Les restrictions sur le Publisac se heurtent aux obligations de Postes Canada

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Après Mirabel et Montréal, d’autres villes souhaitent encadrer le publipostage. Mais la loi fédérale pose certains obstacles.

Les municipalités de la grande région métropolitaine sont de plus en plus nombreuses à vouloir restreindre la distribution à domicile des imprimés publicitaires ensachés, communément appelés Publisac, qui se retrouvent rapidement dans les bacs de recyclage et engorgent les centres de tri. Mais leur marge de manœuvre est limitée par la loi fédérale, qui oblige Postes Canada à livrer ces envois malgré tout.

Au cœur du débat : les règlements adoptés à Mirabel, en 2019, et à Montréal, en 2022, pour remplacer le système actuel d’exclusion volontaire (opt-out) par un système d’adhésion volontaire (opt-in).

  • Opt-out : Les résidents doivent apposer un autocollant sur leurs boîtes aux lettres pour signifier qu’ils ne souhaitent pas recevoir de publicité.
  • Opt-in : Les résidents doivent apposer un autocollant sur leurs boîtes aux lettres pour signifier qu’ils souhaitent recevoir de la publicité.

À ce jour, seul le règlement mirabellois a été mis en œuvre. Celui de la Ville de Montréal entrera en vigueur le 1er mai 2023. Mais dans les derniers mois, les villes de Laval, de Saint-Jean-sur-Richelieu, de Dorval ainsi que la MRC de Marguerite D’Youville ont indiqué qu’elles entendaient, elles aussi, encadrer le publipostage ensaché.

Or, la société TC Transcontinental – dont le produit phare, le Publisac, est devenu l’emblème du débat – fait valoir que les municipalités ne peuvent pas contraindre Postes Canada à se plier à de tels règlements, ce que confirme la société d’État.

Cet argument figure d’ailleurs dans toutes les poursuites lancées par l’entreprise, qui conteste les règlements de Mirabel et de Montréal devant les tribunaux, et qui fait valoir, entre autres, que le système d’adhésion volontaire (opt-in) n’est pas un modèle rentable.

Les journaux locaux, eux, se retrouvent pris entre deux feux. Déjà aux prises avec d’importants défis financiers, les éditeurs risquent de devoir troquer le Publisac pour les services de Postes Canada, beaucoup plus onéreux.

Des municipalités entrent dans la danse

Les élus de Laval, d’abord, ont adopté une proposition du conseiller Alexandre Warnet, le 8 juin dernier, pour charger la direction générale « d’analyser la possibilité d’interdire la distribution de sacs contenant du matériel publicitaire […] tout en autorisant la possibilité d’une adhésion volontaire pour les citoyens ».

Le lendemain, les maires des six municipalités de la MRC de Marguerite-D’Youville (Sainte-Julie, Varennes, Saint-Amable, Contrecoeur, Verchères et Calixa-Lavallée) ont aussi adopté une résolution pour demander à Québec et Ottawa de soutenir financièrement « la distribution, porte à porte, des journaux locaux et régionaux via Postes Canada », étant donné qu’il était « souhaitable d’imposer un mode de distribution d’adhésion volontaire au Publisac ».

Puis, le 12 juillet, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu est passée à l’action : le conseil municipal a adopté un règlement pour mettre en place un système d’adhésion volontaire (opt-in) qui, comme à Montréal, devrait entrer en vigueur le 1er mai 2023.

« Je pense vraiment qu’on a fait preuve de courage politique, se félicite l’instigateur du règlement, le conseiller François Roy. Je suis content de savoir qu’on serait techniquement la troisième ville au Québec à emboîter le pas. Je pense que Saint-Jean-sur-Richelieu va devenir un exemple pour le Québec. »

La Municipalité de Dorval, dans l’Ouest-de-l’Île, pourrait également agir en ce sens. Le maire Marc Doret a confirmé à Radio-Canada dans les derniers jours qu’il entendait « suivre la direction » prise par la Ville de Montréal. Il souhaite toutefois attendre de voir comment le règlement sera appliqué l’an prochain.

Des règles « discriminatoires »?

François Taschereau, vice-président aux communications d’entreprise et aux affaires publiques de TC Transcontinental, « regrette » que de nouvelles municipalités envisagent à leur tour de restreindre la distribution du Publisac.

Selon lui, le système d’exclusion volontaire (opt-out) « fonctionne ». D’après les estimations de l’entreprise, 200 000 Québécois s’en prévalent déjà.

M. Taschereau souligne entre autres que le Publisac répond à une demande non négligeable des consommateurs qui, « surtout avec l’inflation actuelle », cherchent des solutions pour économiser, en plus de permettre aux commerçants et aux éditeurs de journaux locaux de rejoindre leur public « à un coût avantageux ».

Dans ses poursuites, TC Transcontinental critique aussi le caractère « discriminatoire » des règlements adoptés par les villes de Mirabel et de Montréal. Ses avocats évoquent une « expropriation déguisée ».

Car la loi ne permet pas aux municipalités canadiennes d’imposer leurs vues aux sociétés de la Couronne comme Postes Canada. En adoptant des règles restrictives, les municipalités permettent plutôt la création d’un « monopole » en faveur de la société d’État, « ce qui n’est pas autorisé par aucun texte législatif habilitant », fait valoir l’entreprise.

« Obligée » de livrer

Postes Canada a refusé nos demandes d’entrevue. Mais la société d’État confirme ne pas avoir à se plier aux nouvelles réglementations municipales sur la distribution des imprimés publicitaires.

« En tant que fournisseur national de services postaux, Postes Canada est tenue de livrer tout le courrier qui est correctement préparé et payé, y compris les envois publicitaires non adressés », nous a fait savoir un porte-parole par courriel.

Ce dernier invoque la Loi sur la Société canadienne des postes et le Protocole du service postal canadien, lequel « confirme également l’obligation de Postes Canada à livrer le courrier ».

Enfin, la société d’État souligne que les Canadiens peuvent toujours demander de ne pas recevoir de courrier non adressé en s’inscrivant au programme Choix des consommateurs, même si ce dernier ne s’applique ni aux envois gouvernementaux et politiques ni aux journaux communautaires.

Quand Postes Canada prend le relais

À Mirabel, où le règlement adopté en 2019 est finalement entré en vigueur le printemps dernier, TC Transcontinental a cessé de distribuer le Publisac par l’intermédiaire de son propre réseau de distribution.

L’entreprise ayant été déboutée en Cour supérieure, elle doit maintenant se conformer à la réglementation municipale, qu’elle continue par ailleurs de contester en Cour d’appel. En attendant, c’est Postes Canada qui a pris le relais de la distribution du Publisac.

Sur le terrain, les résidents ne voient pas une grosse différence. Postes Canada n’ayant pas à se conformer au système d’adhésion volontaire (opt-in), les imprimés publicitaires ensachés de TC Transcontinental continuent d’être distribués par défaut à toutes les adresses. Un seul secteur – Mirabel-en-Haut – a cessé de recevoir le Publisac, une situation « temporaire » qui sera corrigée « dans les prochaines semaines », assure François Taschereau.

La directrice du Services des communications de la Ville, Caroline Thibault, constate par ailleurs que les facteurs de Postes Canada respectent les autocollants du système d’exclusion volontaire (opt-out).

Bref, peu de choses ont véritablement changé, outre le fait que les résidents qui possèdent une case postale reçoivent maintenant le Publisac dans celle-ci plutôt que sur le pas de leur porte.

Avocate au contentieux de la Ville de Mirabel, Me Karine Lalonger confirme que la Municipalité se doutait bien qu’une telle situation pourrait se produire. « On savait que le règlement ne pouvait pas s’appliquer à Postes Canada, puisque la livraison du courrier est une compétence fédérale », admet-elle.

« Est-ce qu’on savait que Postes Canada pourrait prendre le relais? Je crois que oui. Est-ce que c’était l’objectif des élus à Mirabel? Je ne crois pas. » – Me Karine Lalonger, avocate du contentieux de la Ville de Mirabel

La mairesse de Saint-Jean-sur-Richelieu, Andrée Bouchard, craint elle aussi le statu quo lorsque le règlement encadrant la distribution des imprimés publicitaires entrera en vigueur, en 2023. « Ça m’inquiète », admet-elle.

La loi canadienne devrait-elle être changée pour obliger Postes Canada à respecter la réglementation des municipalités? « On fera les représentations qu’il faudra auprès des instances qu’il faudra », répond Mme Bouchard.

Déjà, en 2019, le rapport final de la Consultation publique sur le contrôle des circulaires de l’agglomération de Montréal – qui a mené à l’adoption du règlement de 2022 – recommandait de « faire des représentations auprès du gouvernement du Canada dans le but d’obtenir un engagement de sa part [pour que] Postes Canada adapte ses pratiques au modèle d’adhésion [opt-in] ».

Radio-Canada a souhaité obtenir l’opinion à ce sujet de la ministre responsable de Postes Canada, Filomena Tassi, mais nos demandes d’entrevue sont restées sans réponse.

« Quatre fois le prix »

Des éditeurs de journaux commencent entre-temps à adapter leurs pratiques en fonction des derniers développements dans ce dossier.

À Montréal, par exemple, Métro Média – qui publie une quinzaine d’hebdomadaires dans la région – a récemment confié à Postes Canada la livraison du Métro IDS-Verdun, qui couvre l’actualité locale de L’Île-des-Sœurs et de Verdun. Le journal était autrefois inséré dans le Publisac, tout comme la très grande majorité des publications de l’entreprise.

« L’annonce, en avril dernier, par la Ville de Montréal, de mettre fin à la distribution du Publisac dans sa forme actuelle à partir de mai 2023, a forcé Métro Média à modifier radicalement ses façons de faire », a expliqué l’éditeur par courriel. Il a spécifié que, pour l’instant, le Métro IDS-Verdun était le seul hebdomadaire de l’entreprise à être livré par Postes Canada.

Mais cette nouvelle façon de faire coûte beaucoup plus cher. « Dans le cas de Métro IDS-Verdun, c’est quatre fois le prix », a précisé le président et directeur général de Métro Média, Andrew Mulé.

À Mirabel, où Postes Canada a pris la relève de TC Transcontinental au printemps, l’impact a été nul pour la presse locale. La municipalité n’est couverte que par un seul journal (Infos Mirabel) qui, depuis son lancement en août 2021, est livré par la société d’État.

Publié le 26 août 2022
Par Jérôme Labbé