Agathe (nom fictif) s’est présentée à l’urgence de l’Hôpital de Chicoutimi la semaine dernière, après avoir subi un traumatisme à la tête. La femme dans la vingtaine s’est butée au prétriage virtuel, une nouveauté qui l’a déstabilisée. Au lieu de parler à une personne en chair et en os à son arrivée à l’urgence, elle a dû s’adresser à une infirmière sur un écran d’ordinateur.
Le CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean confirme utiliser le «télé-prétriage» depuis quelques semaines, pour «soutenir le personnel en place et réduire le délai d’attente à l’urgence», dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre.
À Québec, cette approche est déjà à l’essai à l’urgence du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) depuis bientôt un an. Elle est tellement appréciée par le personnel qu’elle s’étendra à l’urgence de l’Hôpital du Saint-Sacrement dans les prochaines semaines, puis progressivement aux trois autres urgences du CHU de Québec (l’Hôtel-Dieu de Québec, l’Hôpital de l’Enfant-Jésus et l’Hôpital Saint-François d’Assise).
Les CIUSSS de l’Estrie, de la Mauricie-Centre-du-Québec, de Chaudière-Appalaches, de la Capitale-Nationale et de l’Outaouais ont confirmé aux Coops de l’information qu’ils n’ont pas déployé cette mesure pour le moment. Cette initiative pourrait toutefois s’étendre dans d’autres hôpitaux du Québec au cours des prochains mois.
Pas d’humain sur place
À son arrivée à l’urgence, avec une serviette sur la tête pour maîtriser le saignement, Agathe est surprise. «Le poste d’accueil semblait fermé. Je me suis donc dirigée vers les gens qui attendaient en file», raconte la patiente, qui a rapidement constaté qu’un ordinateur avait été installé à l’endroit où l’on parle habituellement à une personne assignée au prétriage.
La jeune femme préfère ne pas être identifiée, puisqu’elle fréquente régulièrement l’hôpital.
Agathe a donc patienté, debout, dans la file devant l’ordinateur. «Il y avait deux personnes âgées qui tentaient de comprendre comment scanner leurs cartes d’assurance maladie et d’hôpital avec l’ordinateur», raconte la jeune femme, qui a tenté de leur venir en aide, avant qu’une infirmière se présente en personne.
« Ils avaient vraiment de la difficulté. C’est à ce moment qu’une infirmière du triage, qui était dans un local avec un patient, est sortie. Elle est venue nous aider. »
Agathe a été prise en charge rapidement et efficacement lorsqu’elle a informé l’infirmière qu’elle prenait des anticoagulants, ce qui augmente le risque d’hémorragie.
En douleur et en détresse à l’urgence
Si Agathe comprend que l’utilisation du virtuel a ses avantages dans le milieu hospitalier, elle estime qu’à l’urgence, ce n’est «pas vraiment approprié».
«J’ai eu plein de rendez-vous médicaux par visioconférence et je n’en ai jamais été choquée, mais à l’urgence, je ne trouve pas ça très humain. Lorsqu’on se présente à l’urgence, on est souvent en douleur, en détresse. C’est assez stressant de constater qu’on ne peut pas parler à quelqu’un [en personne] en arrivant», déplore-t-elle.
À ce propos, la porte-parole du CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Mélissa Bradette, affirme qu’une personne est attitrée à l’accueil en tout temps quand le télé-prétriage est en fonction. «Mais il a pu arriver que cette personne doive s’absenter pendant quelques minutes pour une raison ou une autre», ajoute-t-elle.
Le nouveau système est toutefois apprécié par le personnel de la salle d’urgence.
«C’est vraiment très aidant pour le personnel soignant en place», mentionne Julie Boivin, présidente régionale de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).
«Le prétriage virtuel permet de réduire le temps d’attente au triage, car il y a parfois beaucoup d’achalandage en journée. Ça fonctionne bien: l’infirmière à distance évalue les patients et si elle constate qu’il y a un cas urgent, elle lâche rapidement un coup de fil à l’infirmière en place», dit-elle.
Garder des infirmières à risque
Ce modèle de télé-prétriage est né d’une initiative du CHU de Québec-Université Laval dans sa salle d’urgence du CHUL au printemps 2022 dans un contexte de COVID-19 et de sérieuse pénurie de main-d’œuvre.
«À cette époque, il manquait parfois jusqu’à cinq ou six infirmières par quart de travail à l’urgence», se souvient Nancy Hogan, présidente de la FIQ du CHU de Québec.
Le prétriage virtuel est effectué par des infirmières immunosupprimées ou enceintes, sans qu’elles ne soient physiquement en présence de patients. Elles sont quand même présentes à l’intérieur de l’hôpital, non loin de la salle d’urgence, dans une salle sécuritaire pour elles. Sans cette mesure, ces infirmières ne pourraient pas prêter main-forte à la salle d’urgence.
Une première évaluation derrière l’écran
À leur arrivée dans la salle d’urgence, les patients doivent se présenter devant un ordinateur. Grâce à la plateforme Teams, l’infirmière considérée à risque peut leur faire passer le questionnaire de prévention des infections et effectuer un prétriage, c’est-à-dire une première évaluation afin de déterminer la priorité de triage, en interagissant avec le patient à travers l’écran.
«La mise en place de cette pratique a des retombées très bénéfiques, puisque l’attente pour voir l’infirmière à l’arrivée à l’urgence est désormais presque nulle et le délai entre le prétriage et l’évaluation au triage est largement diminué. Parallèlement, cette façon de faire permet à l’infirmière à distance de veiller sur l’ensemble de la salle d’attente en tout temps: les infirmières au triage passent donc plus de temps auprès des patients», explique la porte-parole du CHU de Québec, Michèle Schaffner-Junius.
«L’implantation du télé-prétriage a aussi permis de réduire considérablement le recours au temps supplémentaire des équipes de l’urgence du CHUL», ajoute-t-elle.
Plusieurs solutions à l’essai dans les urgences
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est bien au fait de cette nouvelle solution imaginée à Québec, qui pourrait s’étendre ailleurs en province.
«De nombreuses initiatives sont actuellement en cours au sein du réseau pour éviter des visites inutiles à l’urgence: le 811 à Montréal, le triage secondaire pour les paramédics en Montérégie, etc. Le MSSS analysera les résultats des différentes initiatives locales avant de se positionner sur des méthodes précises», explique le porte-parole Robert Maranda.