Les androgènes, hormones masculines présentes à des taux bien plus faibles chez les femmes, peuvent-ils aussi avoir un impact sur la progression de la sclérose en plaques chez les patientes ? Des chercheurs français ont mené l’enquête…captivante !
Environ 120 000 Français vivent avec une sclérose en plaques (SEP) . Cette maladie auto-immune qui affecte le système nerveux central touche trois femmes pour un homme. Face à ce différentiel, des chercheurs, notamment de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), se sont intéressés au rôle des hormones sexuelles afin de mieux comprendre les disparités entre hommes et femmes face à la progression de la maladie. Concrètement, quel est l’impact des androgènes que l’on retrouve, en petite quantité, dans le système nerveux central des femmes ? Les résultats ont été publiés le 22 mars 2023 dans la revue scientifique Nature communications.
Le processus de démyélinisation
Avant de dévoiler un résumé de cette étude captivante, quelques fondamentaux. La forme « récurrente-rémittente » représente 85 % des cas de SEP. Elle se traduit par des poussées inflammatoires au cours desquelles les cellules immunitaires des patients s’attaquent à la myéline (une « gaine » ou enveloppe nerveuse qui protège les fibres nerveuses et accélère la vitesse de propagation des messages nerveux transportant l’information du cerveau au reste du corps) et la détruisent. En conséquence, des lésions qui entraînent des troubles notamment moteurs, sensitifs ou visuels. Si ces symptômes sont réversibles au début de la maladie grâce à la réparation spontanée de la myéline, avec le temps, ils le sont de moins en moins, voire plus du tout. Ce phénomène « reflète l’échec du processus de réparation et fait entrer les patients dans la phase progressive de la maladie », explique l’Inserm. Or, si les traitements actuels permettent de réduire la fréquence et la sévérité des poussées inflammatoires, ils restent inefficaces contre la progression de la maladie. L’enjeu est donc de développer de nouvelles pistes thérapeutiques qui permettraient d’éviter cette entrée dans la phase progressive, notamment en favorisant la régénération de la myéline.
Les androgènes, régénérateurs de myéline chez les hommes…
Et si tout cela ne tenait qu’à une hormone ? « Si l’environnement hormonal des hommes et des femmes est très différent, il ne peut néanmoins être restreint à l’existence de taux élevés d’androgènes chez les hommes et de taux fluctuants d’œstrogènes et de progestérone chez les femmes », indique l’Inserm. Ainsi, les hommes produisent eux aussi des œstrogènes, en particulier dans le cerveau où l’on trouve l’enzyme permettant de convertir les androgènes en œstrogènes, tandis que les femmes produisent, elles, de petites quantités d’androgènes. Ce sont sur ces dernières que la chercheuse Elisabeth Traiffort et son équipe au sein de l’unité « Maladies et hormones du système nerveux » (Inserm/Université Paris-Saclay) ont jeté leur dévolu, s’appuyant sur de précédents travaux qui montraient l’action protectrice des androgènes chez les hommes atteints de formes récurrentes-rémittentes de SEP et la régénération des gaines de myéline détruites chez le mâle, dans des modèles animaux de la maladie.
… et les femmes !
Reste à savoir si cela s’applique également aux femmes… Pour cela, les scientifiques ont également travaillé avec des modèles animaux de la maladie et à partir de tissus de patients provenant de banques de dons d’organes. Ils ont d’abord montré que dans les régions où la myéline est détruite, le « récepteur AR », qui permet aux androgènes de transmettre leur signal, est fortement exprimé dans le tissu nerveux des femmes atteintes de SEP, comme dans celui des souris femelles utilisées. Plus de doute, « les androgènes ont une action favorisant une régénération optimale de la myéline détruite. En effet, lorsque les signaux transmis par les androgènes sont totalement absents, cette régénération est fortement réduite », constatent les chercheurs.
Des propriété anti-inflammatoires
Et ce n’est pas tout… L’enquête révèle, dans un second temps, que ces mêmes androgènes ont aussi des effets anti-inflammatoires majeurs dans le tissu nerveux démyélinisé des femelles souris, contrairement à ce qui est observé chez les mâles. « Les effets bénéfiques des androgènes chez les femmes atteintes de sclérose en plaques pourraient donc également être liés à la diminution du niveau d’inflammation locale, dans les zones où la myéline est détruite », arguent les scientifiques. Un résultat « intéressant » si l’on considère l’hypothèse actuelle selon laquelle la progression de la maladie pourrait être étroitement associée aux cellules inflammatoires résidant dans le tissu nerveux.
Une approche thérapeutique adaptée au sexe
Alors que les faibles taux d’androgènes détectés chez les femmes pouvaient laisser présager un rôle mineur pour ces hormones dans la SEP, Elisabeth Traiffort et son équipe ont donc prouvé le contraire. « Nos données suggèrent l’utilisation de doses appropriées d’androgènes chez les femmes atteintes de sclérose en plaques et la nécessité de prendre en considération le sexe du patient dans l’approche thérapeutique de cette pathologie et vraisemblablement des autres pathologies mettant en jeu une destruction de la myéline du système nerveux central », conclut-telle.