« C’est une maladie très difficile. Améliorer la qualité de vie des patients, rien que ça, c’est déjà beaucoup ». Neuroendocrinologue à l’Inserm et au centre de recherche en biomédecine de l’université de Strasbourg, Matei Bolborea travaille sur la maladie de Charcot.
De son nom scientifique « sclérose latérale amyotrophique » (SLA), la maladie de Charcot est une maladie neurodégénérative pour le moment incurable, qui entraîne la mort des motoneurones et par conséquent une paralysie progressive des muscles impliqués dans la motricité volontaire. En progressant, la maladie finit par atteindre les muscles responsables de la respiration, et induit des troubles du sommeil (apnée, réveils, etc.). Dans le cas d’autres maladies neurodégénératives, il existe aussi des altérations du sommeil qui font partie des éléments de diagnostic (Parkinson, Alzheimer), ce qui jusqu’ici n’avait pas été étudié dans le cas de la SLA.
Dans une étude publiée dans la revue Science Translational Medicine, Matei Bolborea et son équipe, en collaboration avec le centre allemand d’étude des maladies neurodégénératives (DZNE) d’Ulm, rendent compte de l’apparition de troubles du sommeil caractéristiques de la maladie, bien avant son déclenchement clinique.
Une maladie des neurones moteurs
« C’est une maladie des motoneurones, précise le chercheur. Les patients qui en sont atteints commencent la plupart du temps par ressentir de l’engourdissement, une perte de force ou une raideur de certains muscles. Ces signes progressent sur une période plus ou moins longues et sont la manifestation que les neurones moteurs dégénèrent. »
Il existe deux types de neurones moteurs (ou motoneurones) : les neurones moteurs centraux, situés dans le cortex moteur, qui envoient les ordres de contraction à la moelle épinière, et les neurones moteurs périphériques, qui transmettent ces commandes aux muscles. Chez un patient atteint de la SLA, les deux dégénèrent, ce qui coupe la communication entre le cerveau et les muscles. Non sollicités, ces derniers ne se contractent plus et finissent par s’atrophier.
Pour leur étude, Matei Bolborea et son équipe ne se sont pas concentrés spécifiquement sur les neurones moteurs, mais des neurones de l’hypothalamus. Il y a quelques années, cette même équipe avait mis en évidence une perte de poids très précoce chez les patients, indépendamment de toute atteinte motrice.
« C’est pour cela que nous nous sommes intéressés à l’hypothalamus, qui est la structure du cerveau en charge de la régulation de notre poids. Nous avons observé que les neurones exprimant l’orexine et la melanin-concentrating hormone (MCH), molécules qui régulent la prise alimentaire mais aussi l’activité et le sommeil, étaient altérés chez les personnes atteintes de SLA, raconte le chercheur. Naturellement, s’il y a des troubles de l’expression de ces neurotransmetteurs dans le cerveau, il y a sûrement aussi des problèmes de sommeil. »
« Un bon pour la recherche »
Dans ces travaux, les chercheurs ont analysé des dizaines d’enregistrements de sommeil de patients atteints de SLA, à différents stades de la maladie. Certains atteints de la maladie, mais dont les symptômes moteurs ne se sont pas encore déclenchés, mais aussi des personnes qui présentent les mutations génétiques caractéristiques de la SLA, avec un risque important de la déclencher dans les années à venir.
« Ce qui est vraiment nouveau, c’est que nous avons eu accès à des patients très tôt dans le déclenchement de la maladie, explique Matei Bolborea. En effet, l’un de nos groupes est constitué de proches de patients volontaires, sur qui nous avons pu analyser le génome et mettre en évidence les mutations caractéristiques de la maladie de Charcot. Ces personnes-là n’en sont pas atteintes pour le moment, mais susceptibles de déclencher la maladie dans le futur. »
Afin de savoir si les éventuelles altérations du sommeil arrivent avant les troubles moteurs, les scientifiques ont évincé les patients dont les fonctions respiratoires étaient atteintes, ou qui avaient d’autres troubles avérés, comme de l’apnée du sommeil. “On a exclu tout ce qui était de l’ordre des troubles respiratoires, qu’ils soient dus ou non à la maladie”, précise le chercheur.
Après une comparaison avec un groupe contrôle, les résultats suggèrent que les troubles du sommeil sont présents plusieurs années avant la manifestation des troubles moteurs. Chez les patients atteints de SLA, comme chez les personnes prédisposées génétiquement, les chercheurs observent des temps d’éveil beaucoup plus longs, ainsi qu’une diminution du sommeil profond.
“Avant, on se disait que les troubles du sommeil étaient seulement liés à l’altération des fonctions respiratoires ou à l’angoisse de l’avancée de la maladie. On ne pensait pas que c’était intéressant d’aller observer les altérations du sommeil, souligne Séverine Boillée, docteur en neurosciences à l’Institut du cerveau, n’ayant pas participé à cette étude. C’est un bon pour la recherche, d’aller chercher des connexions entre les neurones moteurs et des neurones annexes.”
Restaurer le sommeil des patients
Les chercheurs ne se sont pas arrêtés à cette découverte. Dans le cadre d’une étude translationnelle (entre la recherche fondamentale et la recherche clinique), ils ont rétabli un sommeil sain dans des modèles de SLA de souris. « Lorsque le taux d’orexine est élevé, on est éveillé, explique le neuroendocrinologue. Pour rétablir la balance, on a donné aux souris un traitement inhibiteur de l’orexine. »
Les souris traitées récupèrent un meilleur sommeil, et leur motoneurone est préservé. »Les motoneurones lombaires semblent ne plus mourir. Ils sont bien là, mais on ne sait pas s’ils sont encore fonctionnels. »
« J’aimerais que cette méthode puisse être curative. Mais, pour être réaliste, je pense que c’est plus un début, une nouvelle ère dans la prise en charge des patients SLA », admet Matei Bolborea. Les essais sur les patients sont en cours à Ulm, en Allemagne. L’objectif est de comprendre si restaurer les neurones à orexine pourrait diminuer la progression de la maladie. « C’est très intéressant pour la recherche, avance Séverine Boillée. Pour la directrice de recherche, cette étude est une preuve supplémentaire que d’autres cellules sont impliquées dans la maladie. « Elles peuvent être de nouvelles cibles thérapeutiques », conclut-elle.
« On parle beaucoup de la maladie de Charcot dans les débats sur la fin de vie, parce que c’est une maladie très lourde ». Matei Bolborea et son équipe espèrent que la connaissance de ces troubles du sommeil permettra d’agir de manière anticipée sur le développement de la maladie, afin de réduire au mieux sa progression.
Un traitement prometteur
Si les recherche sur la maladie progressent, il n’existe aucun traitement curatif à ce jour. Un seul médicament a su redonner de l’espoir aux malades et aux chercheurs ces dernières années : le Tofersen (ou Qalsody). Mis sur le marché en 2023, il permet de stabiliser une forme génétique de la SLA, appelée SOD-1, qui représente 1% des malades. Ce médicament peut arrêter la progression de la maladie, chez certains patients, les motoneurones encore vivants pouvant probablement prendre le relais de ceux tués par la SLA. Mais les chercheurs travaillent à appliquer ce mécanisme à d’autres gènes mutés causant la maladie (soit 10 à 20% des cas, la majorité étant sporadiques). Aujourd’hui, le remboursement de ce traitement est encore discuté en France, car les effets bénéfiques n’avaient pas été mesurés, à court terme dans l’essai thérapeutique mais sont maintenant rapportés comme visibles sur le long-terme.