnes âgées, puis des activités de loisir organisées, comme la confection de petits objets. Elle peut bavarder avec ses amis. Non seulement elle est nourrie sur place, mais on la reconduit à la maison avec un repas si sa fille doit rester tard au travail. Selon Mme Fujita, ces services améliorent la condition de sa mère.

« Pour l’instant, je n’ai jamais senti que j’avais sacrifié ma vie personnelle », confie sa fille au Devoir, par le biais d’une interprète. Elle convient que beaucoup de personnes âgées hésitent à demander de l’aide à leurs enfants, par crainte de les déranger. « Mais si je place ma mère dans un établissement, mes voisins vont jaser. Cette pression existe », admet-elle.

Une tradition en déclin

Dans la société japonaise, qui éprouve encore aujourd’hui un très grand respect pour la vieillesse, c’est traditionnellement à la fille ou à la belle-fille que revient la responsabilité de s’occuper des parents âgés. « On le voit de moins en moins », estime toutefois Yuki Yasuhiro, professeur de travail social à l’université Shukutoku de Tokyo.

À l’heure actuelle, au Japon, la plupart des personnes âgées vivent seules ou avec leur partenaire, et beaucoup sont autonomes. Environ une personne âgée sur cinq vit avec ses enfants, et une sur dix est placée dans un centre de soins, explique le spécialiste.

 Je suis sûre que ma mère est très contente d’être à son domicile. Même pour moi, pouvoir m’occuper de ma mère jusqu’à la fin de sa vie, c’est une perspective plutôt heureuse. C’est ma satisfaction personnelle.

Le grand livre des statistiques du Japon rapporte que les Japonaises restent autonomes plus longtemps que n’importe où ailleurs dans le monde : jusqu’à 75,4 ans en moyenne, et 72,7 ans pour les hommes. Leur gouvernement souhaite les maintenir à domicile le plus longtemps possible, et ce, en vertu d’une réforme en l’an 2000 qui impute au patient seulement le dixième de la facture des soins de longue durée prodigués par le privé. Un système efficace, mais compromis par la pénurie prévue du nombre de travailleurs dans les prochaines années.

« Ça n’est pas cher payé [la cotisation demandée]. Si ce n’était pas de tous ces services, je n’aurais pas le courage de m’occuper de ma mère », précise Kaoru Imura. Ce montant peut toutefois peser plus lourd sur le portefeuille des pêcheurs retraités ou d’autres habitants moins fortunés de son village, nuance-t-elle.

Après avoir assis sa mère dans son lit avec l’aide de l’ergothérapeute, au beau milieu de son salon de l’île d’Okamura, elle lui chante une chanson. La dame de 75 ans explique que, parfois, sa mère, presque centenaire, se souvient encore des paroles.

Ce reportage a été rendu possible grâce au soutien financier et logistique du Foreign Press Center du Japon.

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Publié le 28 février 2023
Par Boris Proulx