Chantal Leblanc, 83 ans, soulève deux petits poids d’un demi-kilo chacun. Assise sur une chaise, débranchée de sa bonbonne d’oxygène, elle participe à une séance d’exercices de groupe dirigée par une physiothérapeute à l’hôpital Mont-Sinaï, à Montréal. Un dur entraînement.
« Quand tu n’as pas de souffle, c’est difficile de faire des efforts », dit la femme menue aux cheveux gris-blanc, vêtue d’un pantalon de jogging et de souliers de marche.
Chantal Leblanc souffre de la maladie pulmonaire obstructive chronique. Il y a près d’un mois, elle a bien cru qu’elle allait mourir. « Je ne pouvais plus respirer », résume-t-elle.
Hospitalisée au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), elle a été transférée à l’hôpital Mont-Sinaï afin d’effectuer une thérapie de réadaptation pulmonaire. « J’ai attendu trois ou quatre jours au CHUM pour avoir une place ici », affirme-t-elle.
Et c’est là l’un des problèmes du réseau de la santé québécois. Faute de lits disponibles en réadaptation, des patients demeurent coincés dans les hôpitaux, contribuant bien malgré eux à engorger les urgences et les centres hospitaliers.
Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), 13,47 % des patients hospitalisés au Québec ne requéraient plus de soins aigus, en date du 9 septembre. Parmi eux, 41 % étaient en attente d’une place en milieu d’hébergement (CHSLD, ressources intermédiaires ou de type familial) et 16 % d’un lit en réadaptation.
« Il manque des lits de réadaptation partout au Québec », signale Francine Dupuis, présidente-directrice générale adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, qui gère notamment l’hôpital Mont-Sinaï.
Dans la métropole, des lits en réadaptation sont fermés parce qu’il manque des médecins pour s’occuper des patients, indique la Dre Nathalie Zan, coordonnatrice médicale à l’hébergement et responsable de la gestion des lits en réadaptation du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.
« Chez nous, on a 35 lits fermés sur 113 », cite-t-elle en exemple.
Au CIUSSS Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, l’hôpital Mont-Sinaï fonctionne à 80 ou 85 % de sa capacité, « en raison de la pandémie de COVID-19 », selon la directrice de la réadaptation et des services multidisciplinaires, Mary Lattas.
Or, les besoins augmentent, note l’ergothérapeute de formation. Bien des aînés se sont déconditionnés depuis deux ans. « On a eu beaucoup de fractures de personnes âgées dernièrement à l’urgence [de l’Hôpital général juif] », rapporte Mary Lattas.
Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on confirme que « certains » CIUSSS et CISSS ont dû fermer des lits en réadaptation en raison du manque de médecins et de soignants. « Cette pénurie rend difficile l’ouverture des lits à l’heure actuelle », écrit-on dans un courriel.
Des patients en paient le prix, déplore la Dre Zan. Le délai d’attente moyen pour obtenir une place en réadaptation était de pratiquement sept jours en août au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, relève-t-elle.
Du temps « perdu », selon la médecin de famille. Les patients bougent moins à l’hôpital et risquent des complications (ex. : une plaie) ou un déconditionnement. « Quand ils arrivent en réadaptation, ça peut être plus long », souligne la Dre Zan.
Chantal Leblanc, elle, en est à son deuxième séjour à l’hôpital Mont-Sinaï. Elle sait déjà qu’elle ne pourra pas retourner dans son appartement situé à un 3e étage, où elle vit seule. « Il y a 72 marches. Mais ils sont en train d’arranger un logement pour moi au 1er étage. Ça fait 33 ans que j’habite là », raconte-t-elle, en faisant des pauses pour reprendre son souffle.
La Montréalaise souhaite finir au plus vite sa réadaptation. « Je veux partir [de Mont-Sinaï] parce qu’on est quatre dans la chambre ! » lâche-t-elle dans la salle d’exercices, son déambulateur à ses côtés. La colocation la rend « folle ». « Je l’étais un peu déjà ! », ajoute-t-elle à la blague.
Un secteur « d’avenir »
Le secteur de la réadaptation en est un « d’avenir », estime Francine Dupuis. Il permet de libérer des lits d’hospitalisation et de repousser des séjours en CHSLD. « Il y a beaucoup de personnes âgées qui peuvent faire de la réadaptation et, après ça, s’en s’aller à domicile, pense-t-elle. Si tu les réadaptes suffisamment, elles vont peut-être pouvoir faire deux ou trois ans de plus chez elles. »
Leur état est « souvent » même meilleur que « deux, trois ou quatre ans » auparavant, selon la Dre Suzanne Levitz, cheffe du programme interne de réadaptation à l’hôpital Mont-Sinaï. « Les patients comprennent un peu mieux leur maladie, comment gérer l’essoufflement, comment marcher et respirer en même temps », explique-t-elle.
Les usagers plus en forme et habiles avec les technologies peuvent effectuer leurs séances de thérapie à domicile, grâce à la téléréadaptation. Lors du passage du Devoir à l’hôpital Mont-Sinaï, une kinésiologue, installée face à une caméra, faisait des exercices respiratoires avec 16 patients se trouvant dans leur résidence de Montréal, de Lanaudière ou de l’Outaouais.
Ce programme externe de réadaptation respiratoire prend de l’ampleur cette année. Selon Mary Lattas, environ 250 usagers pourront y participer, soit une centaine de plus que l’an dernier. En neurologie, le nombre de places en téléréadaptation passera de 50 à 80 cette année.
Le MSSS mise sur la réadaptation intensive à domicile pour libérer des lits d’hôpitaux. Il dit travailler avec les établissements de santé pour mettre en place de telles « solutions ne nécessitant pas de couverture médicale ».
Il faudra malgré tout en faire davantage pour recruter des médecins de famille dans les centres de réadaptation intensive, juge Francine Dupuis. « À mon avis, il va falloir leur donner les mêmes bonnes conditions que les médecins qui vont en CHSLD », précise-t-elle. Ces derniers bénéficient depuis 2018 d’une tarification bonifiée.
D’après la Dre Levitz, la pratique en réadaptation intensive est plus exigeante qu’il y a trente ans. Les patients obtiennent leur congé de l’hôpital plus vite et sont moins stables à leur arrivée dans les centres. « Ils sont beaucoup plus malades, dit-elle. C’est beaucoup plus de travail. » Combiner une telle tâche, avec la prise en charge de patients en cabinet et une pratique aux urgences, apparaît « très difficile » à « beaucoup de médecins de famille », ajoute-t-elle.
Il s’agit pourtant d’une pratique gratifiante, croit la Dre Zan. « Peu de médecins font cette pratique-là, mais ils ont un énorme impact, dit-elle. Ce sont des passionnés. »