Circuler à Montréal est dangereux pour les personnes handicapées. Un nouveau rapport de la Table des groupes de femmes de Montréal met en lumière le sentiment d’insécurité permanent qu’éprouvent les femmes en situation de handicap lorsqu’elles sortent de chez elles.
« Je ne me sens jamais en sécurité dans l’espace public », résume une participante de la recherche-action Embarquez avec nous !.
Chaque sortie devient rapidement un parcours du combattant pour les femmes en situation de handicap. Il faut braver les trottoirs et les ruelles glacées ainsi que l’absence de rampes d’accès, les comportements dangereux des automobilistes, les chantiers et les aménagements urbains mal conçus, sans parler du harcèlement de rue. Selon les témoignages recueillis dans le rapport, les transports collectifs réguliers sont souvent considérés comme non sécuritaires et inaccessibles.
Laurence Parent a beau siéger comme vice-présidente au conseil d’administration de la Société de transport de Montréal (STM), elle le reconnaît : c’est l’installation d’ascenseurs dans les stations de métro de Montréal qui est le dossier le plus urgent en matière de mobilité.
« À Montréal, oui, il y a un retard, c’est sûr, dit la conseillère d’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, qui circule elle-même en fauteuil roulant. Et en plus, Montréal a des défis d’hiver. »
« Notre ennemi numéro un à nous, ce sont les marches. La mise en accessibilité du métro est notre plus gros défi », poursuit-elle.
En comparaison, les États-Unis appliquent depuis 1990 une loi sur l’accessibilité qui a « un impact assez concret sur la société, les infrastructures et tout ça. Aux États-Unis, en fauteuil roulant, j’ai beaucoup plus de facilité à circuler ».
Un métro souvent inaccessible
Présentement, 29 des 68 stations de métro de Montréal sont munies d’un ascenseur. C’est moins de la moitié. Un nouvel ascenseur au métro Atwater devrait être accessible dans les prochaines semaines. La STM prévoit en ouvrir deux autres, dans les prochaines années : un à Berri-UQAM vers la ligne jaune et un à la station Édouard-Montpetit. Après, plus rien, faute de budget.
Certaines stations ont été rénovées sans qu’on décide d’y installer des ascenseurs : c’est le cas de la station Beaubien ou de la station Saint-Michel, par exemple. « La plupart des stations n’ont pas été conçues pour recevoir des ascenseurs », explique Amélie Régis, conseillère corporative à la STM. Leur installation peut nécessiter de gros travaux, ou encore des agrandissements.
À la station Beaubien, malgré les récents travaux, le terrain exigu faisait obstacle à l’installation d’un ascenseur. À la station Saint-Michel, le manque de financement n’a pas permis l’installation d’un ascenseur, malgré d’importants travaux. Ce manque a fait l’objet d’une pétition du comité de mobilisation citoyenne Saint-Michel-François-Perrault, en mars dernier.
« La population de Saint-Michel utilise davantage les transports en commun, avec un taux de 41,4 %, comparé à la moyenne de l’île de Montréal qui est de 34,5 %. Dans ce quartier qui est l’un des plus défavorisés de Montréal, la disponibilité de transports en commun accessibles est une nécessité pour les résidents, qui possèdent moins de voitures que dans d’autres quartiers », lisait-on dans cette pétition.
En effet, le tiers (33 %) des personnes en situation de handicap ont un revenu annuel de moins de 15 000 $, selon les données de l’Office des personnes handicapées du Québec.
33 %
Il s’agit de la proportion des personnes en situation de handicap qui vivent avec un revenu de moins de 15 000 $.
Un transport adapté rigide
C’est le transport adapté, assuré par la STM, qui remédie aux problèmes de transport en commun, et assure des déplacements précieux à plusieurs, particulièrement en hiver. Mais il n’est pas sans faille non plus. Il faut le réserver 24 heures à l’avance, ce qui exclut tout déplacement d’urgence, notamment dans les cas de violence conjugale. Malgré cela, les annulations tardives sont notées au dossier du client. Lorsque des annulations se répètent, les clients reçoivent un avertissement par la poste. Cette lettre crée un choc, puisqu’ils craignent alors de perdre ce service, qui leur est essentiel notamment pour se déplacer durant l’hiver, explique-t-on dans Embarquez avec nous !. Le nombre de personnes autorisées à accompagner la clientèle du transport adapté est limité, selon l’évaluation de la gravité du handicap, ce qui pose problème aux gens qui doivent circuler en famille.
C’est comme si les sociétés de transport ne pouvaient pas concevoir qu’une personne handicapée puisse avoir un enfant, selon Célia, aveugle, citée dans le rapport. « Mais le monde a évolué. Les gens qui ont des limitations ont le droit d’être parents. Alors, il faut que quelque chose soit fait pour nous accommoder », plaide-t-elle.
« On est des gens comme vous, qui veulent faire partie de la solution », précise Pascale Thérien, qui vit avec des difficultés motrices depuis quelques années.
Les retards sont courants, et le chauffeur doit souvent aller chercher d’autres clients sans avertissement, ce qui rend l’heure d’arrivée aléatoire. Les clientèles sont mixtes, et des déficients intellectuels peuvent harceler ou gêner des déficients moteurs, par exemple. Les clients doivent se limiter à deux sacs, et ne peuvent généralement pas l’utiliser pour faire l’épicerie.
« J’ai longtemps pris le transport adapté et, tel qu’il existe, il nécessite beaucoup de planification. C’est sûr qu’il y a des défis, dit Laurence Parent, vice-présidente du conseil d’administration de la STM. Toutes les situations problématiques sont prises au sérieux. C’est pour ça qu’on veut rencontrer la Table des groupes de femmes et voir ce qu’on peut faire pour rendre le transport adapté plus humain. Il y a des enjeux plus spécifiques aux femmes, dont on parlait moins avant. Mais je constate aussi que la formation des chauffeurs en général s’est beaucoup améliorée. »
60 %
C’est la proportion des utilisatrices du transport adapté qui vivent avec une déficience motrice. Une majorité d’entre elles sont âgées de 75 ans et plus
Au-delà du transport, le paysage urbain n’est souvent pas conçu pour accueillir les personnes en situation de handicap. Yves-Marie Lefebvre, aveugle, note que la place des Fleurs-de-Macadam, dans le Plateau-Mont-Royal, a été littéralement inondée de prix depuis sa création. Mais elle n’est tout simplement pas accessible aux personnes handicapées, parce que l’entrée ne s’y présente pas en ligne droite.
Aux intersections des rues, le temps de traverse des piétons est jugé trop rapide, et il demeure le même en toute saison. « Il est parfois de 15 secondes, parfois de 25 », précise Pascale Thérien, qui a aussi participé à la recherche-action.
Dans la rue, c’est le chaos. « Les automobilistes anticipent mal le temps pour traverser, ne respectent pas les limites de vitesse et arrivent très vite à une intersection, coupent le passage à une personne qui traverse, passent près d’elles lors du débarquement de l’autobus ou du transport adapté, taxi, voiture personnelle ou partage, et ne s’arrêtent pas aux traverses piétonnes », résume Éveline Claire, qui se déplace en fauteuil motorisé, et estime que les automobilistes souffrent d’un « handicap d’ignorance ».
Ce sont d’ailleurs les automobilistes qui sont perçus comme les plus insécurisants, suivis des cyclistes, puis de la police et des piétons, par les répondantes de la recherche-action.