Une étude récente lève le voile sur un mécanisme responsable de l’effet placebo. Cette découverte pourrait changer notre manière d’aborder la gestion de la douleur.
Imaginez-vous dans le cabinet de votre médecin, souffrant d’une douleur persistante et attendant avec impatience un traitement efficace. Comment réagiriez-vous si sa prescription n’était… qu’une simple pilule de sucre ? Autrement dit, un placebo, sans aucune substance active, mais capable de soulager votre souffrance, du moins en partie.
Le bien connu effet placebo désigne l’atténuation des symptômes par la simple croyance en l’efficacité d’un « traitement », alors que celui-ci n’a pas de propriétés actives. En d’autres termes, le fait de penser qu’un traitement soulage peut réellement diminuer la douleur, parfois de 2 à 5 points sur une échelle de 0 à 10. « C’est un effet comparable à celui des opioïdes, comme la morphine », précise le neuroscientifique Grégory Scherrer, professeur à l’Université de Caroline du Nord aux États-Unis.
La puissance de l’effet placebo a captivé les scientifiques dès les années 2000, les conduisant à explorer de manière plus poussée son potentiel pour soulager la douleur.
Mais ce n’est que tout récemment que le circuit cérébral responsable de l’effet placebo a été mis au jour, par l’équipe de Grégory Scherrer. Lorsqu’on s’attend à un soulagement de la douleur, certains neurones spécifiques s’activent, ce qui entraîne une diminution de la perception de la douleur.
Attention : ces travaux, publiés en juillet 2024 dans Nature, ont été menés sur des souris. Chez l’humain, on peut observer les zones du cerveau qui s’activent grâce à l’imagerie cérébrale, mais on ne peut pas identifier précisément les neurones impliqués dans l’effet placebo ni prouver qu’ils sont directement associés à la diminution de la douleur.
Pour ce faire, des techniques plus invasives seraient nécessaires, comme des interventions chirurgicales ou des implants cérébraux, ce qui pose des problèmes éthiques. D’où le recours aux souris…
L’effet placebo chez les souris
L’équipe de Grégory Scherrer a donc conçu un protocole de conditionnement spécifique pour ses rongeurs. Pendant les trois premiers jours, les animaux évoluent dans deux espaces, communiquant entre eux et chauffés à 30 °C. Au cours des trois jours suivants, le premier espace est brusquement chauffé à 48 °C, une température qui active les nocicepteurs thermiques présents dans les pattes des souris, déclenchant une douleur. Cela engendre des comportements réflexes, tels que le léchage de pattes ou des sauts. Le second espace, accessible, reste toutefois à la température confortable de 30 °C. Les souris apprennent donc à associer la première pièce à la douleur et la seconde au soulagement. Le septième jour, les deux « chambres » passent à 48 °C, mais les souris conditionnées choisissent d’entrer dans la seconde, espérant y trouver un soulagement. Dans cet espace, elles font moins de mouvements d’évitement, ce qui illustre l’activation de l’effet placebo.
Scherrer et ses collègues ont développé un protocole expérimental en plusieurs étapes pour étudier l’analgésie placebo chez la souris. Illustration : Stéphanie Bondu-Guiselin
Pour mieux comprendre le lien entre le fait de s’attendre à un soulagement et l’activité des neurones régulant la douleur, l’équipe a fait plusieurs expériences sur les souris conditionnées et témoins, dont l’enregistrement de l’activité cérébrale et le marquage génétique de certains neurones.
L’équipe a pu montrer qu’un circuit cérébral particulier est activé lorsque les souris anticipent l’effet antidouleur. Ce circuit relie trois zones du cerveau : le cortex cingulaire antérieur, impliqué dans la perception et le traitement de la douleur, le pont du tronc cérébral, et le cervelet, responsable de l’apprentissage. C’est la première fois qu’une connexion directe entre le cortex cingulaire antérieur et le pont est mise en évidence. Cela signifie que ces zones du cerveau, qui étaient auparavant considérées comme séparées, travaillent ensemble pour réduire la sensation de douleur.
Cette découverte est particulièrement importante, car jusqu’ici, le pont n’avait jamais été associé à la douleur. « Nous pensions que le cortex contrôlait principalement le thalamus ou les amygdales, des zones liées aux sensations et aux émotions que l’on éprouve en cas de douleur, explique le professeur Scherrer. Mais là, surprise : les neurones du cortex envoient des signaux et des connexions vers le pont du tronc cérébral. »
Or, les neurones du pont possèdent de très nombreux récepteurs opioïdes, des récepteurs qui réagissent normalement à la libération d’endorphines et qui sont donc visiblement impliqués dans l’effet analgésique.
Lors de l’effet placebo, ces récepteurs s’activent, diminuant la douleur ressentie. Et l’équipe a vérifié qu’en inhibant leur activité, les seuils de douleur diminuaient et les souris réagissaient davantage.
Ces neurones envoient ensuite des signaux vers le cervelet, où certaines cellules spécifiques, appelées cellules de Purkinje, entrent en action. « Ce sont les cellules impliquées dans la cognition qui s’activent », précise le Prof Scherrer.
Les études se poursuivent
Bien que cette étude ait été réalisée sur des souris, le chercheur se montre optimiste quant à la transposabilité des résultats. « La structure des circuits de la douleur est conservée entre la souris et l’être humain » souligne-t-il.
Jeffrey Mogil, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génétique de la douleur à l’Université McGill, précise toutefois que « l’effet placebo est un concept complexe, impliquant sans aucun doute des circuits de niveau supérieur en plus de ceux de niveau inférieur identifiés par Grégory Scherrer et ses collègues ». Par exemple, le simple fait de conscientiser qu’on avale une pilule peut déclencher une réponse de soulagement de la douleur.
Il ajoute que « cette étude se concentre sur un sous-ensemble des circuits neuronaux jouant un rôle dans la douleur », ouvrant la voie à de potentielles découvertes en neurosciences et à la mise au point de molécules ciblant le pont du tronc cérébral pour réduire la douleur. Ces nouvelles perspectives suscitent un intérêt croissant. Comme le souligne Grégory Scherrer, « de nombreux scientifiques souhaitent collaborer avec nous pour réexaminer leurs études, en se concentrant sur l’activation du pont ». De telles collaborations enrichiront la compréhension des mécanismes complexes de l’analgésie placebo.
Cumuler médicaments et placebo
Rappelons que l’effet placebo peut être cumulé avec un traitement actif, ce qui signifie qu’il pourrait être exploité en pratique médicale pour renforcer l’efficacité de tous les traitements actuels. « L’effet placebo illustre le lien entre l’esprit et le corps, ce lien puissant peut donc être utilisé pour potentialiser n’importe quel traitement », confirme la psychologue et chercheuse en gestion de la douleur à l’Université du Québec en Outaouais, Stéphanie Cormier. Elle ajoute également que « la manière dont un traitement est présenté au patient influence les attentes de soulagement et optimise l’effet placebo ». Un patient informé sera plus réceptif aux traitements. Pas si anodine que ça, finalement, notre pilule de sucre !