Les proches aidants: tout seuls ensemble

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La réalité souvent difficile des personnes proches aidantes est en général balayée sous le tapis. Elles-mêmes peinent à s’identifier comme proches aidants, en plus de souffrir du manque de reconnaissance de la société à leur égard. Dans le cadre de la sortie prochaine du documentaire « Au-delà des mots: paroles de proches aidants », Métro souhaite lever le voile sur leur réalité.

Fin des années 1990. Nicole Lacroix et Michel Moreau, la première en Estrie et le second à Montréal, montrent tous deux des signes de dégénérescence neurocognitive. Ils commençaient leur éternité, comme l’avait illustré M. Moreau, au début de sa maladie. À leurs côtés depuis de nombreuses années, leurs conjoints respectifs, Michel Carbonneau et Édith Fournier, enfilent, sans même se questionner, le chapeau de proche aidant. «J’accompagnais ma conjointe dans ce qui allait être ses derniers jours. Ça a duré 14 ans. Mais pour moi, ça allait de soi que je prenne soin d’elle», raconte Michel Carbonneau. «Autant Nicole était sage, douce et s’éteignait à petit feu, autant pour Michel [Moreau], ça a été une dégringolade fulgurante», explique Édith Fournier. En effet, en moins de deux ans, l’homme ne marche plus, ne mange plus seul et ne reconnaît plus sa femme. «J’ai dû très rapidement m’organiser avec des appareils pour le garder à la maison. C’est une situation très pernicieuse, et avant de reconnaître qu’on est proche aidant, ça prend un certain temps.», poursuit-elle. Ce n’est qu’après plusieurs années d’accompagnement que Mme Fournier et M. Carbonneau finissent par comprendre leur rôle dans la vie de leur conjoint en perte d’autonomie.

«C’est naturel!»

Sorte de courroie de transmission entre le gouvernement et la population, les CISSS et les CIUSSS rendent disponibles et accessibles les services et les ressources, dont ceux reliés à la proche aidance. «Le proche aidant n’est ni un bénévole ni un employé», souligne Marie-Florente Démosthène, directrice adjointe de la responsabilité populationnelle et des partenariats au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. «Dans notre CIUSSS, près de 65% de nos proches aidants sont en emploi. Ça veut dire que cette réalité, cette charge mentale, est lourde et difficile.» À L’Appui, un organisme soutenant les proches aidants à travers leurs difficultés et selon leurs besoins, on a d’ailleurs milité pour remplacer le terme «aidant naturel» par celui de «proche aidant». «On a essayé d’amener une conscientisation sur le fait que ce n’est pas naturel de prendre soin de quelqu’un à ce niveau. Il y a une attente sociale et culturelle de prendre soin des gens qu’on aime, mais d’en prendre soin au détriment de sa santé, ça ne devrait pas non plus être la réalité», mentionne Julie Bickerstaff, directrice Info-aidant et transfert de connaissances à L’Appui. Elle croit plutôt que l’on devrait offrir un tissu social permettant aux gens de jouer leur rôle dans les limites de leurs capacités et avec une liberté de choix, comme celui, par exemple, de s’investir ou de se préserver à certains moments, si la situation devient trop exigeante.

Devant le peu de services disponibles dans sa région, Michel Carbonneau, pour faire face à l’adversité, se jette dans le travail. Cela lui occupe un peu l’esprit et lui permet de souffler par moments, comme il doit parfois s’absenter et que des «dames de compagnie» prennent alors la relève auprès de Nicole. Édith, elle, s’impose une semaine de répit par mois. Puis, après plusieurs années à cohabiter avec leurs conjoints respectifs, Michel Carbonneau et Édith Fournier font le choix de les héberger dans un CHSLD. Néanmoins, leur rôle de proches aidants ne s’arrête pas pour autant, même que la passation des soins apporte elle-même son lot de difficultés. «C’est comme si on était un peu mis de côté. On devenait des visiteurs et on perdait notre statut exclusif auprès de notre patient. Je pense qu’on pourrait avoir une place de meilleur partenaire avec les équipes de soignants», suggère Édith Fournier. «Je m’arrangeais pour faire mes visites à l’heure des repas, de sorte que je faisais manger Nicole. C’était aussi une façon de me faire accepter par le personnel, pour être certain que ça se refléterait en des soins plus attentifs à son endroit», renchérit Michel Carbonneau.

Un film à L’Appui

Les organismes comme L’Appui, mais aussi Proche aidance Québec ou encore Baluchon Alzheimer, sont ceux qui agissent le plus directement avec les proches aidants. Des crédits d’impôt sont certes disponibles, et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) peut fournir certains services, comme du transport par exemple, mais il agit surtout à titre de bailleur de fonds pour ces organismes. «Le MSSS n’offre pas de services et de soins directs aux proches aidants. Il finance les établissements du réseau qui leur offrent divers services de soutien. Des organismes communautaires qui offrent également des services aux proches aidants sont financés par le Programme de soutien aux organismes communautaires, comme L’Appui, à hauteur de 25 millions par année», explique Robert Maranda, relationniste média au Service des affaires publiques de la Direction des communications du MSSS.

À L’Appui, depuis les dernières années, on se réjouit d’ailleurs de voir ce financement renouvelé année après année, nonobstant le parti au pouvoir. L’organisme est aussi très satisfait de la Politique nationale pour les personnes proches aidantes – Reconnaître et soutenir dans le respect des volontés et des capacités d’engagement, adoptée au printemps 2021. «On est privilégiés et on a un pas d’avance par rapport à nos collègues d’autres provinces au Canada, qui n’ont pas ces politiques publiques qui viennent circonscrire, encadrer, développer des services pour soutenir les personnes proches aidantes», ajoute Julie Bickerstaff. Pour l’organisme, il importe de faire connaître ses services au plus grand nombre, ce qu’il tente de faire quotidiennement. C’est avec le même objectif en tête qu’il a d’ailleurs financé et produit le documentaire Au-delà des mots: paroles de proches aidants, projeté gratuitement dans 36 salles de cinéma de la province au courant du mois de septembre et d’octobre 2022. Le réalisateur Josué Bertolino et le scénariste Guillaume Chouinard ont mis en images des textes de Michel Carbonneau et d’Édith Fournier, qui y racontent leur parcours de proches aidants. «Les gens se reconnaissent à l’intérieur du film, qui montre cette réalité de solitude», témoigne Édith Fournier. «C’est pour que les gens puissent sentir qu’ils ne sont pas seuls et surtout pour qu’ils aillent chercher de l’aide», mentionne Stéphanie Charette, directrice des communications et relations publiques à L’Appui.

Les proches aidants en chiffres

  • Un Québécois sur quatre est considéré comme proche aidant, avec une proportion un peu plus grande de femmes
  • Moyenne d’âge: entre 45 et 65 ans
  • Investissements de Québec annoncés en 2021: 200 millions sur cinq ans
  • Info-aidant rejoint 11 421 personnes par année
    Info-aidant est un service personnalisé d’écoute, d’information et de référence, accessible tous les jours de 8h à 20h, par téléphone au 1 855 852-7784, par courriel et par clavardage.
Publié le 27 septembre 2022
Par Elizabeth Pouliot, collaboration spéciale