Le Projet ACCES redonne une voix aux personnes aphasiques dans les commerces

Temps de lecture estimé : 4 minutes.

Simplifier le magasinage des personnes aphasiques, tel est le but du Projet ACCES. Il vient d’être lancé à Québec, en ce mois de l’ouïe et de la communication.

L’initiative consiste à outiller les commerçants et leurs employés pour les aider à mieux servir ces personnes, qui ont des problèmes d’élocution. Cela nécessite quelques ajustements.

Par exemple, présenter un maximum de produits en vitrine pour que les clients concernés soient en mesure de les montrer du doigt. Ou bien garder papier et crayons à leur disposition afin qu’ils puissent écrire au lieu de parler.

Les formules d’accueil toutes faites sont aussi à proscrire. « Qu’est-ce que je peux faire pour vous aujourd’hui? » ou encore : « Qu’est-ce que je peux vous servir? » sont des questions larges auxquelles il n’est pas facile de répondre lorsque vous peinez à vous exprimer.

« À la place, un commis pourrait proposer un choix : Est-ce que je peux vous servir à boire ou à manger? » recommande l’orthophoniste Annie Légaré.

Deux femmes posent derrière le comptoir d'un commerce de restauration. L'une d'elles tient dans ses mains des gobelets en carton pour boissons chaudes; l'autre, un menu à la main et pointe du doigt derrière elle une ardoise sur laquelle sont écrits le nom et le prix des produits en vente.

Elle a eu l’idée du Projet ACCES et l’a développée en partenariat avec l’organisme Artère, qui vient en aide aux personnes victimes d’un AVC et à leurs proches.

Un réseau en devenir

Le commerce Chez Boulay-comptoir boréal, dans le Vieux-Québec, est pour l’instant le seul à y avoir adhéré. Deux autres – l’un dans le secteur de Lebourgneuf et l’autre dans Saint-Jean-Port-Joli – sont en cours d’affiliation.

« Nous avons aussi reçu des demandes du côté de l’Estrie et de Montréal. L’intérêt est là », se réjouit Joëlle Duchesne, la directrice générale d’Artère.

« Le début est à Québec, mais on veut que ça devienne un projet provincial », ajoute Annie Légaré.

« Dans les faits, être un commerce membre du Projet ACCES n’est pas compliqué », témoigne Arnaud Marchand, chef copropriétaire de Chez Boulay-comptoir boréal. « C’était vraiment facile à mettre en place. Et ça nous a surtout ouvert les yeux sur la réalité des personnes qui ont de la difficulté à communiquer. »

Passer commande à un comptoir est un geste anodin pour beaucoup, mais pas pour tous. Des patients d’Annie Légaré, qui souffrent d’aphasie, lui rapportent leurs mauvaises expériences client.

« Ils me disent que les commis ont tendance à élever la voix parce qu’ils croient qu’ils sont sourds ou refusent de les servir parce qu’ils ont l’impression qu’ils sont en état d’ébriété. D’autres choisissent la première chose affichée sur le menu, même si ce n’est pas ce qu’ils veulent manger. »

Tout le monde peut souffrir d’aphasie

Caroline Goulet avoue qu’elle s’empêche parfois de sortir de chez elle, préférant faire ses achats en ligne. Il y a sept ans, elle a fait un AVC dont elle garde l’aphasie comme séquelle. Se rendre dans un magasin lui génère du stress.

« J’ai peur qu’on ne me comprenne pas. Des fois, on pense que je ne parle pas en français. Puis des fois, j’entends : Elle est pas vite pour répondre. C’est un peu désolant. »

Selon elle, il faut changer le regard sur l’aphasie et le Projet ACCES peut y contribuer.

Les projecteurs de l’actualité se sont braqués sur l’aphasie en mars dernier lorsque les proches de l’acteur américain Bruce Willis ont révélé qu’il en était atteint et que ce problème de santé l’incitait à mettre fin à sa carrière.

Les causes en sont multiples. Elle peut se déclarer après un AVC ou un traumatisme crânien, être provoquée par une tumeur cérébrale.

« Il y a même des maladies dégénératives qui en sont responsables, comme l’Alzheimer, mais au lieu de toucher la mémoire des souvenirs, elles touchent le langage », explique l’orthophoniste.

Chaque année, 6000 Québécois deviennent aphasiques.

« Ce n’est pas une maladie d’aînés ou d’hommes qui ont de mauvaises habitudes de vie. Tout le monde peut être concerné », met-elle en garde.

Publié le 22 mai 2022
Par Vincent Pichard