Des Montréalais non voyants ont l’impression d’avoir été oubliés par la Ville de Montréal dans l’aménagement du Réseau express vélo (REV) de la rue Saint-Denis. L’implantation des voies cyclables a entraîné une modification du phasage des feux de circulation qui fait en sorte qu’ils ont maintenant bien peu de temps pour franchir les intersections. La Ville de Montréal assure pourtant que les non-voyants ne seront pas laissés pour compte.
Yves-Marie Lefebvre est en colère. Cet ancien marathonien et grand marcheur, qui a perdu la vue il y a trois ans, évite désormais la rue Saint-Denis. Depuis l’aménagement du REV, l’an dernier, la synchronisation des feux de circulation aux intersections des grandes artères traversées par les voies cyclables a été modifiée pour accorder une phase exclusive aux piétons et aux cyclistes. Cette mesure qui les protège met cependant la sécurité des non-voyants en péril, car ceux-ci doivent attendre que les voitures démarrent pour franchir l’intersection puisqu’il leur faut se fier au son des véhicules pour s’engager sur la chaussée.
Ainsi, il leur reste bien peu de temps pour traverser la rue, car le feu piéton vire rapidement au rouge. À l’angle de la rue Saint-Denis et du boulevard Saint-Joseph, les personnes non voyantes ont 13 secondes pour franchir les six voies de circulation du boulevard, a constaté Le Devoir. Elles disposent du même temps pour traverser l’avenue du Mont-Royal et de 15 secondes pour la rue Jean-Talon. « C’est comme ça jusqu’à Henri-Bourassa », déplore M. Lefebvre.
C’est d’autant plus dangereux pour les personnes aveugles qu’elles ne voient pas à quel moment le feu piéton devient rouge, ce qui les rend vulnérables aux virages à droite des automobilistes.
Feux sonores demandés
« Prioriser les piétons et les cyclistes, c’est bien. Sauf qu’ils nous ont oubliés. C’est inacceptable. La Ville a pourtant une politique d’accessibilité universelle et joue du violon avec ça », souligne Yves-Marie Lefebvre. « Des obstacles comme ça, ça me décourage. »
L’homme de 62 ans, qui habite tout près de la rue Saint-Denis, a dû modifier ses parcours de marche pour ne pas s’exposer à ces dangers. Cela ne l’empêche pas d’être favorable au REV, un projet « génial » qui a aussi eu pour effet d’apaiser la circulation et l’environnement sonore.
Agent de développement et de communication du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain, Yvon Provencher juge que l’installation de feux sonores est indispensable dans le cas du REV Saint-Denis. « Il le faut parce que c’est le seul moyen que les gens ont pour déterminer à quel moment faire leur traversée et pour maintenir leur alignement pendant la traversée afin d’être sûrs qu’ils marchent en ligne droite. Dans le cas du REV, ce n’est pas une option. Ce n’est pas normal de devoir faire des détours à cause d’un aménagement qui ne fonctionne pas », dit-il.
« C’est bien dommage qu’on n’ait pas pu réellement participer au processus de consultation parce qu’on aurait pu empêcher tous ces problèmes », ajoute-t-il.
Analyses en cours
La Ville de Montréal assure qu’il est dans son intention d’installer des feux sonores aux intersections qui le requièrent dans l’axe du REV Saint-Denis. « La Ville collabore actuellement avec ses différents partenaires pour identifier les traverses à favoriser. Une fois que cette analyse commune sera terminée, les plans seront finalisés et les travaux pourront alors débuter », a indiqué par courriel Marikym Gaudreault, attachée de presse au cabinet de la mairesse Plante.
Elle précise que la norme provinciale stipule que l’installation d’une traverse sonore doit être validée et recommandée par un organisme spécialisé. Dans la région de Montréal, c’est souvent l’Institut Nazareth et Louis-Braille qui participe à ce processus, ajoute-t-elle. Joint par Le Devoir, l’organisme n’a pas été en mesure, vendredi, de préciser le travail effectué dans le dossier du REV.
Yves-Marie Lefebvre estime que la Ville devrait installer systématiquement des feux sonores quand elle instaure des mesures différenciées entre les utilisateurs de la voie publique comme elle l’a fait dans le cas du REV Saint-Denis. « Il nous faut beaucoup plus qu’une simple intention et de la bonne volonté, ça nous prend des engagements », dit-il.
Marikym Gaudreault soutient par ailleurs qu’une démarche est en cours avec le Comité consultatif en accessibilité universelle afin d’établir des lignes directrices générales qui seront appliquées à l’ensemble du REV « afin d’en faire un projet exemplaire d’accessibilité universelle ».