Devenir père est souvent synonyme de joie, même si cela comporte son lot de défis. Mais lorsque l’on devient parent d’un enfant ayant un handicap, ces défis peuvent vite s’apparenter à des montagnes qui paraissent insurmontables. Plus d’un père sur six ayant un enfant avec des besoins particuliers éprouve une détresse psychologique élevée, et ils sont même un sur neuf à avoir sérieusement pensé au suicide dans la dernière année.
C’est ce que révèle une nouvelle étude québécoise publiée jeudi par le Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP). En juin dernier, l’organisme avait déjà dévoilé dans un portrait plus large que la détresse psychologique touchait près d’un père sur sept au Québec.
57 % C’est le pourcentage de pères ayant un enfant avec des besoins particuliers qui disent manquer davantage de confiance dans leur rôle de parents.
Dans ce cas-ci, les données du précédent sondage mené en mars 2022 ont été réutilisées pour se concentrer seulement sur l’expérience de 907 pères d’enfants ayant un ou plusieurs handicaps, comme des incapacités physiques, un problème de santé chronique, un retard de développement global ou encore un trouble de déficit de l’attention. Un sujet de recherche qui est encore très peu exploité, fait remarquer Carl Lacharité, le directeur scientifique de l’étude, dont les résultats seront présentés lors du colloque Su-Père Conférence du RVP, qui a lieu jeudi et vendredi.
Absence de données
« Les recherches sont majoritairement portées sur ce que les mères peuvent vivre [lorsqu’elles ont un enfant avec un handicap], il y a peu de recherches qui s’intéressent aux pères, alors on s’imagine qu’ils ne sont pas vraiment touchés par ça. Mais lorsque l’on commence à gratter, on se rend compte qu’ils font forcément face à des difficultés psychologiques », explique Carl Lacharité, également professeur de psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Preuve en est avec cette étude. Comparativement aux pères en général, ceux élevant un enfant ayant un ou plusieurs besoins particuliers font donc face à une plus grande détresse psychologique, mais ont aussi un indice de résilience plus faible (+29 %), manquent davantage de confiance, notamment dans leur rôle de parents (+57 %), et ont une relation coparentale plus compliquée.
« Question après question, on a des écarts de 30-40-50 % » par rapport à l’étude sur l’ensemble des pères, souligne le directeur du RVP, Raymond Villeneuve.
L’isolement social est aussi davantage marqué chez ces pères. Une écrasante majorité déclare n’avoir que très peu ou pas du tout de soutien de leur entourage (66 % reçoivent rarement ou jamais d’aide de leur famille, 71 % dans le cas de la belle-famille). « Le réseau de soutien est peu présent, alors qu’il est un important facteur de résilience. Ces données m’indiquent que le quotidien de ces pères-là est très difficile », ajoute M. Villeneuve.
Peu de services
Ce qui retient particulièrement l’attention du professeur Carl Lacharité, « c’est l’accumulation de types de vulnérabilité : manque de confiance en soi ; manque de repères ; isolé de son entourage ; ne trouve pas de services… » Malgré l’addition de toutes ces fragilités, les hommes ne sont pas ceux qui demandent le plus facilement de l’aide, rappelle le professeur Lacharité.
Selon le sondage, 21 % d’entre eux déclarent avoir consulté une ressource ou un intervenant psychosocial dans les 12 derniers mois, ce qui est plus que les pères en général (14 %). Pourtant, peu de services leur sont spécifiquement consacrés.
« Lorsqu’il s’agit de services à la famille, les pères sont souvent très en périphérie de l’attention de ces services-là, détaille Carl Lacharité. Le sondage vient donner de l’eau au moulin pour mieux saisir comment est-ce qu’on peut soutenir les pères. »
Le Regroupement pour la valorisation de la paternité intervient d’ailleurs auprès d’autres organisations soutenant les familles ayant des enfants handicapés pour qu’elles adaptent leurs pratiques aux « réalités paternelles ».
Selon M. Lacharité, l’une des pistes de solution se trouve dans le langage : « la parentalité n’équivaut pas seulement à la mère, mais aussi au père, à la coparentalité ».
Un rééquilibrage qui pourrait profiter à tous, abonde Raymond Villeneuve. « Si on ne porte pas une attention particulière à la réalité des pères, alors la mère se ramasse avec davantage de responsabilités, elle réduit ses heures de travail, etc. Pendant ce temps, le père va surtravailler. Ça entraîne une disparité économique, une charge mentale mal répartie et des tensions dans le couple. »